African Connection

Mis en ligne le 09 Mai 2018

Cet article met en lumiĂšre une nouvelle donne du narcotrafic : la filiĂšre d’Afrique de l’Ouest. L’analyse en explore l’évolution rĂ©cente et les impacts locaux, en particulier en termes de gouvernance et de sĂ©curitĂ©. Face Ă  cette situation, les Ă©tats africains se mobilisent, avec les limites inhĂ©rentes Ă  leurs moyens ou encore avec la rĂ©alitĂ© encore embryonnaire de la coopĂ©ration rĂ©gionale. La dimension maritime de la rĂ©ponse des Ă©tats africains au narcotrafic s’avĂšre un point clef pour l’auteure.


Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont : Camille Jaulain, «AFRICAN CONNECTION», Cargo Marine, Premier trimestre 2017 – n°8, CESM

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent ĂȘtre visionnĂ©s sur le site du CESM : http://cesm.marine.defense.gouv.fr/

 


 African Connection

 

Introduction

L’épave d’un Boeing 727-200 retrouvĂ©e en 2009 au nord de Gao, au Mali, a rĂ©vĂ©lĂ© une « Mali Connection », et plus gĂ©nĂ©ralement, l’emprise du narcotrafic sur le continent africain. « Air CocaĂŻne »,
en provenance du Venezuela, transportait 10 tonnes de blanche destinĂ©es au marchĂ© europĂ©en
 La mondialisation des Ă©changes de biens et de services s’est aussi Ă©tendue aux activitĂ©s illicites Ă  l’instar du trafic de drogues. Les organisations criminelles Ă  l’origine de ces activitĂ©s sont devenues, au mĂȘme titre que les firmes, transnationales et s’appuient sur le transport maritime pour convoyer leur production.

La mer des CaraĂŻbes apparaĂźt Ă  cet Ă©gard comme l’un des carrefours principaux du narcotrafic. Assurant la liaison entre l’AmĂ©rique du Sud et du Nord, sa connexion avec l’ocĂ©an Atlantique offre un accĂšs Ă  l’Europe et Ă  l’Afrique de l’Ouest. Un atout dont les narcotrafiquants sont bien conscients au regard des quantitĂ©s de drogue saisies dans la zone.

En novembre 2016, la frégate française Germinal intercepte ainsi 780 kg de cocaïne pure à 110 milles nautiques au nord de la péninsule de la Guajira, en Colombie[1]. Depuis janvier 2016, les services français ont saisi plus de 5,6 tonnes de produits stupéfiants en mer des Antilles. Des quantités considérables destinées aux continents nord-américain et européen, les deux plus gros marchés consommateurs de stupéfiants.

La production de coca est concentrĂ©e dans les trois pays de la cordillĂšre des Andes (Colombie, Bolivie et PĂ©rou). Son dĂ©rivĂ©, la cocaĂŻne, atteint ensuite le marchĂ© nord-amĂ©ricain via le Pacifique et les CaraĂŻbes aprĂšs avoir transitĂ© par le Venezuela et l’Équateur. Ces mĂȘmes pays, ainsi que le BrĂ©sil, servent de plateforme d’acheminement pour le Vieux Continent. La marchandise transite ensuite par les Antilles d’oĂč elle est acheminĂ©e par voie aĂ©rienne ou maritime jusqu’au Cap-Vert, Ă  l’Espagne ou au Portugal.

Toutefois, la gĂ©opolitique du narcotrafic Ă  l’échelle mondiale est redessinĂ©e. Une nouvelle route de transit et de redistribution est apparue Ă  l’orĂ©e du XXIe siĂšcle : l’Afrique de l’Ouest. CaractĂ©risĂ©e par des pays aux structures Ă©tatiques quelquefois fragiles voire dĂ©liquescentes, elle est rapidement devenue une opportunitĂ© pour des narcotrafiquants confrontĂ©s Ă  des difficultĂ©s d’acheminement croissantes sur la voie Antilles-Europe.

