Le réchauffement climatique transforme les potentialités de l’Arctique en enjeux de portée planétaire : ouverture de nouvelles routes maritimes, accès à des ressources minières et énergétiques, questions de souveraineté et d’influences géopolitiques, champ d’innovations et de coopérations… Ces enjeux mobilisent les puissances asiatiques et cet article issu de l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’IHEDN (ANAJ-IHEDN) établit un état des lieux et trace les perspectives de leurs ambitions en Arctique.
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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont: Fabien Carlet, « Les « Asiatiques » en Arctique : la ruée vers le Nord », Anaj-Ihedn, avril 2016.
Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’Anaj-Ihedn.
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Les « Asiatiques » en Arctique : la ruée vers le Nord
« Whoever has control over the Arctic route will control the new passage of world economics and international strategies ». Li Zhenfu[1]
Cette déclaration d’un scientifique chinois sur l’importance des routes maritimes arctiques impose un état des lieux de l’implication des puissances asiatiques dans la région. La sémantique « arctique » vient du grec ἄρκτος (arktos), qui signifie « ours », en référence aux constellations astrales de la Petite Ourse et de la Grande Ourse qui indiquent aux navigateurs le pôle Nord céleste et l’étoile polaire. La définition géographique de cet espace reste cependant débattue, selon les disciplines scientifiques concernées. Le cercle arctique de latitude 66°33’ Nord est souvent pris comme référence par les géographes. Les biologistes se réfèrent, quant à eux, à l’extension du pergélisol[2], tandis que les climatologues utilisent l’isotherme à 10°C du mois de juillet. Même si elles identifient l’océan polaire comme une mer « intérieure », ces définitions nous indiquent « plusieurs arctiques » plus ou moins étendus. Toutefois, le réchauffement climatique a rendu certains indicateurs obsolètes et a modifié l’environnement géopolitique, économique et social de cette zone polaire auparavant relativement fermée. En effet, la fonte progressive de la banquise durant les périodes estivales ainsi que la réduction de son extension hivernale conduisent à une ouverture croissante de cette zone à la mondialisation, avec tous les problèmes que cela induit : questions de souveraineté, de géopolitique et de gouvernance ; enjeux économiques et commerciaux ; et enfin possibilités de recherches scientifiques dans des domaines divers, propices à l’innovation et au développement de nouvelles technologies[3].
Dès lors, l’engouement récent des puissances affirmées ou émergentes, au premier rang desquelles les États asiatiques tels que la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Singapour et l’Inde, pour les nouveaux enjeux arctiques est donc compréhensible. Il pose la question de leurs ambitions et de leurs moyens dans le « Grand Nord ». Présenter les perspectives à l’horizon 2030-2040 d’un « marché arctique » interconnecté semble nécessaire pour comprendre l’immixtion de ces pays dans la zone. Les actions et les outils développés par les puissances asiatiques seront également analysés pour identifier leurs intérêts stratégiques et leurs impacts géopolitiques.
L’émergence d’un « marché arctique » à l’horizon 2030-2040 : quels enjeux pour les « Asiatiques » ?
La zone du pôle Nord apparaît comme éloignée, voire détournée de la mondialisation du fait de sa position géographique périphérique et de son climat extrême. Depuis 1980, la surface couverte par la banquise arctique a diminué d’environ un tiers en raison du réchauffement climatique. De nouveaux enjeux tels que l’exploitation des ressources, l’ouverture de nouvelles routes maritimes internationales, la gouvernance et les rivalités géopolitiques ainsi que la recherche et l’innovation se font de plus en plus prégnants et deviennent stratégiques pour les États asiatiques (cf. Annexe n°1).
