Cet entretien menĂ© avec lâambassadeur britannique Ă Paris, Edward David Gerard Llewellyn, souligne la profondeur des fondements de la relation bilatĂ©rale de dĂ©fense franco-britannique, fondements que les Ă©volutions politiques rĂ©centes au sein des deux pays (« Brexit », Ă©lections prĂ©sidentiellesâŠ) nâaffectent pas. La convergence des intĂ©rĂȘts, des valeurs et des responsabilitĂ©s internationales partagĂ©e par la France et le Royaume-Uni sont soulignĂ©s tout au long de la conversation, via un tour dâhorizon des coopĂ©rations et complĂ©mentaritĂ©s bilatĂ©rales articulĂ©es autour du processus issu des accords de Lancaster House. De mĂȘme est mise en exergue la volontĂ© britannique de poursuivre le renforcement des liens de dĂ©fense avec les pays europĂ©ens, rĂ©sumĂ©e par la formule « Nous quittons lâUnion europĂ©enne mais nous ne quittons pas lâEurope ».
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Les opinions exprimĂ©es dans cet article nâengagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont : Christina Mackenzie & Jean-François Morel,
« Entretien avec l’Ambassadeur du Royaume Uni en France », Revue DĂ©fense n°185, avril 2017.
Ce texte, ainsi que dâautres publications, peuvent ĂȘtre visionnĂ©s sur le site de l’UNION-IHEDN.
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Entretien avec lâAmbassadeur du Royaume-Uni en France
« Nous sommes prĂȘts Ă continuer Ă travailler avec nos voisins europĂ©ens, y compris militairement »
Edward David Gerard Llewellyn, baron Llewellyn de Steep, est ambassadeur de Sa MajestĂ© en France depuis 2016. Il a servi comme conseiller personnel du Gouverneur de Hong Kong puis au Bureau du Haut-ReprĂ©sentant Ă Sarajevo [une institution ad hoc, NDLR] et au cabinet du Commissaire europĂ©en aux relations extĂ©rieures Ă Bruxelles ; il a ensuite Ă©tĂ© directeur de cabinet du Haut-ReprĂ©sentant Ă Sarajevo, directeur de cabinet du chef de lâOpposition Ă Londres puis directeur de cabinet du Premier ministre jusquâĂ sa nomination Ă Paris.
Quel impact le Brexit pourrait-il avoir sur la relation de défense franco-britannique ?
Tout dâabord, depuis que je suis Ambassadeur et mĂȘme avant, je suis impressionnĂ© par le lien profond en matiĂšre de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© entre nos deux pays. A lâheure oĂč nous faisons face Ă une menace sĂ©rieuse de la part de nos ennemis, nous luttons ensemble contre le terrorisme. A lâheure oĂč lâinquiĂ©tude grandit concernant la sĂ©curitĂ© europĂ©enne, nous sommes prĂȘts Ă jouer notre rĂŽle avec nos amis europĂ©ens.
Face aux mĂȘmes dĂ©fis, la France et le Royaume Uni, nous partageons les mĂȘmes valeurs, nous aboutissons aux mĂȘmes analyses de la situation mondiale et nous sommes les deux nations europĂ©ennes vraiment prĂȘtes Ă agir contre les menaces existantes. Nous restons Ă ce jour les seules puissances militaires europĂ©ennes disposant dâune capacitĂ© de dissuasion nuclĂ©aire et des moyens nĂ©cessaires pour engager nos forces armĂ©es dans des opĂ©rations de haute intensitĂ©, Ă des distances stratĂ©giques, et en assumant le commandement. Nous avons la volontĂ© dâagir quand et si nĂ©cessaire, que ce soit sur le territoire national ou outre-mer.
Votre ministre, Jean-Yves Le Drian a dit devant la Commission de DĂ©fense de lâAssemblĂ©e nationale : « ma premiĂšre prioritĂ© est de prĂ©server une relation de dĂ©fense britannique fĂ©conde et stable. Les diffĂ©rents volets de la coopĂ©ration qui nous lient sont irremplaçables ».