Cette problĂ©matique concerne une zone composĂ©e de 18 États allant de la Mauritanie jusqu’au Gabon et touche principalement les pays du golfe de GuinĂ©e (CĂŽte d’Ivoire, Ghana, Togo, BĂ©nin, NigĂ©ria, Cameroun) ainsi que ceux de la façade atlantique (Cap-Vert, SĂ©nĂ©gal, Gambie[2], GuinĂ©eBissau, GuinĂ©e, Sierra Leone et Liberia). Toutefois, cette rĂ©gion n’est que la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg. Certains pays enclavĂ©s de l’Afrique subsaharienne (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) sont Ă©galement touchĂ©s par le narcotrafic devenant voie d’acheminement vers l’Europe. Cette mutation de la rĂ©gion en zone rebond est avĂ©rĂ©e, aussi bien par les saisies effectuĂ©es en mer que les arrestations de passeurs sur les vols commerciaux en direction du Vieux Continent. Bien que la palette des drogues offre un large Ă©ventail de choix, cette Ă©tude restera concentrĂ©e sur le trafic de cocaĂŻne qui demeure Ă  ce jour la principale substance illicite saisie en mer et Ă  destination de l’Afrique de l’Ouest[3].

AprĂšs avoir analysĂ© l’émergence de l’Afrique de l’Ouest comme pĂŽle international du narcotrafic, nous nous intĂ©resserons aux instruments internationaux mis en place pour le combattre avant, devant les limites de ces initiatives, de nous pencher sur la coopĂ©ration sous-rĂ©gionale africaine, seule rĂ©ponse susceptible d’enrayer ce phĂ©nomĂšne.

1. L’Afrique de l’Ouest, terre de conquĂȘte du narcotrafic

Depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000, le marchĂ© du narcotrafic a Ă©tĂ© bousculĂ© par l’émergence d’une route europĂ©enne partant du Venezuela ou du BrĂ©sil et transitant par l’Afrique de l’Ouest[4]. Loin d’ĂȘtre cantonnĂ©e Ă  une simple porte d’entrĂ©e de la drogue, l’Afrique de l’Ouest a dĂ©veloppĂ© son propre marchĂ©, de production comme de consommation, et s’inscrit depuis comme un nouvel acteur de ce commerce illĂ©gal.

1.1 La liaison CaraĂŻbes-Afrique de l’Ouest, nouvelle route maritime de la drogue

Un changement d’itinĂ©raire rĂ©flĂ©chi et opportun

Longtemps concentrĂ© autour de la rĂ©gion caribĂ©enne, le trafic de cocaĂŻne ne connaĂźt dĂ©sormais plus de frontiĂšres et se mondialise. La globalisation joue un rĂŽle moteur dans l’expansion de ce commerce illĂ©gal qui touche depuis une dizaine d’annĂ©es le continent africain.

Comment expliquer ce phĂ©nomĂšne ? À la volontĂ© des narcotrafiquants de conquĂ©rir de nouveaux marchĂ©s s’ajoutent un certain nombre de raisons d’ordre pratique. La situation gĂ©ographique du continent africain est perçue comme offrant un point de passage naturel entre l’AmĂ©rique du Sud et l’Europe. À cet Ă©gard, le nombre important de saisies rĂ©alisĂ©es par les marines espagnole et britannique autour du dixiĂšme degrĂ© de latitude nord est Ă  l’origine de la cĂ©lĂšbre appellation « autoroute 10 » pour dĂ©signer la route maritime empruntĂ©e. Le renforcement des contrĂŽles des aĂ©roports et des ports de l’Union europĂ©enne a, en outre, refroidi les trafiquants latino-amĂ©ricains dans la quĂȘte d’un acheminement direct des stupĂ©fiants.

Le manque de stabilitĂ© chronique des pays de l’ouest africain favorise enfin la prolifĂ©ration d’États « faillis » dans lesquels l’appareil Ă©tatique ne parvient plus Ă  faire valoir ses moyens de coercition. De nombreux États africains sortent par exemple d’une pĂ©riode de guerres civiles (dans les annĂ©es 1990 pour la Sierra Leone et le Liberia et au dĂ©but des annĂ©es 2000 pour la CĂŽte d’Ivoire) quand d’autres sont toujours victimes de violences armĂ©es et/ou de conflits politiques. À l’instar de la GuinĂ©e-Bissau qui, depuis son indĂ©pendance en 1974, a subi jusqu’à neuf coups d’État ou tentatives de coups d’État, dont un dernier en 2012. Une instabilitĂ© accentuĂ©e par l’actuel prĂ©sident JosĂ© Mario Vaz qui a limogĂ© ses deux premiers ministres au cours de l’annĂ©e 2015 et l’intĂ©gralitĂ© de son gouvernement en mai 2016.

