Europol, institution de l’UE opérationnelle depuis 1999, permet aujourd’hui une pollinisation croisée unique entre réflexion stratégique policière et mise en œuvre de méthodes et d’outils technologiques. C’est l’idée maîtresse qu’illustrent les auteurs de cet article. Ils y exposent les différentes facettes de cette plate-forme collaborative stratégique pour la sécurité, ainsi que les enjeux clefs auxquels elle est confrontée.
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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont: Jean-Martin JASPERS et Régis PASSERIEUX, « Europol : un insoupçonné hub d’innovation collaboratif pour la sécurité de l’Europe », Centre des Hautes Études du Ministère de l’Intérieur, novembre 2017.
Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site du CHEMI.
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Europol : un insoupçonné hub d’innovation collaboratif pour la sécurité de l’Europe
Les institutions européennes étant entourées d’une réputation bureaucratique, on a du mal à concevoir à quel point Europol est devenu un centre d’expertise de très haut niveau, sous la forme d’un hub high tech collaboratif entre les pays européens et entre l’Europe et le monde, avec une exceptionnelle culture de l’innovation. En ce lieu, à La Haye (Pays-Bas) , les forces de sécurité intérieure se donnent le temps et les moyens de réfléchir à des solutions nouvelles, grâce à un regard croisé et des cultures fertilisées, libérées des vieux réflexes, y compris dans un fécond partenariat entre le privé et le public. Les idées y germent comme dans un incubateur : analyses croisées des menaces, test d’algorithmes, surveillance du darknet, méthode d’observation en commun (multi-nations) d’images captées sur internet en « open source », reconnaissance faciale, et désormais des objets… Europol est ainsi le creuset d’un aller-retour permanent entre la réflexion stratégique policière et la mise en œuvre d’outils technologiques et méthodologiques très précis.
L’Europe à la pointe des traitements de données de sécurité policière
Armée d’un état-major de près de 1000 collaborateurs provenant des États et de l’Union Européenne, doté d’un budget de 102 millions d’euros, Europol pèse désormais, vingt ans après sa création, de l’ordre du double du poids d’Interpol, né en 1945 dans la famille des Nations-Unies. A la base, il y a bien sûr la collecte d’informations en Europe, fournies par les deux millions de policiers et de gendarmes de l’Union, et de données en provenance de tiers parties (Etats-Unis, Canada, Australie…). Mais bien au-delà, recevant ces éléments d’information, les experts d’Europol les agrègent et les redistribuent vers l’Europe et le monde. Europol a acquis à cet égard un très haut niveau de respect pour son efficience et ses compétences, y compris de la part des Etats-Unis : plus de cent analystes criminels de très haut niveau, dotés des formations les plus complètes, appuyés sur des outils d’intelligence artificielle, s’y trouvent concentrés de manière exceptionnelle, sur un seul site.
La fonction analyse, très développée, vise à donner une valeur ajoutée aux informations : expertise en réseau avec les pays membres, data storage, soutien opérationnel (de l’analyse au déploiement des équipes, en passant par l’appui technologique). Le calibrage et le profilage de l’information est organisé dans un intranet hypersécurisé : SIENA (Secure Information Exchange Network Information), né en 2009, en partage avec les États. Chaque État décide qui peut y accéder. Les bases de données sont d’un volume considérable. Plus de 640.000 données (« messages ») s’y sont échangées en 2016, avec dès le premiers semestre 2017, une croissance de volume de + 35%. Elles exigent donc une très haute capacité de traitement. Le croisement des bases de données est le point d’excellence d’Europol. L’European Data Protection Supervisor veille, de l’extérieur, au respect de la qualité des données, et de leur effacement, en cas de non besoin dans une enquête judiciaire.
Au cœur du système, les officiers de liaison, représentants des pays, en interface sur place, dans des « bureaux nationaux », sont regroupés par métiers selon l’organisation du pays (gendarmes, police, douaniers). Deux cents correspondants nationaux sont présents, y compris l’ensemble des agences américaines. De même, des bureaux mobiles d’appui peuvent être déployés ponctuellement dans un pays.
