L’Algérie est confrontée à un environnement régional mouvant. Cette situation constitue la toile de fond et le ressort de cet article. L’auteur, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (CNRS/ Sciences Po Bordeaux) nous livre un tableau éclairant de l’évolution de la politique diplomatique et sécuritaire algérienne. Il analyse le réexamen réaliste des principes fondateurs de cette politique face aux défis posés tant par les carences de l’intégration régionale que par la survenue des crises libyenne et malienne.
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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont: Salim Chena, « La résilience algérienne », Les Cahiers de l’Orient, automne 2017.
Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site des Cahiers de l’Orient.
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La résilience algérienne
L’environnement régional de l’Algérie est aujourd’hui particulièrement instable. Depuis les révoltes arabes de 2011, les voisins d’Alger connaissent des situations diverses qui illustrent les turbulences sociopolitiques contemporaines des transitions démocratiques, voire, parfois, l’effondrement des États. Le changement de régime en Tunisie a permis à l’insécurité de s’installer à ses frontières et de menacer les ressources tirées du tourisme; la chute de Kadhafi a plongé la Libye dans une guerre civile risquant de provoquer à terme son implosion ; le Mali a vécu une occupation territoriale par des groupes terroristes devenus transnationaux qui menacent désormais l’ensemble de l’espace saharo-sahélien.
Cette situation entraîne pour l’Algérie de nouveaux défis qui semblent parfois remettre en cause les principes de sa politique étrangère. Perçu de l’extérieur comme un « colosse aux pieds d’argile » dont le processus de décision politique serait complexe, l’État algérien se voit, au contraire, comme un « îlot de stabilité » dans un espace où les mutations politiques passent par la contestation et la violence. Dans ce contexte, la politique diplomatique et sécuritaire algérienne se concentre d’abord sur sa propre protection, tout en poursuivant la promotion d’une politique de dialogue inclusif face aux crises de son espace proche.
Le modèle algérien
La thèse fondatrice de Bruno Étienne[1], en 1977, est intéressante à rappeler. Selon lui, la politique étrangère de l’Algérie, durant la période révolutionnaire comme aux premiers temps de l’indépendance, se devait de refléter les succès des luttes anticoloniales et anti-impérialistes qui ordonnaient les clivages de l’environnement international de cette période[2]. L’expérience révolutionnaire et la place de l’Algérie dans l’afro-asiatisme, puis le non-alignement fournissaient la matrice politique et générationnelle de l’identité de l’État algérien, notamment sur la scène internationale. Un ouvrage de l’historien Matthew Connelly[3] notait justement l’importance de l’action diplomatique algérienne dans le succès de sa lutte pour l’indépendance au moment des conférences de Bandoeng en 1955 et de Belgrade en 1961. Plus récemment, lors des négociations avec les différentes parties maliennes qui ont mené aux Accords d’Alger de 2015, l’expérience de la politique de « réconciliation nationale » qui a clos la guerre civile algérienne des années 1990 a été mise en avant comme un modèle de sortie de crise.
Pour la jeune Algérie postindépendance, se distinguer pour exister nécessitait aussi de réaffirmer l’indépendance nationale. Ce fut fait en 1965, lors du « redressement révolutionnaire » de Houari Boumediene, qui rompit la dépendance de l’Algérie vis-à-vis du nassérisme. Néanmoins, le « socialisme spécifique » algérien revendiqué alors ne suivait pas des lignes exclusivement idéologiques. Dans L’Algérie, les États-Unis et la France, le politologue Amine Aït-Chaalal[4] rappelle qu’Alger considérait déjà qu’il était important de dissocier, au moment de la construction de l’État postcolonial, les aspects « politico-idéologiques » des relations « techniques, commerciales et financières » avec le reste du monde. Cette coexistence entre réalisme et constructivisme est présente aujourd’hui dans la relation avec les monarchies conservatrices du Golfe. En dépit de différences politiques fondamentales, y compris depuis les révoltes arabes, liens et dialogues persistent. Les forums diplomatiques, telle la Ligue arabe, restent le lieu privilégié de l’expression des désaccords et de la quête du consensus, même a minima, au sein du monde arabe. L’abstention est préférée à l’opposition radicale sur les questions actuelles du Moyen-Orient et du Maghreb, comme la négociation l’était au moment des Accords d’Alger de 1975 entre l’Iran et l’Irak ou lors de la crise des otages américains en Iran en 1979-1981.