La sécurisation des approvisionnements énergétiques
L’affirmation alarmiste d’un « Arctique, nouveau Moyen-Orient[4]» eut un grand retentissement médiatique et illustre parfaitement l’importance des ressources potentiellement exploitables dans la région. Les hydrocarbures apparaissent comme l’enjeu le plus éminent et imminent. D’après une étude américaine du United States Geophysical Survey (USGS) de 2008, le sous-sol et les profondeurs arctiques renfermeraient plus de 13 % du pétrole non découvert sur Terre et 30 % du gaz naturel encore inconnu, majoritairement au large du Canada, de l’Alaska et du littoral russe[5]. Ce sont des potentialités non négligeables pour la planète qui, en 2035, accueillera environ 8 à 9 milliards d’individus, majoritairement en Asie. Le contrat gazier sino-russe témoigne de la prise en compte de l’enjeu énergétique par la Chine[6]. Cependant, l’année 2015 connut plusieurs événements discordants.
D’un côté, des turbulences apparurent avec le retrait de Shell en mer des Tchouktches et en mer de Beaufort, suite à des difficultés financières, techniques et climatiques. Les engagements environnementaux mondiaux de la COP21 et des pays riverains pour la protection de l’environnement arctique tentent de protéger cet écosystème unique en restreignant les activités humaines. Aussi, la chute des cours des hydrocarbures et la réorientation du fond d’investissements souverain norvégien, qui délaisse progressivement les énergies fossiles, illustrent la problématique actuelle de la chute du cours des énergies fossiles. A contrario, la conquête de l’Arctique reste toujours d’actualité. Le gouvernement norvégien vient de lancer l’ouverture de nouvelles licences d’exploitation en mer de Barents et la compagnie Exxon a transporté une plateforme gazière depuis la mer du Nord jusqu’à la mer de Kara. De son côté, la Russie a entamé une remilitarisation de « son Arctique » par la mise en condition opérationnelle de plusieurs bases militaires et de ports en eaux profondes.
En outre, l’optimisme reste prégnant : 85 % des projets d’exploitation lancés se poursuivent aujourd’hui, confirmant la tendance prospective d’une exploitation des ressources hydrocarbures arctiques[7], et ce malgré les difficultés d’exploitation inhérentes au milieu (climat, profondeur des sous-sols, perçage des glaces, icebergs dérivants, protection de l’environnement). Même si les pays riverains de la région favorisent clairement leurs compagnies nationales (Statoil en Norvège, Rosneft et Gazprom en Russie par exemple), ces éléments incitent à la coopération et à la création de consortiums entre gouvernements, entreprises et fonds d’investissement. Une illustration de l’appréhension du business arctique par les Asiatiques est le projet pharaonique évoqué par Liu Zhenya, président de la China’s State Grid Corporation, d’implantation d’un champ éolien géant dans les eaux internationales arctiques[8].
Des opportunités commerciales à saisir
Les ressources minières sont également un enjeu capital. L’archipel arctique canadien et le Groenland sont particulièrement concernés, de par la richesse de leur sous-sol et une absence d’exploitation due à de nombreuses difficultés et au manque persistant d’investissements. Cette tendance lourde a cependant connu une modification claire sous le gouvernement de Stephen Harper, Premier ministre conservateur du Canada entre 2006 et 2015, et avec la prise en main par les autorités groenlandaises de la question de leurs sous-sols. Des gisements d’or, de diamants, d’argent, de cuivre, de zinc, de plomb et de kimberlites ont été identifiés au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest ainsi que des gisements d’uranium et de terres rares au Groenland (selon les estimations, de 12 % à 25 % des réserves mondiales de terres rares, dont la Chine contrôle déjà l’exploitation sur le reste de la planète[9]). La Russie n’est pas en reste avec de nouvelles mines d’or, d’étain, de diamants, de nickel et de cuivre en Sibérie, au Kamtchatka et dans la péninsule de Kola. Les États asiatiques, atelier du monde contemporain, sont particulièrement sensibles aux problématiques de sécurisation de leurs approvisionnements : ces dernières définissent en effet les positionnements indien, chinois, coréen et japonais dans la région. Les entreprises asiatiques se retrouvent ainsi « sur le pont » comme MMG Ltd (Mineral and Metals Group), Jilin Jien, WISCO (Wuhan Iron and Steel Corporation), ArcelorMittal[10], la Japan Oil Gas and Metals National Corporation (JOGMEC) ou la China National Petroleum Corporation (CNPC).
