Quelles sont les conditions à réunir pour saisir les opportunités offertes par les ressources minérales marines ? Cette question irrigue et structure la réflexion menée par cet article qui en explore les diverses facettes : technologique, scientifique et politique.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont: Alexandre Luczkiewicz, « Ressources minérales marines: de nécessaires innovations et ruptures technologiques », Centre d’étude stratégique de la Marine, Juin 2017.
Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site du CESM.
Ressources minérales marines : de nécessaires innovations et ruptures technologiques
« Il existe au fond des mers des mines de zinc, de fer, d’argent, d’or, dont l’exploitation serait très certainement praticable. »
Jules Verne – Vingt mille lieues sous les mers, 1869.
S’il est des richesses qui ont fait couler beaucoup d’encre, ce sont bien les ressources minérales marines. Elles sont de trois types : tout d’abord les nodules polymétalliques, que l’on trouve majoritairement dans le Pacifique, posés sur le fond océanique sous forme de champs de concrétions riches en nickel, manganèse ou cobalt de la forme et de la taille d’une boule de billard. Les encroûtements cobaltifères ensuite, concentrations de dépôts de minerais en épaisses croûtes que l’on trouve par des profondeurs variant entre 400 et 4 000 mètres, en surface des monts sous-marins isolés et des alignements volcaniques, particulièrement dans les régions Ouest Pacifique. Enfin, les sulfures hydrothermaux, minéralisations sulfurées qui se sont formées au fur et à mesure des dépôts rejetés par les cheminées actives des dorsales océaniques à des profondeurs comprises entre 800 m et 4 100 m.
L’intérêt pour ces ressources s’est manifesté par étapes : les premières découvertes de ressources minérales marines au fond des mers remontent à la fin du XIXe siècle, avec les expéditions scientifiques du H.M.S. Challenger menées par l’Écossais Sir Charles Wyville Thomson. Il faut cependant attendre la fin des années 1950 et le début des années 1960 pour que le milieu scientifique et l’industrie commencent à s’y intéresser. L’américain John Méro joue un rôle important en parvenant à convaincre de l’intérêt économique[1]des nodules polymétalliques, première ressource identifiée comme exploitable à l’époque, puisqu’il ne fallait que les « ramasser » (avec une estimation de l’ordre de 500 milliards de tonnes de nodules au fond des mers pour Alan A. Archer en 1981).
Les premières sociétés intéressées sont Kennecott et Newport Shipbuilding Company (1962) qui commencent à mener des campagnes d’échantillonnage, alors que les universitaires américains Fuerstenau et Arrhenius travaillent sur la géochimie de ces concrétions et sur leur traitement métallurgique. Comme l’exploration et l’exploitation des nodules polymétalliques demandent des budgets importants, les sociétés minières se constituent en consortium internationaux dans les années 1970 avec l’International Nickel Corporation (INCO), l’Ocean Management Inc. (OMI), l’Ocean Minerals Company (OMCO) et pour la France, l’Association française pour l’étude et la recherche des nodules océaniques (AFERNOD).
Lieu de formation des différents types de ressources minérales marines
En parallèle, les instituts de recherche mènent de grandes campagnes océaniques, à l’image du CNEXO (Centre national pour l’exploitation des océans), ancêtre de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), qui explore les fonds marins dans le Pacifique Sud, puis Nord.
Il apparaît, au-delà de ce court rappel historique, que l’on assiste depuis plus d’un siècle à une « course aux abysses », à la fois course de relais et course olympique. Olympique, car c’est une course de très haut niveau, de dimension internationale, et de relais car la progression se fait nécessairement par étapes successives.
Considérons pour les années en cours et à venir trois caps, trois ruptures incontournables:
- un cap technologique, car les ressources potentiellement exploitables se trouvent à de très grandes profondeurs et dans un milieu naturel, par essence, hostile à l’homme ;
- un cap environnemental qui couvre à la fois le champ de la connaissance scientifique et la protection du milieu marin ;
- un cap « politique», avec des enjeux de gouvernance.
L’objectif final correspond à un défi majeur : répondre au besoin croissant en matières premières induit par les croissances économique et démographique mondiales, s’inscrivant naturellement dans une logique de diversification des sources d’approvisionnement et, à terme, dans un contexte d’épuisement des ressources à terre.