Nos relations bilatĂ©rales existent en dehors de lâUnion europĂ©enne. Il y a un peu plus de six ans, nous avons signĂ© les TraitĂ©s de Lancaster House qui promeuvent la coopĂ©ration entre nos gouvernements, nos services de sĂ©curitĂ© et nos armĂ©es. Ensemble, nous Ă©tions, nous sommes, et nous serons le vrai moteur de la dĂ©fense de lâEurope. Donc, les relations bilatĂ©rales entre la France et le Royaume-Uni vont demeurer aprĂšs le Brexit, voire mĂȘme sâaccĂ©lĂ©rer et sâintensifier.
Le Royaume-Uni est lâun des plus grands pays europĂ©ens en termes de capacitĂ©s de dĂ©fense. Craignez-vous les consĂ©quences dâun Ă©ventuel ralentissement Ă©conomique sur le dĂ©veloppement futur des capacitĂ©s militaires britanniques ?
Vous mâavez posĂ© une question thĂ©orique : je nâai vu aucun ralentissement de lâĂ©conomie britannique. Au contraire, nous restons lâun des pays dont la croissance Ă©conomique continue le plus fortement. Nous avons consacrĂ© un budget de dĂ©fense de 2% du PIB, plus 0.7% du PIB pour lâaide humanitaire. Ces deux budgets, ensemble, nous permettent de garder notre influence mondiale et notre rĂŽle national, en coalition, et en partenariat avec la France.
Aujourdâhui, grĂące aux rĂ©investissements, et grĂące au budget de dĂ©fense qui augmentera avec la croissance de lâĂ©conomie nationale, les armĂ©es britanniques sont en train dâĂȘtre complĂštement revitalisĂ©es avec des programmes de futurs Ă©quipements haut de gamme. Parmi les changements nous aurons deux porte-avions, une flotte de 138 avions de chasse F35, 7 sous-marins dâattaque nuclĂ©aires, des avions de ravitaillement, une flotte de 22 avions de transport A400M, le rĂ©Ă©quipement de nos forces terriennes et, trĂšs important pour la France, la dĂ©cision parlementaire de lancer le programme dâune nouvelle force de dissuasion nuclĂ©aire.
Donc, nous allons rester lâun des plus importants pays, y compris en termes de capacitĂ©s de dĂ©fense !
Au Royaume-Uni et en France, on accorde beaucoup dâimportance Ă la rĂ©flexion stratĂ©gique. Chez les analystes de part et dâautre de la Manche, voyez-vous des similitudes et des diffĂ©rences dâapprĂ©ciation des menaces Ă la sĂ©curitĂ© internationale ?
En effet, nous partageons la mĂȘme vision du monde. Nos services de renseignement travaillent Ă©troitement ensemble. Au niveau politique, nous sommes au coude Ă coude au sein de lâONU et de lâOTAN ainsi que dans les autres organisations internationales. Sâil y a une diffĂ©rence entre nous, câest dans notre engagement outre-mer. MĂȘme si nous avons dĂ©ployĂ© environ les mĂȘmes nombres dâeffectifs, ceux-ci ne sont pas nĂ©cessairement dans les mĂȘmes rĂ©gions. En Afrique, par exemple, vous ĂȘtes bien engagĂ©s dans le Sahel Ă cause de votre histoire, de vos liens et de votre connaissance de la RĂ©gion. En lâoccurrence, nous avons des liens au Nigeria, au Kenya, et au Soudan du Sud qui nous sont spĂ©cifiques. Je trouve quand mĂȘme une complĂ©mentaritĂ© entre nos intĂ©rĂȘts et nos actions. Nous faisons face ensemble Ă la menace terroriste venant du Moyen-Orient. En coalition avec les Ătats-Unis, la France et plusieurs autres nations, nous allons gagner contre la malveillance de Daesh. A lâavenir, nous devrons rester solidaires en luttant contre la future mutation de la menace terroriste.
LâidĂ©e de la diffĂ©rentiation fait son chemin en Europe. Croyez-vous Ă la formation dâun groupe de pays plus allant en matiĂšre de dĂ©fense, que ce soit au sein de lâUE ou de maniĂšre multilatĂ©rale en Europe ?