En outre, les ministères compétents de chaque pays s’impliquent dans cette quête de nouveaux marchés. Cependant, Singapour et la Corée du Sud élaborent des diplomaties dites « de niche » via leurs compagnies nationales spécialisées dans l’ingénierie navale et portuaire, dans l’infrastructure et le bâtiment tels que les trois « grands » coréens Samsung, Kia et Hyundai. En Inde, la Nordic Indian Business Chamber of Commerce avait entrepris un lobbying important pour la naissance d’un intérêt arctique auprès du gouvernement indien, qui s’est matérialisé par la visite du président indien Shri Pranab Mukherjee en Norvège et en Finlande à l’automne 2014. Pour Singapour, l’Arctique recèle de nombreuses opportunités de coopération scientifique sur la question de la montée du niveau des océans, dans les domaines de la gestion des flux portuaires et de construction de plateformes pétrolières. Surtout, la cité-Etat souhaite influencer le développement de la zone et pouvoir apparaître comme une place financière pour le business arctique.
Enfin, la région est riche en ressources halieutiques et cynégétiques. Protégées par les glaces, la faune et la flore arctiques attirent depuis toujours les pêcheurs du monde entier. Les Japonais, « célèbres » pour leur appétence pour les cétacés et les poissons vivant en Arctique, sont, par exemple, « pointés du doigt ». Le réchauffement climatique entraîne la fonte de ce bouclier physique et la migration de nombreuses espèces marines, permettant ainsi d’entrevoir de nouvelles zones et pratiques de pêche à l’instar de la chasse à la baleine boréale.
De nouvelles voies maritimes stratégiques
La fonte de la banquise ainsi que l’ouverture prolongée et croissante des deux passages arctiques[11] laissent présager le développement de voies commerciales nouvelles reliant les centres économiques de la Triade (Amérique du Nord, Europe, Asie orientale) de manière plus rapide (cf. Annexe 2 et 3). Cette perspective reprend l’imaginaire historique de la « Route de la Soie » entre Europe et Extrême-Orient, nous rappelant les péripéties de William Barents (1550-1597) et William Baffin (1584-1622). Si le passage du Nord-Ouest dans l’archipel canadien reste toujours très difficile pour la navigation, le passage du Nord-Est est une voie développée par la Russie. Cette voie permettrait de réduire de 7000 kilomètres (32 %) et de 10 à 14 jours (27 %) le trajet entre Busan (Corée du Sud) et Rotterdam (Pays-Bas). De plus, la Russie a entamé l’établissement et la maintenance en condition opérationnelle de nombreux ports et de bases militaires pour sécuriser cette voie maritime émergente. L’intérêt est clair pour les armateurs de toute nationalité, comme la compagnie chinoise COSCO qui a réalisé l’hiver dernier un test de transport via le Passage du Nord-Est avec le déploiement d’une chaîne logistique complète en liaison avec les autorités russes. Plus de 120 participants asiatiques et nordiques se sont rencontrés le 12 avril 2016 à Mourmansk pour discuter de ces enjeux et renforcer une future et potentielle coopération entre les compagnies asiatiques, russes et les autorités des pays concernés[12]. Il en est de même pour la compagnie japonaise Mitsui OSK Lines ou des chantiers navals sud-coréens, grands producteurs de navires de classe polaire[13].