La position de l’Algérie au sein de la Ligue arabe reste tributaire des principes de non-ingérence, de non-intervention et de règlement pacifique des conflits qui caractérisent sa diplomatie multilatérale. L’Algérie a ainsi refusé, ces dernières années, de participer à l’intervention au Yémen et, prise dans l’opposition entre régimes sunnite et chiite, elle a, comme le Liban et l’Irak, émis des réserves lorsque la Ligue arabe a déclaré le Hezbollah « groupe terroriste ». Il ne semble donc jamais y avoir de rupture irrévocable, ni d’exclusion définitive, dans sa ligne diplomatique. Cela renvoie probablement à la nature du système politique algérien, où la collégialité – même précaire, et souvent changeante – a toujours servi les stratégies internes de consolidation du pouvoir.
Les deux credo de la politique extérieure
La protection du territoire
Protéger son territoire des incursions des groupes armés, des trafics d’armes et de drogue, de la contrebande (carburant ou exploitation illégale de mines d’or de la région de Tamanrasset), c’est là aujourd’hui la priorité de la politique régionale algérienne. Deux grandes nouveautés illustrent ce changement d’attitude : d’une part, l’Algérie redécouvre son Sud à travers la multiplication des menaces transnationales et, d’autre part, elle prend en charge les troubles politiques et sécuritaires de la région afin de stabiliser son environnement. Cette politique est active dans la promotion de ses principes et réactive face aux menaces de plus en plus pressantes. Elle dévoile, surtout, de subtiles adaptations à un environnement changeant.
Ainsi, les attentats de Ouargla et de Tamanrasset en 2012 et la prise d’otages sur le site gazier de Tinguentourine, près d’In Amenas, en 2013, ont-ils constitué un choc particulier pour l’Algérie et ses partenaires, d’autant plus que les assaillants sont entrés depuis le territoire libyen. Depuis, organiser de difficiles négociations entre les autonomistes touaregs et le gouvernement de Bamako, consentir des prêts à taux zéro à la Tunisie révolutionnaire, accompagner les négociations entre acteurs de la transition en Libye et participer aux négociations inter-libyennes dénotent autant de l’évolution de la stratégie de non-ingérence algérienne que de la défense de ses principes de souveraineté et de non-intervention. De cette manière, Alger reste fidèle à sa doctrine reconnaissant des États et non des régimes, tout en assumant les responsabilités d’hégémonie qu’elle s’assigne dans l’aire maghrébine et qui lui font mettre ses ressources – politiques, diplomatiques, financières et militaires – au service de la sécurité collective.
Conserver une hégémonie régionale
L’absence d’une politique régionale de l’Union du Maghreb arabe (UMA) est l’un des points faibles de la région. Elle est la conséquence de la rivalité algéro-marocaine qui perpétue la « résilience du non-Maghreb », selon les mots de la chercheure et politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche[5]. Elle provient aussi de l’inadaptation des découpages régionaux suite à la redécouverte du Sahara, que l’urbanisation et les circulations ont fait entrer dans la mondialisation. Dans ce contexte, le maillage complexe des organisations régionales entre le Maghreb et le Sahel devient illisible face aux menaces sécuritaires de plus en plus pressantes. La constitution du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina-Faso) et de sa force militaire régionale, avec l’appui français, répond en partie à la faiblesse de l’intégration sahélienne et maghrebo-sahélienne.
Car si les ponts existent entre pays de la région, tous ne sont pas concernés au même titre. Au sein de l’UMA, les ministères de l’Intérieur communiquent et échangent des informations sur les questions sécuritaires ; l’Unité de Fusion et de Liaison (UFL), qui regroupe l’Algérie et les pays sahéliens, est un forum efficace au niveau de la sécurité régionale. La coopération entre l’Algérie et les États occidentaux n’a jamais cessé en dépit des oscillations des relations bilatérales. Les comités frontaliers bilatéraux entre l’Algérie et ses deux voisins du sud, le Mali et le Niger, offrent des canaux d’échanges réguliers et importants dans une zone marquée par les liens tribaux transfrontaliers, les économies grises et les mobilités humaines. Le droit de suite a été utilisé à plusieurs reprises dans la région. La frontière orientale de l’Algérie fait l’objet d’une coopération poussée avec la Tunisie pour accompagner la professionnalisation des unités anti-terroristes. Les presses internationale et algérienne ont rapporté des opérations spéciales des forces algériennes en Libye, en coordination avec les forces américaines et françaises. L’ensemble de ces actions témoigne de l’importance de la révision de la politique régionale algérienne, mettant un terme à un isolationnisme intenable depuis la désagrégation de la Jamahiriyya kadhafienne qui laissait l’espace stratégique régional sans dirigeant doté de moyens suffisants.