L’opportunité d’exploiter ces ressources minérales marines ne peut être ignorée : les sulfures hydrothermaux contiennent des concentrations de minerais avec des indices que l’on estime bien plus élevés qu’à terre[2], tant sur des métaux dits « de base » (zinc, cuivre, cobalt, manganèse, baryum, or, argent) que sur des métaux dits « critiques », c’est-à-dire avec un potentiel technologique élevé (indium, germanium, cadmium, antimoine, mercure, sélénium, molybdène, bismuth). Nos smartphones, tablettes électroniques, ordinateurs, éoliennes ou panneaux photovoltaïques par exemple étant construits sur la base de composants eux-mêmes fabriqués à partir des plus rares de ces métaux.
Nos smartphones regorgent de minerais rares présents en mer
Si la France est engagée depuis les années 1970 dans cette course, elle n’est pas la seule : d’autres grandes puissances comme la Corée, le Japon, la Russie, l’Allemagne, la Chine et le Royaume-Uni ont bâti de véritables stratégies nationales en ce domaine.
Quelles technologies innovantes pour découvrir le fond de nos océans ?
Pour exploiter ces ressources, nous devons tout d’abord passer un obstacle technologique. Nous savons en effet que ces richesses se trouvent par de très grandes profondeurs, avec une très forte pression hydrostatique, dans un milieu naturel encore largement inconnu.
Il est donc nécessaire de développer des technologies qui aujourd’hui n’existent pas, sont à l’étude, ou encore requièrent de véritables modifications ou adaptations pour répondre aux besoins de l’exploration/exploitation minière sous-marine. En fait, c’est tout un ensemble de technologies marines complexes, associant des moyens hauturiers et des moyens sous-marins, dont nous avons besoin.
En phase amont, c’est-à-dire d’exploration, il faut des technologies de reconnaissance et de cartographie du milieu, d’identification et de quantification des gisements sous- marins, de monitoring de l’environnement où se trouvent ces minéralisations et de quoi effectuer des prélèvements d’indices de minerai.
En phase d’exploitation, il faut des liaisons fonds-surface, des engins miniers autonomes, de l’alimentation énergétique et des moyens de communication.
En phase aval, on peut imaginer des navires équipés pour traiter le minerai à bord pendant qu’il est transporté à terre.
Les innovations et avancées technologiques du secteur de l’oil & gas offshore peuvent bénéficier à la future filière d’exploration et d’exploitation des ressources minérales marines, mais demandent à être encore améliorées et surtout adaptées. Par exemple, les conduites flexibles ne sont pas compatibles avec les matériaux durs et abrasifs qui seront extraits des fonds des mers et il en est ainsi de bien d’autres applications.
Par ailleurs, il n’est pas envisageable d’envoyer des hommes sur des gisements reposant par 2000 mètres de fond, ce sont donc des machines excavatrices autonomes qui feront le travail. Et pour faire fonctionner ces outils de très haute technicité, il sera nécessaire de les alimenter en énergie et en communication par le biais d’ombilics de puissance.
Concernant les navires hauturiers chargés de faire opérer sur les champs sous-marins les outils pré-cités, les supplies ou câbliers pourraient tout à fait être affrétés après adaptations. Cependant, on peut noter qu’un nouveau type de navire est en train de voir le jour (si tout va bien, sortie des chantiers chinois fin 2017 !), tel le Mining Supply Vessel ou Production Support Vessel, premier du nom, commandé par la société Nautilus Minerals.
Ces projets innovants sont très consommateurs de crédits pour cause de R&D. C’est pour répondre à ce défi stratégique, dans une logique de développement d’entreprises porteuses d’innovations majeures et de ruptures et dans la lignée du rapport de la Commission innovation 2030[3] (présidée par Anne Lauvergeon), qu’un Concours mondial de l’innovation a été lancé en France en avril 2013, couvrant huit thèmes, dont « la valorisation des richesses marines ».
Ce concours a comporté, et comporte, trois phases – amorçage, levée des risques, développement – et vise à « financer des projets innovants portés par des entreprises et à créer les “champions” français de demain, créateurs de valeur, d’exportations et d’emplois. »[4]
À l’heure où ces lignes sont écrites, un premier concours a atteint la phase 3 et a permis de commencer à financer de nombreux projets innovants. Un deuxième round, lancé en 2016, se trouve actuellement en phase 2.
On peut donc avoir un espoir certain quant aux premiers financements des projets permettant de compléter les briques technologiques existantes et d’aboutir prochainement à la mise en place d’un pilote industriel complet pour l’exploration et l’exploitation des ressources minérales marines. Cependant, cela ne pourra se faire que si, et seulement si, du point de vue environnemental, les conditions sont réunies.