En outre, l’hypothèse d’un « nouveau paradigme » s’est récemment développée avec la promotion de la Transpolar Sea Route (cf. Annexe 2), la mise en place de hub and spoke, d’un côté en Islande, en Norvège ou en Russie et, de l’autre, à l’entrée du détroit de Béring[14]. Ce nouveau concept imagine l’établissement d’une autoroute maritime arctique de brise-glaces récupérant les marchandises d’un côté de l’océan Arctique – dans un hub libre de glaces – et les déposant dans l’autre. Ainsi, la problématique de la navigation de navires à coque renforcée mais plus lents dans les zones tempérées, ainsi que celle de l’optimisation des bateaux et du temps de trajet se résolvent. Dès lors, ces nouvelles plateformes logistiques seraient créées, développant des flux maritimes nouveaux mais créant aussi des enjeux sociaux et environnementaux à ne pas éluder pour les populations locales. Néanmoins, les investissements nécessaires étant colossaux, ce projet reste à l’état d’hypothèse, impliquant la constitution de consortiums de grande envergure ainsi qu’une coopération multilatérale.
L’Arctique au centre de la géopolitique mondiale
Pour toute puissance géopolitique à ambition mondiale, une présence en Arctique semble nécessaire, tant pour participer au « partage » et à l’exploitation de ces nouvelles opportunités que pour signifier et affirmer sa puissance et développer son influence diplomatique.
Le Conseil de l’Arctique : un point d’ancrage incontournable
Le 15 mai 2013, six pays, dont les cinq « Asiatiques » déjà évoqués, se sont vus accorder le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique[15]. Ce dernier est un forum intergouvernemental créé le 16 septembre 1996 à la suite de la Déclaration d’Ottawa et fondé par les huit pays arctiques riverains[16]. Il comporte également des représentants des peuples autochtones[17], tous dotés du statut de membre permanent. Cette organisation promeut la coopération entre pays membres sur les questions environnementales, culturelles, sociales et de développement économique. Elle voit ses prérogatives élargies de manière croissante avec, par exemple, des accords de coopérations en matière de sécurité entre garde-côtes. Cette instance de discussion multilatérale fonctionnant par consensus, elle se divise en groupes de travail thématiques[18]. Acquérir le statut d’observateur accorde un poids représentatif fort mais permet également d’être au plus près du développement de la région. Ce statut a davantage une valeur diplomatique qu’une réalité empirique : il n’autorise pas à parler lors des conférences interministérielles bisannuelles du Conseil arctique mais permet seulement l’acquisition d’une représentation. Il assure également une « place au soleil » pour participer aux coopérations arctiques entre les acteurs concernés, sachant que le Conseil et ses observateurs représentent 80% du PIB mondial et 75% de la population mondiale. Les nombreuses candidatures illustrent l’enjeu diplomatique et géopolitique de ce forum et de cette région[19]. Le Conseil arctique reste la principale caisse de résonance des problématiques arctiques. L’intérêt diplomatique d’une accession au statut d’observateur est donc très important.
La persistance des relations bilatérales
De manière parallèle, chaque État asiatique a tissé une toile diplomatique avec les principaux riverains arctiques, tant pour appuyer leurs démarches auprès des institutions multilatérales que pour sécuriser des relations de coopération et d’amitié. L’océan Arctique est régi par le droit de la mer et la Convention de Montego Bay de 1982 établissant les Zones économiques exclusives (ZEE). Or, la quasi-totalité (95 %) des ressources minières et énergétiques gisent dans les ZEE d’États riverains. Dans un objectif de développement de bonnes relations diplomatiques, les États asiatiques ont signé des accords de coopération avec des pays riverains : le Japon avec le Groenland ; la Chine avec la Russie, l’Islande et le Groenland ; la Corée du Sud avec la Russie ; et l’Inde avec la Russie, la Norvège, le Canada et le Groenland. Pékin et Reykjavik ont signé en 2013 un accord de libre-échange et entreprennent une coopération approfondie en matière de géothermie. De plus, la Chine voit dans l’Islande la possibilité de création d’un hub touristique et industriel en Atlantique nord[20]. Ces prises de positions révèlent un certain double-jeu diplomatique de la part des acteurs : par exemple, le Japon, en parallèle de coopérations industrielles et commerciales avec des pays riverains, défend une reconnaissance de l’Arctique comme un patrimoine mondial de l’humanité ainsi qu’un respect du cadre juridique dressé par le droit de la mer. Enfin, les réseaux et les canaux de communication sont nombreux : au niveau international (ONU), régional (Conseil de l’Arctique), sub-régional (Comités régionaux transnationaux), bilatéral (Chambres de commerce) et privé (investisseurs et ONG).