C’est un sentiment d’encerclement, renforcé par la dégradation des relations avec le Maroc après le rapprochement éphémère de 2011, qui a incité Alger à s’investir plus largement dans sa périphérie saharienne et méditerranéenne. Auparavant, les chancelleries occidentales lui reprochaient d’être trop faiblement impliquée, alors que la Constitution et sa culture politique l’empêchaient d’intervenir au-delà de ses frontières. Mais la déstabilisation de l’aire Maghreb-Sahel et la volte-face du mouvement touareg Ansar Eddine entre décembre 2012 et janvier 2013, qui s’est rapproché d’Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique) au détriment de l’Algérie, ont été les déclencheurs d’une plus grande implication algérienne dans la gestion de la sécurité régionale.
Ainsi tous les moyens ont-ils été mis à la disposition de l’état-major pour assurer la sécurité nationale et surveiller les frontières. La défense, depuis longtemps le premier poste budgétaire de l’État algérien, est en progression constante, jusqu’à 11 milliards de dollars en 2016. L’Algérie reste de très loin à la première place du classement des États africains au regard de leurs dépenses militaires, qui comptent pour la moitié de celles de l’ensemble du continent ! Dans ces conditions, il a fallu modifier la répartition des ressources militaires en même temps que les risques sécuritaires se déplaçaient de la façade occidentale aux confins méridionaux et orientaux. Ce changement d’objectif s’est traduit par un appui logistique, notamment par la livraison de carburant aux troupes de l’intervention franco-africaine au nord du Mali et par l’ouverture de l’espace aérien algérien aux avions de l’intervention franco-africaine, à laquelle Alger a pourtant été longtemps opposée.
Les frontières avec la Libye et le Mali ont été fermées et des milliers d’hommes y ont été déployés. Ces deux zones ont connu une réorganisation administrative et deux sous-régions militaires dotées de postes avancés modernes ont été créées pour favoriser des interventions rapides en cas d’incursion de groupes armés sur le sol national. Notons enfin que la contestation sociale, jusque-là cantonnée au nord du pays, s’est propagée dans le Sud, marquée notamment par une opposition à l’exploitation du gaz de schiste dans la région d’In Salah, un mouvement de chômeurs parti de Ouargla et des troubles dans le Mzab.
Les deux défis à surmonter
L’intégration régionale
Deux défis attendent la politique régionale algérienne dans la région du Maghreb et du Sahel. Le premier, et le plus difficilement surmontable, reste celui de l’intégration régionale maghrébine. La Guerre des sables entre l’Algérie et le Maroc a été vécue en 1963 comme une trahison par Alger, au moment où la construction des institutions apparaissait comme la tâche première de l’Algérie et où la population scandait : « Sept ans, ça suffit ! ». Fruit d’un malentendu territorial hérité de la colonisation, cette brève guerre entre les deux voisins mettait aux prises deux jeunes nationalismes à la recherche d’une position dominante en Afrique du Nord, alors que les liens historiques, culturels et familiaux entre les deux États sont probablement parmi les plus intenses de la région. Ceci explique que la perception de l’agressivité diplomatique et discursive des uns et des autres demeure si aiguë et qu’un demi-siècle plus tard, les relations algéro-marocaines ne trouvent pas d’apaisement.
Si l’UMA existe bien, elle reste un « tigre de papier » faisant manquer deux points de croissance annuels aux États du Maghreb. Parallèlement, la permanence d’une course aux armements entre le Maroc et l’Algérie depuis le début des années 2000, les tensions autour de la frontière commune et les discours publics parfois enflammés sont le quotidien du versant affiché de la relation algéro-marocaine. Cristallisées autour du Sahara occidental, le plus ancien conflit irrésolu en Afrique, leurs mauvaises relations bilatérales freinent tout décollage du régionalisme maghrébin, laissant la place à une régionalisation ambiguë entre trafics prospères et populations impuissantes. Le maintien de cette rivalité repose autant sur une lutte pour l’hégémonie régionale que sur des enjeux de légitimation interne. Ressort facile des sentiments nationalistes, elle est traversée par des considérations de puissance. Quand le Maroc lance l’Institut Mohammed VI, l’Algérie forme des imams sahéliens à Tamanrasset ; quand Rabat érige une barrière de trois mètres de haut pour se protéger des infiltrations terroristes, Alger creuse une tranchée de sept mètres de large pour compliquer la tâche des trafiquants.