État de « la menace » du narcotrafic

Évaluer le degrĂ© du narcotrafic est un exercice dĂ©licat puisque son estimation repose uniquement sur les quantitĂ©s de drogue interceptĂ©es. Selon les Nations unies, depuis 2004, les saisies annuelles de cocaĂŻne sur l’ensemble du continent africain ont dĂ©passĂ© les 2,5 tonnes alors qu’entre 1998 et 2003, elles s’élevaient en moyenne Ă  0,6 tonne[5]. Rien qu’entre janvier et septembre 2007, environ 5,7 tonnes de cocaĂŻne ont Ă©tĂ© saisies en Afrique, dont 99 % en Afrique de l’Ouest[6]. Si, depuis 2008, les Ă©tudes ont tablĂ© sur une plus faible intensitĂ© du narcotrafic dans la rĂ©gion du fait de la baisse des quantitĂ©s de drogues interceptĂ©es[7], il s’avĂšre que les chiffres transmis Ă  l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ne reflĂ©taient pas la rĂ©alitĂ©.

L’absence de rapports de saisies dans certains pays africains conjuguĂ©e Ă  la faiblesse des capacitĂ©s opĂ©rationnelles de ces derniers dans la dĂ©tection et a fortiori l’interception des colis illicites masqueraient en partie l’ampleur du phĂ©nomĂšne.

D’aprĂšs le rapport de l’Organe international de contrĂŽle des stupĂ©fiants (OICS) publiĂ© en fĂ©vrier 2012, « les trafiquants ont simplement modifiĂ© leur modus operandi et trouvĂ© de nouvelles mĂ©thodes pour faire transiter la cocaĂŻne par l’Afrique de l’Ouest » venant ainsi confirmer « un nombre croissant de saisies importantes[8]».

Le dernier rapport rendu par l’ONUDC en 2016 indique qu’au moins 22 tonnes de cocaĂŻne ont Ă©tĂ© saisies « en route » de l’AmĂ©rique latine Ă  destination de l’Europe via l’Afrique de l’Ouest sur la pĂ©riode de dĂ©cembre 2014 Ă  mars 2016[9].

La hausse des quantitĂ©s de drogues envoyĂ©es trouve son corollaire dans la multiplication des portes d’entrĂ©e sur la façade atlantique de l’Afrique. Si le trafic aĂ©rien est important, singuliĂšrement au Mali, la voie maritime est privilĂ©giĂ©e puisqu’elle offre une grande capacitĂ© d’export et de dissimulation. Les saisies effectuĂ©es au large peuvent ĂȘtre regroupĂ©es en deux pĂŽles majeurs : d’un cĂŽtĂ© les cĂŽtes guinĂ©ennes, l’archipel du Cap-Vert, le SĂ©nĂ©gal et la Sierra Leone, de l’autre la baie du BĂ©nin (Ghana, Togo, BĂ©nin, NigĂ©ria et Cameroun) oĂč sont prĂ©sents les gangs nigĂ©rians. L’éparpillement de ces points d’entrĂ©e permet aux narcotrafiquants de brouiller les pistes et d’essaimer les volumes en vue de rĂ©duire les pertes.

À l’inverse des CaraĂŻbes, parsemĂ©es de nombreuses Ăźles faciles Ă  relier par go-fast, l’Afrique de l’Ouest fait face Ă  l’étendue ocĂ©anique. Les trafiquants latino-amĂ©ricains ont donc privilĂ©giĂ© d’autres vecteurs. Les navires-mĂšres, dans un premier temps, avec transbordement sur de petits bateaux cĂŽtiers et dĂ©sormais les slow-movers. Les voiliers, bateaux de pĂȘche, cargos et autres navires marchands ont en effet l’avantage d’offrir de multiples caches pour dissimuler la drogue : faux plafonds, faux planchers, doubles fonds, intĂ©rieur des quilles, circuits d’aĂ©ration[10]

Une fois stockĂ©e dans les pays cĂŽtiers, la drogue doit ĂȘtre acheminĂ©e en Europe. Trois modes d’acheminement existent : par voie maritime, oĂč sont sollicitĂ©s aussi bien le plaisancier que le navire de commerce, aĂ©rienne ou terrestre. Ces deux derniĂšres composent l’essentiel des trafics de drogues en partance d’Afrique pour l’Europe.

La porositĂ© des frontiĂšres entre Afrique de l’Ouest et Sahel, couplĂ©e Ă  la libre circulation des biens et des personnes au sein de la CommunautĂ© Ă©conomique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) permet aux narcotrafiquants d’acheminer la drogue quasi-librement jusqu’en Afrique du Nord (pays du Maghreb et Libye).