Un outil majeur de lutte de lutte contre les cybercrimes et le terrorisme
La demande allant croissante, Europol s’investit désormais dans le processus même d’investigation : ainsi de la trajectoire d’un terroriste au travers de l’exploitation de son téléphone portable et de ses déplacements. Dans une enquête, Europol est en mesure de connecter opérationnellement les réseaux des différents pays, devenant pour certaines affaires une plate-forme collaborative, jusque dans l’opérationnel.
Les trois entités opérationnelles d’Europol, cyber crime (EC3), contre-terrorisme et intelligence financière, et criminalité organisée (SOC), bénéficient d’un centre opérationnel commun de coordination 24H/24, 7J/7, et puisent chacune dans un support technique permanent, l’ « information hub ». Les moyens donnés par le budget européen vont croissant.
Depuis un an, a été créé également un nouveau centre dédié à la lutte contre l’immigration illégale, qui, à titre d’exemple, tient un fichier de plus de 700 bateaux suspects susceptibles d’être utilisés par les passeurs. La surveillance sur le terrain des risques terroristes dans les flux massifs d’entrée d’immigrants est ainsi une nouvelle mission d’Europol, en soutien de Frontex et des polices de chaque pays.
Toute une équipe suit les réseaux sociaux, notamment pour la criminalité d’exploitation sexuelle et pédophile. Les fraudes à la carte bancaire sont suivies en partenariat tant avec les partenaires publics qu’avec les partenaires privés financiers. Une task force cyber, à cet effet, externe à Europol, peut s’appuyer sur la plateforme d’Europol. Europol fournit aux acteurs externes (banques, compagnies aériennes, providers, producteurs d’antivirus…) un rapport annuel sur les risques et les manières de les prévenir. Il arrive même que les compagnies high tech soumettent à Europol leurs produits en cours de développement pour permettre des « crash test » préventifs, avec un dialogue en amont.
Dans le contre-terrorisme enfin, opère une réunion de spécialistes de très haut niveau avec un suivi des réseaux sociaux, et une auscultation minutieuse du net. L’appui au traitement des données est un atout considérable, utilisé régulièrement par la France. Europol a sur le terrorisme la capacité aussi de solliciter les institutions de supervision financière américaines, pour les besoins des enquêtes européennes.
Le rapport d’Europol sur l’évolution de la criminalité européenne, l’ « OCTA », est publié tous les quatre ans et actualisé tous les deux ans, assorti de recommandations. Ce rapport va de l’analyse stratégique globale aux analyses détaillées des évolutions du crime organisé. Sur ces bases, les instances de la Commission européenne et le Parlement européen déterminent les priorités politiques, et y affectent des enveloppes financières assorties d’une liste formelle des priorités. Certaines données sont publiques, d’autres en diffusion restreinte, vers les services habilités.
La nouvelle direction d’Europol pour le mandat 2018-2023
Europol est une institution relativement récente : créée par le traité de Maastricht de 1992, cette institution de la sécurité intérieure a été opérationnelle à partir de 1999, et commencé à s’ouvrir à la coopération avec les pays tiers dès 2001, notamment les Etats-Unis à partir de 2002. Deux sujets ont fait changer de braquet Europol : le terrorisme depuis le 11 septembre 2011 et le besoin de la lutte contre la cybercriminalité. En atteignant l’âge de la maturité, après 18 ans d’expérience, Europol s’est désormais définitivement imposé comme une grande institution européenne, au rayonnement mondial, outil de « back benching » de pointe au plus haut niveau international.
Autant dire que la succession, cette année, à la direction d’Europol, exercée par l’anglais Rob Wainwright, revêt une dimension stratégique majeure. Trois hauts fonctionnaires policiers participent à la phase finale de la sélection : la commissaire générale de la police fédérale belge, Catherine de Bolle, l’ancien directeur de la police tchèque, Oldrich Martinu, chef du département de la gouvernance d’Europol, et Wil van Gemert, chef du département des opérations d’Europol, ancien directeur de la cybersécurité néerlandaise. Le Parlement européen et le Conseil de ministres de l’Union sont les dernières étapes à franchir pour diriger sur la période 2018-2023 cette instance centrale de la sécurité intérieure de l’Union Européenne.
Par : Régis PASSERIEUX , Jean-Martin JASPERS
Source : Centre des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur
Mots-clefs : cybercrimes, Europe, Europol, hub d'innovation collaboratif, Sécurité, sécurité policière, Terrorisme