Cette rivalité rend impossible la coopération au sein d’institutions maghrébines communes. Le Maroc est exclu du Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) créé par l’Algérie à Tamanrasset et de l’UFL[6] basée à Alger, tandis que l’Algérie ne fait pas partie de la Communauté des États saharo-sahéliens, originellement lancée par Mouammar Kadhafi et reprise en main par Rabat. Parallèlement, le Processus de Nouakchott, créé pour mettre en place une coopération politique et militaire entre les États maghrébins (exceptés le Maroc et la Tunisie), saharo-sahéliens et ouest-africains, avance à un rythme insuffisant. Ce retard est l’une des raisons de la création du G5 Sahel à l’instigation de Paris afin de rassembler des pays sahéliens qui ne disposent cependant pas des moyens financiers, humains, matériels et de renseignement de leurs voisins maghrébins, familiers des mouvements islamistes et terroristes.
Les crises malienne et libyenne
Le second défi à relever concerne les processus de paix au Mali et en Libye. Les Accords d’Alger conclus en 2015 sur le Mali fixent un cadre général devant mener à une décentralisation administrative du pays ; mais son application reste tributaire de la bonne volonté du gouvernement central de Bamako. Or il semble, au contraire, reproduire les pratiques clientélistes des régimes précédents. La propagation de l’insécurité dans le Sud malien et l’ensemble de la sous-région, ainsi que la nouvelle coordination des groupes terroristes annoncée en mars 2017, informent quant à elles du caractère durable de l’implantation des acteurs salafistes et jihadistes dans la bande sahélienne. L’opération militaire française « Barkhane » a certes porté d’importants coups aux jihadistes, mais l’absence d’un volet politique explique que les sources du mécontentement populaire et de l’irrédentisme n’aient pas disparu face à des acteurs sahéliens dont l’autonomie est discutée et discutable.
La situation en Libye, où prolifère le trafic d’armes et s’épanouissent les groupes armés, semble s’enliser en dépit de la nomination d’un gouvernement d’union nationale, car celui-ci n’a pas réussi à asseoir sa légitimité face à l’ensemble des acteurs libyens. Parallèlement, les ambitions du maréchal Khalifa Haftar, chef autoproclamé de l’Armée nationale libyenne, restent floues, même s’il combat effectivement les groupes terroristes. L’intensification du trafic d’armes en Libye et les risques d’attaques terroristes sur le flanc sud de l’Algérie demeurent une menace non négligeable pour la sécurité du pays. En continuant à favoriser une politique de dialogue inclusif en Libye et en multipliant les efforts diplomatiques avec les pays voisins de la Libye, Alger espère contribuer à rapprocher les protagonistes de la guerre civile libyenne. Or le conflit se joue également entre Touaregs et Toubous, au sud de la Libye, où les raisons du conflit ignorent en partie les enjeux politiques des négociations entre les acteurs du Nord. Les bombardements américains d’août 2016 ont par ailleurs permis d’empêcher l’enracinement du groupe État islamique en Libye, mais les différentes factions se réclamant d’al-Qaïda y possèdent toujours leur sanctuaire et y trouvent des sources de financement.
L’Algérie, État-pivot de la région ?