Il y a toujours eu une diffĂ©rentiation en matiĂšre de dĂ©fense en Europe. Il y a toujours eu des nations avec plus de moyens militaires que dâautres. Et il y a toujours eu un dĂ©bat sur quand, comment et si il faut agir militairement, hors des frontiĂšres de lâEurope. Sans aucun doute, cela continuera.
La future diffĂ©rentiation de lâUnion europĂ©enne est un sujet pour nos amis europĂ©ens â les 27 nations de lâUnion. Vue de lâextĂ©rieur, ma nation sera prĂȘte Ă continuer Ă protĂ©ger nos valeurs communes. Nous partageons une conviction profonde des valeurs de libertĂ©, Ă©galitĂ© et fraternitĂ©, et nous souhaitons voir une Union europĂ©enne forte, prospĂšre et en paix aux cĂŽtĂ©s du Royaume-Uni. Nous nâavons pas lâintention dâaffaiblir lâUnion europĂ©enne en la quittant. En revanche, nous sommes prĂȘts Ă continuer Ă travailler avec nos voisins europĂ©ens, y compris militairement.
Ressentez-vous une crainte de la part des industriels de défense, tels que Thales, Airbus et MBDA, que le Brexit puisse considérablement changer leur façon de travailler avec et au Royaume-Uni ?
Pas nĂ©cessairement une crainte, mais je reconnais quâils attendent les rĂ©sultats des nĂ©gociations Ă venir. Nos industriels veulent rester efficaces, devenir plus compĂ©titifs, capturer les opportunitĂ©s des annĂ©es Ă venir et protĂ©ger leurs activitĂ©s actuelles. Mais au fond, ils sont pragmatiques.
Les liens industriels entre nous, dont ceux avec les entreprises que vous avez citĂ©es, sont trĂšs forts. LâefficacitĂ© et la rentabilitĂ© des industries de dĂ©fense, ainsi que leurs densitĂ©s Ă lâexportation des Ă©quipements soutiennent la prospĂ©ritĂ© de nos deux nations. Leur capacitĂ© Ă fournir les moyens dont nos armĂ©es ont besoin est primordiale dans la lutte contre les menaces que jâai dĂ©jĂ Ă©voquĂ©es. Nos deux pays sont innovants et nos entreprises de dĂ©fense sont haut de gamme. JâespĂšre que nous pouvons trouver une solution « gagnant-gagnant » dans les deux ans Ă venir.
Au fond, dans quels domaines de la défense, pensez-vous que le Royaume-Uni pourrait faire davantage avec les Français ?
Il faut continuer Ă travailler ensemble dans cet esprit de coopĂ©ration. JâespĂšre quâaprĂšs les Ă©lections prĂ©sidentielles, nous continuerons Ă renforcer cette relation importante, et Ă accĂ©lĂ©rer le processus de Lancaster House. Nous devons protĂ©ger les projets existants, comme le SystĂšme de combat aĂ©rien futur, le programme des futurs missiles, chapeautĂ© par MBDA, et notre excellente coopĂ©ration nuclĂ©aire.
Jâai lâimpression quâil y aura des occasions dâen faire plus ; de mieux partager le renseignement, dâamĂ©liorer lâinteropĂ©rabilitĂ© de nos forces armĂ©es dans lâesprit de la « Combined Joint Expeditionary Force » [1] que nous avons crĂ©Ă©e, et dâaller plus loin dans notre coopĂ©ration industrielle. Nous pouvons le faire, comme nous lâavons dĂ©montrĂ©, au niveau bilatĂ©ral, car câest souvent plus simple de lancer des projets importants et difficiles Ă deux, plutĂŽt quâĂ 27 !
Conclusion
En conclusion, je vous remercie de mâavoir donnĂ© lâopportunitĂ© dâexprimer la position britannique. Nous quittons lâUnion europĂ©enne, mais nous ne quittons pas lâEurope. Nous demeurerons des partenaires fiables, des alliĂ©s volontaires et des amis proches. JâespĂšre que nous nous trouverons plus en sĂ©curitĂ©, et plus prospĂšres Ă travers une amitiĂ© renouvelĂ©e. Vive lâamitiĂ© franco-britannique !
References