Les États asiatiques ont des approches différentes des enjeux arctiques. En Corée du Sud et au Japon, les engagements vers le Grand Nord furent à l’initiative, respectivement, des armateurs et des constructeurs navals — pour qui la Northern Sea Route se révèle être un enjeu très important — et des instituts scientifiques. Ces deux pays ont d’ailleurs publié leur stratégie nationale pour la région. À l’inverse, le gouvernement chinois a encouragé les entreprises nationales et parapubliques à se tourner vers la marge arctique. Ce mouvement « par le haut » — à l’opposé des dynamiques coréenne et japonaise « par le bas » — s’accorde avec l’élaboration depuis 2012 d’une stratégie nationale chinoise au pôle Nord[21].
Diplomatie scientifique et développement du soft power
À la diplomatie économique s’ajoute également une dimension de soft-power cruciale de la part des puissances asiatiques, notamment grâce à des organismes scientifiques.
Les régions polaires fascinent depuis toujours de nombreux explorateurs et ont été le lieu de découvertes, de développement de savoirs et de technologies innovants. En plus du rayonnement international conféré par des recherches en Arctique, l’ouverture de cette marge climatique et géographique aux chercheurs permet à ces derniers de continuer leurs recherches sur la biosphère mais aussi sur la physique terrestre et spatiale. La région polaire nordique peut être aussi, de par ses caractéristiques climatiques, géographiques et environnementales, le lieu d’un développement de technologies innovantes en ingénierie, en médecine, en dronautique, en agriculture, en navigation ou dans les transports.
Les instituts de recherche soulignent l’intérêt scientifique de cette zone. C’est le cas notamment de la Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC), de la Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA) et du National Institute of Polar Research (NIPR) au Japon, du State Oceanic Administration (SOA), du Chinese Arctic and Antarctic Administration (CAA) et du Polar Research Institute of China pour la Chine, du Korea Polar Research Institute (KOPRI) en Corée et du National Center of Antarctic & Ocean Research (NCAOR) pour l’Inde. À noter que, dans cette « course », le Japon développa sa chaire polaire dès les années 1950, contrairement à ses voisins asiatiques où ces centres émergèrent à partir de la fin du XXe et du début du XXIe siècle. La Chine fait cependant preuve d’une volonté politique et scientifique accrue avec un nombre important de publications.
Ce soft power s’illustre également par la multiplication de conférences et de rencontres internationales sur l’Arctique à travers le globe où ces pays sont toujours représentés. Citons l’Arctic Encounter (Paris en 2015 durant la COP21, Seattle en 2016), l’Arctic Frontiers (Tromsø en Norvège en février 2016), le China-Nordic Arctic Cooperation Symposium (Rovaniemi en Finlande en juin 2016), l’Arctic Science Summit Week (Fairbanks en Alaska en mars 2016) ou encore tout récemment l’Arctic Business (Bodø en Norvège en mai 2016) etc. L’intérêt de ces forums de discussion et de promotion des questions arctiques réside dans la constitution de réseaux entre les acteurs privés, les agences publiques et les scientifiques pour la valorisation des opportunités économiques polaires. Celle-ci réclamant des investissements conséquents, la coopération et l’innovation sont donc capitales pour réussir en Arctique.
Enfin, l’intérêt scientifique se porte également sur la problématique du réchauffement climatique, avec la fonte du pergélisol qui affecte l’Inde en Himalaya ou les modifications climatiques en Chine. Région d’innovation, ces puissances développent également une connaissance empirique de notre planète et même de l’espace via l’implantation de bases de recherche : ainsi avec la ville de Ny-Ålesund (île du Spitzberg, Norvège). Le précédent juridique du Traité du Spitzberg de 1920 a créé un espace de libre initiative scientifique et économique dans le cadre et le respect d’un État souverain, en l’occurrence la Norvège[22]. En tant que premier traité multilatéral arctique dont tous les États asiatiques évoqués ici sont adhérents, peut-il constituer une solution viable et permettre un consensus entre les pays riverains ?