Les partenaires extérieurs de l’Algérie sont convaincus que celle-ci est un État-pivot de la géopolitique régionale ; mais c’est un pivot non exempt de faiblesses. D’une part, sa situation intérieure reste, à court ou moyen terme, inconnue. D’autre part, comme d’autres États rentiers, la baisse durable des cours des hydrocarbures remet en cause les orientations économiques qui pariaient sur la création de grands projets d’infrastructures financés à grands frais, sans toujours obtenir les résultats escomptés. Le Fonds de régulation des recettes (FRR), fonds souverain algérien, est épuisé depuis la fin de l’année 2016. La chute vertigineuse du dinar algérien, plus encore sur le marché parallèle que sur le marché officiel des changes, n’a pas entraîné de réaction rapide de la Banque d’Algérie et l’État a lancé en 2017 un emprunt obligataire sur le marché national, favorisant au passage la normalisation de richesses obtenues dans l’économie informelle. Globalement, l’état de l’économie est source d’inquiétude. Ajoutons que l’informel représente la moitié des échanges : un quart du carburant produit en Algérie est exporté en contrebande dans les pays frontaliers…
Si la contestation sociale semble s’être affaiblie progressivement depuis les révoltes arabes, l’inflation, la baisse des subventions publiques aux carburants et aux produits de première nécessité et la polarisation entre les élites et les classes populaires témoignent de la morosité du climat. Parallèlement, la réémergence d’une classe moyenne, notamment grâce aux fortes augmentations des salaires de l’ensemble des secteurs publics, apparaît insuffisante pour contrecarrer les tendances centrifuges d’une partie de la société. Plusieurs lames de fond la traversent et contribuent à sa mutation : l’entrée importante des femmes sur le marché du travail[7], le renouvellement de la société civile, la fragmentation de l’opposition politique officielle, le développement de la contestation dans le Sud… C’est seulement par une refondation du rapport des citoyens algériens au politique que pourra s’opérer une régénération du régime et de sa politique extérieure.
Cette situation, au moment où l’avenir du pouvoir est incertain, inquiète les autorités, qui rappellent d’ailleurs régulièrement les fondements de l’identité algérienne. En mai 2016, le général Ahmed Gad Salah, chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, soulignait les « lignes rouges » – intégrité territoriale et cohésion du peuple – que personne ne saurait franchir. Son discours visait à soutenir le moral des troupes et à réaffirmer l’unité nationale face à un environnement inquiétant. Le président Abdelaziz Bouteflika abondait dans le même sens lors de la fête nationale du 5 juillet 2017, soulignant la détermination des institutions pour faire face aux « foyers de terrorisme et de réseaux de narcotrafiquants [qui menacent] l’intégrité du territoire et de son peuple ». Ces discours traditionnels ne doivent cependant pas masquer les évolutions notables, ces dernières années, de la politique extérieure, qui connu plusieurs oscillations en intensité tout en apparaissant stable dans ses principes et ses fondements. Pour Alger, selon Abdenour Benattar[8], le dilemme est le suivant : « Respecter le principe de non-intervention hors de ses frontières, tout en protégeant le territoire et les intérêts nationaux des menaces qui proviennent hors de ces mêmes frontières ».
Aujourd’hui, les principes traditionnels de non-ingérence dans les affaires internes des autres États, de non-intervention militaire au-delà des frontières de l’Algérie et de refus d’intervention extérieure ne sont plus une certitude : face à un environnement instable, ils font l’objet d’une reconsidération de facto. Dépeinte comme une diplomatie menée sur des bases idéologiques, la politique extérieure algérienne n’en est pas moins toujours teintée d’un pragmatisme certain, qui ne ferme pas plus les couloirs de communication qu’elle n’ouvre son centre aux influences extérieures. Indépendante, elle reflète l’identité politique de l’État mais s’inscrit surtout dans les fluctuations des environnements régionaux et internationaux dans lesquels elle évolue.
[1] Anthropologue, sociologue, enseignant à l’IEP d’Aix-en-Provence et directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’Algérie, Bruno Étienne fut l’un des premiers politologues à s’intéresser à l’islam comme fait politique. Fondateur de l’Observatoire du religieux au sein de l’Université d’Aix, on lui doit les expressions « islam de France » et « islamisme radical ».
[2] Bruno Étienne, Algérie, Cultures et révolution, Seuil, Paris, 1977.
[3] Matthew Connelly, A Diplomatic Revolution, Oxford University Press, 2003.
[4] Amine Aït Chaalal, L’Algérie, les États-Unis et la France. Des discours à l’action, Publisud, Alger, 2000.
[5] Voir Mireille Duteil et Louisa Dris-Aït Hamadouche : « Le système algérien, un délicat équilibre au pouvoir », dossier L’Algérie des incertitudes, Les Cahiers de l’Orient n°128, automne 2017.
[6] L’Unité de Fusion et de Liaison est composée des services de renseignement des quatre pays du champ sahélien (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger).
[7] Voir Feriel Larami : « Femmes algériennes, un tableau contrasté », dossier L’Algérie des incertitudes, Les Cahiers de l’Orient n°128, automne 2017.
[8] Chercheur associé au Centre de recherche en économie appliquée et en développement (Cread).
Par : Salim CHENA
Source : Les Cahiers de l'Orient
Mots-clefs : algérie, algérienne, Géopolitique, politique extérieure, résilience