Intégrations économiques, migratoires et sécuritaires au Sahara-Sahel : Diagnostics, prospectives et politiques

Mis en ligne le 20 Nov 2017

Le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) de l’OCDE a accueilli le 29 septembre dernier le CSFRS pour un colloque sur les questions régionales sahélo-sahariennes dont cet article reprend les principaux enseignements. L’auteur met en perspective les résultats de deux études financés et pilotés par le CSFRS ainsi que la teneur des débats qui ont suivis leur présentation. Ces deux études sont disponibles également sur Geostrategia / La Bibliothèque.

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Laurent Bossard, « Intégrations économiques, migratoires et sécuritaires au Sahara-Sahel : diagnostics, prospectives et politiques », OCDE-CSAO/SWAC, octobre 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’OCDE.

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Intégrations économiques, migratoires et sécuritaires au Sahara-Sahel : Diagnostics, prospectives et politiques

 

 

Le Sahel est aujourd’hui au cœur des préoccupations africaines et mondiales. L’urgence d’agir face à la complexité croissante des enjeux et de leurs interactions, mobilise plus que jamais les gouvernements, les organisations régionales, la communauté internationale, la société civile et les chercheurs.

Quelle que soit l’importance de l’aide provenant de l’extérieur, les clés de l’avenir du Sahel sont entre les mains des Sahéliens. Mais le Sahel est aussi un élément important du présent et de l’avenir de l’Afrique dans son ensemble et même du monde. Depuis quelques années, cette région – longtemps méconnue et parfois oubliée – fait l’objet de beaucoup d’attention, d’un grand nombre d’études, de réunions et d’initiatives. Quant à lui, le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) s’y consacre depuis plus de quatre décennies.

Il le fait d’abord – à travers son Secrétariat – en contribuant à la compréhension des défis et des enjeux. La publication en 2014 de l’Atlas du Sahara-Sahel[1], celles plus récentes consacrées au jihadisme[2], aux insécurités[3], aux impacts de l’insécurité sur les marchés frontaliers[4], témoignent de ces contributions.

Il le fait également en facilitant le dialogue entre les chercheurs et les responsables politiques. C’est dans cet esprit que nous est venue l’idée de construire un Colloque autour de deux études financées et coordonnées par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) de l’École militaire (France) :

• Une réflexion sur l’espace : « Rassembler le désert : comment promouvoir l’intégration régionale Sahel – Maghreb » propose d’aborder la stabilisation et le développement de la région sahélo-saharienne comme une démarche intégrée et commune aux pays du Sahel et du Maghreb (Conseil européen des relations internationales).

• Une réflexion sur le temps : « Prospective des réalités sahéliennes 2030 » propose différents scénarios d’évolution des pays sahéliens à l’horizon 2030, en s’appuyant sur des critères économiques, sociaux, politiques et sécuritaires (Thierry Hommel Conseil).

Nous avons choisi de réunir une cinquantaine de personnes d’horizons divers pour débattre des résultats de ces travaux et contribuer à éclairer la réflexion des responsables politiques. Ces personnes se sont exprimées librement en laissant de côté les postures institutionnelles. C’est pourquoi nous nous sommes engagés à ne pas produire de compte rendu détaillé de ces débats. Cependant, du point de vue du Secrétariat du CSAO, les perspectives ouvertes par les deux études – et au-delà de leurs contenus spécifiques, les questions qu’elles nous incitent à aborder – sont d’une grande importance.

 

Faire correspondre l’échelle des politiques à l’échelle des défis

L’étude « Rassembler le désert » vient à point nommé pour nourrir une réflexion que beaucoup appellent de leurs vœux depuis de nombreuses années. Nous savons tous que l’instabilité sahélienne est en réalité saharo-sahélienne ; que l’Al-Quaida au Maghreb Islamique (AQMI) est une mutation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien ; que la fin du régime de Kadhafi a directement nourri l’effondrement du septentrion malien en 2012, que des milliers de Sahéliens combattent aujourd’hui en Libye, que les trafics mafieux – de drogues, de migrants – traversent le désert,…. Bref que le vase d’expansion originel des menaces est constitué de l’immense espace saharo-sahélien.

Tout cela est connu depuis longtemps et souligne la nécessité de mettre en œuvre des politiques intégrées et communes aux pays du Maghreb et du Sahel ; et par extension de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.