Des actions raisonnées et raisonnables pour l’environnement marin ultra-profond
La France peut se targuer de disposer depuis les années 1970 d’un ensemble exceptionnel de connaissances scientifiques des grands fonds marins, tant au niveau de la faune que de la flore, et de posséder une véritable expertise en métallogénie marine, au travers notamment des travaux menés par l’Ifremer.
Et pourtant, on a l’habitude de dire, avec justesse, que l’on connaît mieux la surface de la planète Mars que le fond de nos océans. Reste que si les grandes campagnes océanographiques ont permis de mettre au jour l’existence des ressources minérales marines dans les grandes profondeurs, l’exploration pour identifier des sites comportant des minéralisations concentrées, la quantification des gisements et l’étude des écosystèmes, puis l’exploitation de ces ressources vont amener leur lot de nouvelles connaissances.
Sans se focaliser sur les enjeux scientifiques ou industriels, qui sont aussi des enjeux de ruptures au regard de la faible connaissance que nous avons des fonds marins, il faut bien imaginer que dans les deux phases qui nous intéressent – exploration et exploitation – la dimension de l’environnement sous-marin est primordiale.
Car il faut être lucide : nous devons d’une part approfondir nos connaissances concernant l’écosystème benthique, c’est-à-dire les organismes vivant sur les fonds marins, et d’autre part étudier les conditions de réalisation d’une exploitation des ressources minérales marines. Une étude[5] menée par l’Ifremer et le CNRS ne rapporte- t-elle pas que les « activités minières en milieu profond généreraient des impacts de différents niveaux sur l’environnement et sur la biodiversité, dont la destruction locale des habitats et des écosystèmes associés ainsi que la perturbation du milieu (colonne d’eau et fonds) et de la diversité biologique » ?
De même, un rapport[6] de l’IRD insiste « sur la nécessité de développer les connaissances, encore insuffisantes, afin de combler des lacunes scientifiques (impacts sur les écosystèmes susceptibles d’être perturbés par l’exploitation éventuelle des ressources) ».
Au niveau international, cette préoccupation est prise en compte notamment par le réseau INDEEP[7], réseau scientifique collaboratif mondial consacré à l’acquisition de données, à la synthèse de connaissances et à la communication de découvertes sur la biologie et l’écologie des grandes profondeurs marines.
En lien avec les ruptures technologiques, considérons donc l’exploration et l’exploitation minières sous-marines comme autant d’opportunités pour découvrir et comprendre les écosystèmes ultra profonds, combler les lacunes dans les connaissances fondamentales et appliquées, mais également pour mettre en place des outils techniques (monitoring de l’environnement des grandes profondeurs) et réglementaires (procédures innovantes des études d’impact environnemental).
C’est d’ailleurs dans cet esprit que l’Autorité internationale des fonds marins[8] travaille actuellement à l’édification d’un code réglementaire pour l’exploitation des ressources minérales marines, comportant un volet essentiel en matière de précaution environnementale.
Un nécessaire besoin de gouvernance et de stratégie politique
Créée en 1982 conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) est une organisation internationale intergouvernementale autonome, dont les missions précisées par l’Accord de 1994 relatif à l’application de la Partie XI [9] (dispositions « fonds marins » de la Convention) sont d’organiser et de contrôler toutes les activités relatives aux ressources minérales et activités connexes (exploration, transport) dans la zone internationale des fonds marins hors des limites de la juridiction nationale.
L’AIFM est composée de 168 États-membres, fonctionne avec deux organes principaux qui établissent les politiques et régissent ses travaux : d’une part l’Assemblée, dans laquelle tous les membres (dont la France) sont représentés et d’autre part, un conseil de 36 membres élus par l’Assemblée, choisis de manière à assurer une représentation équitable des pays de différents groupes, dont ceux déjà engagés dans l’exploration minière des fonds marins et ceux qui disposent de fonds riches en ressources minérales marines. Elle dispose aussi d’une Commission juridique et technique et d’une Commission des finances.
Cet organe est singulier, car en plus de mettre en place une politique de gouvernance au regard des grands fonds marins, c’est l’AIFM qui examine les demandes de prospection dans les eaux internationales. Elle contracte directement avec les pays, s’assurant du suivi et du bon déroulement des règles édictées dans ces contrats. Sa singularité tient aussi à son rôle de gardienne de cette part de « patrimoine commun de l’humanité » que sont les ressources minérales marines (déclarées comme telles par l’ONU).