Ces approches multiscalaires illustrent tant l’importance des enjeux arctiques pour les puissances asiatiques que l’adaptabilité des cadres coopératifs et institutionnels de la région. Cependant, la création de l’Arctic Five[23], qui regroupe uniquement les pays riverains, illustre la volonté de préservation et de protection de leur souveraineté et de leurs intérêts. Reste que ces intégrations sont conditionnées par des justifications déterminées par l’importance économique, démographique, scientifique ou géopolitique de ces puissances. À la diplomatie économique s’ajoute maintenant une dimension de soft power croissante de la part des puissances asiatiques, notamment grâce à des organismes scientifiques.
L’Arctique, pôle de coopération internationale ?
L’implication des « Asiatiques » en Arctique a également modifié les relations diplomatiques entre les États eux-mêmes. De nombreux gouvernements ont entamé des rapprochements diplomatiques internationaux, illustrant l’importance des enjeux polaires. Ainsi, la Russie a pu développer des relations plus étroites avec la Chine mais aussi avec le Japon. Le contentieux concernant les îles Kouriles pourrait même être « poussé sous le tapis » pour favoriser un rapprochement russo-japonais. Il en est de même entre les deux grandes puissances de l’Extrême-Orient qui s’opposent sur le sort des îles Senkaku-Diaoyu : Pékin et Tokyo ont clairement les mêmes intérêts au Nord du 66e parallèle. L’Inde n’est pas en reste. Narendra Modi se construit une stature d’homme fort à l’instar d’un Shinzo Abe et d’un Xi Jinping, dans un mélange d’admiration et de rivalité avec ses voisins asiatiques. Pays ayant pris le tournant arctique le plus tardivement, l’Inde possède également de grands intérêts stratégiques au pôle Nord et l’affirmation d’un axe Moscou-New Delhi y est pour beaucoup. Fin avril 2016, Séoul, Tokyo et Pékin se sont rencontrés dans la capitale coréenne pour approfondir leur coopération[24]. Les trois puissances observent bien les intérêts matériels, économiques et géopolitiques de cette zone, potentiel carrefour de « paix et de prospérité » entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord[25]. Dès lors, la question arctique établit des passerelles et des dialogues apaisés dans une Asie en pleine course à l’armement.
La Chine, le Japon, la Corée du Sud, Singapour et l’Inde ont des objectifs et des moyens sensiblement similaires. Comme puissances géopolitiques, économiques et scientifiques, elles peuvent justifier de leur intérêt et de leur immixtion dans cette région pour sécuriser leurs approvisionnements en ressources. Il faut relativiser ces dernières. D’abord, les enjeux arctiques impliquent des investissements techniques, financiers et humains importants qui requièrent des synergies entre les États, les entreprises et les ONG. En effet, les problématiques environnementales restent le grand enjeu de la région arctique, ce qui explique la difficile soutenabilité d’un modèle de développement économique fondé uniquement sur l’extraction de ressources souterraines. De plus, la souveraineté exclusive reste, pour l’instant, de mise en Arctique. Toutefois, grâce à ces similitudes et ces corrélations d’intérêts, la question arctique peut être un axe de coopération intra-asiatique, voire international : un forum de discussion sino-japonais a été créé sur les questions polaires et les États-Unis semblent développer une position plus conciliante et consensuelle en Arctique vis-à-vis de la Russie.
Quatre siècles après la formule de Montesquieu selon laquelle « c’est presque une règle générale que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces », la dynamique arctique semble confirmer cette pensée.
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Entretien avec Mikå MERED, Consultant en Geoéconomie arctique, Directeur de POLARISK, 22 avril 2016.
References
Par : Fabien CARLET
Source : Les Jeunes IHEDN
Mots-clefs : Arctique, Asie, Coopération, Maritime, Mer, Soft power