Cependant, l’étude du Conseil européen des relations internationales rappelle qu’une telle ambition est encore très éloignée du champ du possible du fait des rivalités politiques entre les pays du Maghreb et des intérêts divergents de ces derniers dans le Sahel. Les propositions formulées par l’étude ont le mérite d’être précises (un cadre commun des migrations Maghreb – Afrique de l’Ouest, des mécanismes de soutien aux investissements maghrébins au Sahel, une implication concrète des pays du Maghreb dans le G5 Sahel…). Elles constituent de ce fait la base d’une discussion qui devrait être poursuivie et élargie.

À cet égard, une fenêtre d’opportunité semble s’ouvrir. Le Maroc et la Tunisie ont officiellement entrepris de devenir membres de la CEDEAO. Comme le rappelle l’étude, l’Algérie a récemment organisé un forum sur les investissements algériens en Afrique (le Maroc étant en la matière très en avance). Enfin, le Maroc fait état de sa disponibilité à appuyer le G5 Sahel.
Last but not least, l’Agence française de développement s’est emparée de l’étendard du « Tout Afrique »[5] remettant en cause les approches et organisations institutionnelles étanches entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Des réflexions du même type sont en cours dans d’autres pays européens.

L’image d’un « Grand ouest-africain », entité de coopération et de développement de la Méditerranée au golfe de Guinée, commence à s’esquisser. Cette image d’une Afrique qui ne serait plus coupée en deux, est encore bien incertaine. Sur le papier elle est évidente et nécessaire ; comment imaginer que l’espace saharo-sahélien sera un jour stabilisé et prospère sans une coopération renforcée entre les pays qui le partagent ? Mais sera-telle portée – au plus haut niveau – par des leaders convaincus et convaincants ? À défaut, elle s’étiolera face aux rivalités géopolitiques, à la grande complexité des dynamiques à l’œuvre sur le terrain, aux habitudes institutionnelles.

Pourquoi ne pas commencer par le plus simple qui consiste à être concret, à parler par exemple :

• De l’achèvement de la route transsaharienne. Il existe depuis plus de trente ans un Comité de liaison de la route transsaharienne réunissant l’Algérie, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Tchad et la Tunisie.

• Mais aussi, de la faisabilité technique d’une filière viandes transsaharienne. Les pays du Maghreb importent 60 % de leur viande du marché mondial alors que les pays sahéliens regorgent de troupeaux sous-exploités.

Il appartient aux responsables politiques de faire preuve d’imagination et de poser les bonnes questions aux experts.

 

Face à l’urgence, il est nécessaire de se projeter dans l’avenir

L’étude « prospective des réalités sahéliennes » pose la question de l’utilité d’une réflexion sur l’avenir à moyen ou long terme. Il ne s’agit évidemment pas de prévoir mais – comme le souligne Futuribles – « d’intégrer le temps long dans les décisions et les actions » d’aujourd’hui. Exemple : le GIEC produit des scénarios à moyen et long terme sur l’évolution du climat ; la COP se fixe des objectifs (ne pas dépasser une augmentation de la température moyenne de 2° d’ici 2100), les gouvernements (certains en tout cas) mettent en place des programmes de diminution d’émission de CO² et de méthane. Autre exemple : dans les années 80, conscientes d’une croissance urbaine puissante et inexorable dans l’avenir, les autorités de Ouagadougou se lancent dans la construction d’un nouveau quartier à une dizaine de kilomètres au sud du centre-ville. Longtemps désert et objet de moqueries, Ouaga 2000 s’avère être aujourd’hui un modèle (sans doute critiquable) de gestion urbaine par anticipation.

Cependant, il est beaucoup plus complexe d’anticiper l’évolution de sociétés humaines que celles du climat ou du nombre d’habitants d’une ville. L’étude s’appuie sur dix variables dont on peut pondérer le poids à l’envie. Sur cette base, elle propose quatre scénarios. Beaucoup d’autres pourraient être proposés. Ceci pose une autre question : celle du « mode d’emploi » de cette approche : s’appuyer sur un scénario le plus proche possible de l’idéal pour bâtir un projet de société ? Ou construire un scénario pessimiste pour identifier les obstacles et menaces à éviter ? Dans les deux cas, il faudra ensuite décliner les politiques à mettre en œuvre pour infléchir les innombrables variables concernées ainsi que leurs non moins nombreuses interactions.