Le Mali est un exemple parmi tant d’autres. SituĂ© au cƓur du rĂ©seau transsaharien, le nord du pays, notamment du fait d’une instabilitĂ© chronique, a vu transiter la majoritĂ© de la drogue en provenance de la GuinĂ©e-Bissau et de la GuinĂ©e-Conakry vers le Maghreb. Toutefois, l’opĂ©ration militaire française Serval, dirigĂ©e contre les groupes terroristes d’AQMI, est venue dĂ©stabiliser cette route de la drogue et les trafiquants africains ont dĂ» trouver un nouvel itinĂ©raire. Partant du Ghana et du Burkina Faso, la drogue transiterait dĂ©sormais par le sud-Mali avant de gagner la GuinĂ©e et le SĂ©nĂ©gal[11] d’oĂč elle est rĂ©expĂ©diĂ©e


1.2 L’Afrique de l’Ouest, nouvelle terre fertile de la drogue

Un marchĂ© de consommation Ă©mergent Ă  l’origine d’une production locale

Jusque-lĂ  rĂ©servĂ©es aux milieux aisĂ©s, les drogues touchent dĂ©sormais la plupart des couches sociales. « On assiste Ă  une vĂ©ritable explosion du phĂ©nomĂšne : Ă  l’usage gĂ©nĂ©ralisĂ© parmi la jeunesse des solvants, du cannabis et des psychotropes, s’ajoute la progression de l’hĂ©roĂŻne, de la cocaĂŻne et l’apparition du crack[12] ». Cette croissance est en partie due Ă  l’émergence d’une classe moyenne dotĂ©e d’un vĂ©ritable pouvoir d’achat[13], les pays comme la CĂŽte d’Ivoire, le Ghana, le SĂ©nĂ©gal, le Cameroun et le NigĂ©ria sont dans une dynamique de dĂ©veloppement et apparaissent aux yeux des trafiquants comme un marchĂ© potentiel
et une zone de production.

La fabrication de drogues de synthĂšse sur le sol africain semble un fait Ă©tabli : aprĂšs la dĂ©couverte d’un premier laboratoire en GuinĂ©e Conakry en 2009, dix ont Ă©tĂ© dĂ©mantelĂ©s dans le sud du NigĂ©ria entre 2011 et juillet 2015[14] : « L’Afrique de l’Ouest semble ĂȘtre devenue une source Ă©tablie de la mĂ©thamphĂ©tamine[15] ». Selon le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’Organisation mondiale des douanes (OMD), « en Asie, 50% de la mĂ©thamphĂ©tamine saisie est venue d’Afrique, utilisant l’Europe comme lieu de transit[16] ». Cette apparition d’une Afrique consommatrice et productrice de drogue est facilitĂ©e par un terreau propice Ă  l’épanouissement de la corruption.

« Dans bien des États africains en proie aux difficultĂ©s de la dĂ©mocratisation, de l’ajustement structurel ou des conflits armĂ©s s’est dessinĂ©e une tendance Ă  la criminalisation du politique et de l’économique[17] ». Il n’est pas rare de constater des connivences entre les trafiquants et des personnes Ă  la tĂȘte de l’État ou au sein de l’armĂ©e. Ces derniers collaborent au commerce de la drogue constituant ainsi un maillon de la chaĂźne dans la redistribution des produits illicites.

Vers la crĂ©ation de narco-États ?

L’émergence de l’Afrique de l’Ouest comme zone de transit et de redistribution de la drogue associĂ©e Ă  l’imprĂ©gnation de la corruption au sein de certains pouvoirs suscite des inquiĂ©tudes au sujet de l’apparition pĂ©renne de narco-États. L’exemple le plus notoire est celui de la GuinĂ©e-Bissau qui serait devenue une sorte de « gang-land »[18]. Les rĂ©vĂ©lations relatives Ă  l’implication de l’ancien chef de la marine guinĂ©enne, Bubo Na Tchuto, dans un trafic de cocaĂŻne avec la Colombie illustrent la profondeur du mal. ArrĂȘtĂ© en mer en 2013 par les agents amĂ©ricains de la Drug Enforcement Administration (DEA), il a Ă©tĂ© relĂąchĂ© par la justice amĂ©ricaine et a regagnĂ© le pays en octobre 2016. DĂšs son retour, il a adressĂ© au prĂ©sident une demande de rĂ©intĂ©gration au sein de l’armĂ©e
 Ce cas est loin d’ĂȘtre isolĂ© en Afrique de l’Ouest.