En matière de réglementations et d’analyses, beaucoup de choses restent à construire puisque nous sommes sur un domaine encore très prospectif. L’AIFM produit dans cet esprit des textes législatifs, des recommandations et dissémine les bonnes pratiques à destination des pays intéressés par le sujet. Une des prochaines étapes est la mise en place d’une réglementation au regard de l’exploitation des mines sous-marines.
L’Union européenne quant à elle s’intéresse aussi à ce sujet, identifié comme l’un des leviers principaux pour une croissance durable et la création d’emplois pour les générations futures. La Commission européenne est ainsi engagée[10] dans nombre d’études et de projets visant à préciser les avantages, les inconvénients et les écarts de connaissances associés à l’exploration et l’exploitation minières sous-marines. Par ailleurs, il est important de signaler, au titre des coopérations européennes, que le Cluster maritime français et la Deep Sea Mining Alliance allemande ont signé en octobre 2015 un protocole d’accord sous la forme d’un MoU (Memorandum of Understanding), alors que le représentant du gouvernement français signait simultanément, avec son homologue allemand, une lettre d’intention sur ce sujet.
Au niveau national, en France, c’est le code minier qui régit l’exploration et l’exploitation des mines terrestres et sous-marines. Un chantier de réforme de ce code minier est en cours, visant notamment à le mettre en conformité avec la Charte de l’environnement. Cela rentre en résonnance avec la décision prise lors du Conseil interministériel de la mer (CIMer) de juin 2011 d’élaborer une stratégie nationale sur les ressources minérales profondes, qui fut approuvée et publiée[11] lors du CIMer du 22 octobre 2015. Concrètement, cela s’est traduit par le suivi du permis « nodules » dans la zone de Clarion-Clipperton, qui vient d’être renouvelé à l’été 2016, et celui du permis « sulfures » sur la dorsale volcanique médio-atlantique, signé à l’été 2012 avec l’AIFM. L’Ifremer vient d’ailleurs d’engager à cet égard le Pourquoi Pas ? dans la campagne « Hermine », embarquant une équipe pluridisciplinaire de chimistes, de géologues et de biologistes.
On peut espérer que ces initiatives sont les premières étapes de la mise en œuvre d’une véritable stratégie d’exploration et d’exploitation des ressources minérales profondes.
Conclusion
Si la France dispose aujourd’hui de deux permis internationaux « nodules » et « sulfures », sans compter des zones comportant des indices favorables de minéralisation dans ses eaux territoriales ou ZEE (notamment à Wallis & Futuna et en Polynésie française), véritables réserves foncières en minerais stratégiques, si elle dispose aussi de professionnels de premier rang aptes à constituer une filière à la fois complète et d’excellence, elle n’est cependant pas la seule lancée dans cette course aux abysses ni la plus en avance. 26 pays sont contractants avec l’Autorité internationale des fonds marins, parmi lesquels l’Allemagne, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, le Japon et la Russie par exemple.
L’exploitation des ressources minérales marines peut être, on l’a vu, une réponse aux enjeux de la croissance de demain, tant au niveau des matières premières, de plus en plus rares, qu’au niveau de la diversification de leurs sources d’approvisionnement.
Le Cluster maritime français[12] travaille depuis octobre 2011 avec les acteurs de cette filière d’avenir à faire avancer au niveau international et national les projets de mines sous-marines, notamment à travers un gap analysis, feuille de route technologique mettant en lumière les différentes étapes sur les plans technique, politique et environnemental, permettant de développer un véritable projet de dimension industrielle et durable. Il est, comme cela a été confirmé dans la Stratégie relative à l’exploration et à l’exploitation minières des grands fonds marins[13], en lien direct sur ce sujet avec le Secrétariat général de la mer.
Espérons que la France se dotera encore plus et mieux des moyens nécessaires à l’application de cette stratégie et accélèrera son action, par exemple en programmant des plans de financement suffisants pour le développement d’une industrie d’avenir. Elle tiendra ainsi la promesse réaliste d’une filière nationale d’excellence à l’horizon 2030.
References
Par : Alexandre LUCZKIEWICZ
Source : Centre d'études stratégiques de la Marine
Mots-clefs : cobalt, environnement, Marine, Maritime, minéraux, nodule polymétallique, océans, Ressources, stratégie politique