L’étude « Mali 2025 » publiée en 1999 rend bien compte de la difficulté de s’appuyer sur un scénario idéal pour formuler une politique crédible : « une démocratie consensuelle, une décentralisation réussie, une économie forte et diversifiée financée par l’épargne nationale, une balance commerciale excédentaire, un système éducatif cultivant l’excellence, etc. ». Que faire de ces bonnes intentions ? Pour autant, il apparaît que cette étude aurait pu être très utile du simple fait qu’elle s’est appuyée sur de très nombreuses interviews de Maliens de toutes classes sociales et régions du pays. Ces derniers ont exprimé leurs rêves (cf. le scénario idéal). Ils ont aussi exprimé leurs craintes ; celle-ci en particulier : « Force est de constater que nous vivons une phase d’infiltration et d’expansion de l’islamisme radical au sein de la société malienne qui doit faire craindre […] (une) menace sur la laïcité, l’intrusion du militantisme religieux dans le champ politique, […]) Un vivier pour le recrutement de cadres et sympathisants de mouvements religieux extrémistes. L’État doit prendre garde, par un certain immobilisme, de donner le sentiment que laïcité veut dire laisser-faire ». Il est facile de dire que le gouvernement et ses partenaires auraient dû entendre cet avertissement ; mais on ne peut qu’être admiratif de la lucidité et de la justesse du diagnostic.

Quoi qu’il en soit, les débats autour de l’étude « Prospective des réalités sahéliennes 2030 » ont de notre point de vue, eu le mérite de mettre sur la table la nécessité de penser l’avenir du Sahel au-delà des stratégies et des plans de développement et de stabilisation dont l’horizon temporel ne dépasse pas quelques années. On ne peut pas se contenter de gérer l’urgence même si cela est évidemment indispensable. Mais que faire et comment faire ?

 

Aborder les défis démographiques

La « variable mère », celle qui aura le plus de poids sur l’évolution des espaces, des économies et des sociétés sahéliennes est la population. C’est aussi la plus prévisible.

Il y a aujourd’hui 400 millions d’habitants en Afrique de l’Ouest ; probablement autour de 550 en 2030, 680 en 2040, 850 en 2050. Dans les dix prochaines années (2017-27) la population de la région devrait augmenter de 30 %, soit 115 millions de personnes en plus. Cette croissance inévitable s’accompagnera d’une augmentation de la mobilité qui l’est tout autant. Les migrations internes, régionales et internationales vont se poursuivre et probablement s’accélérer.

 

Réfléchir aux migrations

Il n’existe pas d’alternative miraculeuse à cette recomposition du peuplement. Dans l’histoire de l’humanité, on ne trouve aucun exemple de croissance homothétique (maintien d’une même proportion de la population sur un même territoire) durant une période de transition démographique (hors contrainte par la force). Au XIXe siècle, 60 millions d’Européens ont quitté leur pays, cependant que les villes étaient en forte croissance et que les zones rurales les plus éloignées des centres urbains voyaient leur poids démographique décroître au profit de zones plus favorables. Un processus du même type – mais plus puissant et plus rapide – est à l’œuvre et se poursuivra en Afrique subsaharienne. Quelques différences toutefois :

• Les incitations à la mobilité sont aujourd’hui beaucoup plus fortes : i) les écarts de richesse entre les territoires les plus riches et les plus pauvres n’ont jamais été aussi importants. ii); les échanges mondiaux augmentent à une vitesse sidérante – malgré quelques petites périodes ponctuelles de répit. Le commerce mondial a été multiplié par 35 au cours des 40 dernières années, le PIB mondial par 9 ; iii) les vecteurs techniques et technologiques de la circulation des idées, des hommes et des biens n’ont jamais été aussi accessibles, nombreux, divers et rapides.

Mais parallèlement…

• Les entraves à la mobilité n’ont – elles aussi – jamais été aussi fortes : i) contrairement au XIXe siècle, il n’existe plus de « pays neuf » en voie de construction et d’industrialisation, « demandeurs » de population ; ii) la perception de l’immigration dans les pays développés se dégrade.

Où et comment vivront les 550 millions d’Africains de l’Ouest de 2030 ? Et les 680 millions de 2040 ?

Dans ce contexte paradoxal où la mobilité serait à la fois « naturellement stimulée » et politiquement contrainte, la question devient existentielle pour la région – dont le Sahel–- et pour le monde. Les mutations rapides et profondes de la géographie humaine (urbanisation, migrations, territoires), donc de l’économie (y compris le marché de l’emploi), des rapports sociaux et des mentalités dans un contexte de triple incertitude à moyen terme (évolutions des grands équilibres géopolitiques mondiaux, (r)évolutions technologiques, évolutions climatiques), méritent qu’on s’y attarde pour infléchir les politiques publiques et les stratégies internationales.

 

 

 

 

 

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