La pĂ©nĂ©tration du narcotrafic s’explique par les sommes gĂ©nĂ©rĂ©es par le trafic de drogue, parfois plus Ă©levĂ©es que le PIB des États. À ce titre, en 2010, le budget militaire du Togo Ă©tait de 56,8 millions de dollars, celui du Ghana de 125 millions de dollars, quand une tonne de cocaĂŻne se revendait autour de 85 millions de dollars[19]. « La cocaĂŻne est en effet le produit qui gĂ©nĂšre le plus de valeur ajoutĂ©e au monde »[20]. Sa chaĂźne de valeur l’illustre bien : ainsi, en 2014, 1 kg de cocaĂŻne achetĂ© entre 2 700 et 4 000 dollars dans la zone de production s’échangeait Ă  plus de 13 000 dollars dans les villes cĂŽtiĂšres ouest-africaines, 16 000 dollars dans les villes sahĂ©liennes, entre 24 000 et 27 000 dollars en Afrique du Nord et enfin entre 40 000 et 60 000 dollars en Europe.

Un cercle vicieux s’est ainsi crĂ©Ă© : l’instabilitĂ© de la rĂ©gion a participĂ© Ă  son choix par les narcotrafiquants, la participation d’individus de haut rang dans le rĂ©seau vient alimenter un peu plus cette insĂ©curitĂ© tout comme les groupes armĂ©s qui prospĂšrent sur cette manne. À l’instar des FARC colombiennes avant la signature de l’accord de paix en novembre 2016 ou encore du Sentier Lumineux au PĂ©rou, le groupe terroriste AQMI, antenne d’Al-QaĂŻda au Mali, le MUJAO (Mouvement pour l’unicitĂ© et le djihad en Afrique de l’Ouest) ou encore Boko Haram au NigĂ©ria utilisent les
« revenus » Ă©manant du narcotrafic comme moyen de financement de leurs luttes. Trafiquants, État, groupes criminels et terroristes sont tous liĂ©s par le commerce illĂ©gal de la drogue et participent Ă  la dĂ©stabilisation de l’Afrique de l’Ouest.

2. Un rĂ©veil de l’Afrique de l’Ouest dans la lutte contre le narcotrafic ?

MalgrĂ© des moyens rĂ©duits, les États africains tentent depuis quelques annĂ©es d’apporter un dĂ©but de rĂ©ponse. Leur engagement s’illustre notamment par la mise en place de cadres lĂ©gislatifs rĂ©primant le narcotrafic ainsi que par le renforcement de leurs forces navales. Mais sans mutualisation des moyens, coordination et appui extĂ©rieur, la lutte risque de rester vaine.

2.1 L’engagement africain dans la rĂ©pression du trafic de stupĂ©fiants

Des cadres juridiques disparates

La rĂ©pression du narcotrafic s’est dans un premier temps manifestĂ©e au niveau juridique. L’adhĂ©sion de la plupart des États de la zone Ă  la Convention de Vienne de 1988 en est un premier indicateur. Toutefois, cette rĂ©glementation internationale demeure limitĂ©e : la primautĂ© des droits de l’État du pavillon perdure et continue en l’espĂšce de servir les intĂ©rĂȘts des narcotrafiquants. Surtout, cette rĂ©glementation semble trĂšs loin de la situation africaine. C’est la raison pour laquelle quelques rares initiatives Ă©tatiques ont Ă©tĂ© lancĂ©es.

Le gĂ©ant nigĂ©rian est, par exemple, l’un des pays les plus avancĂ©s en matiĂšre d’encadrement du commerce illĂ©gal de stupĂ©fiants. En 2004, une loi anti-drogues, le National Drug Enforcement Agency Act, a Ă©tĂ© promulguĂ©e. Celle-ci « criminalise toute espĂšce d’activitĂ© liĂ©e Ă  la production, la transformation, la distribution, la vente, l’usage et la dissimulation de drogues illicites[21] » avec des peines allant de 15 ans d’emprisonnement Ă  la perpĂ©tuitĂ©. En plus d’établir des sanctions consĂ©quentes, cette loi a crĂ©Ă© l’Agence nationale de contrĂŽle de l’application de la loi sur les drogues (NDLEA). Un organe chargĂ© Ă  la fois de faire appliquer la loi et habilitĂ© Ă  enquĂȘter sur les personnes soupçonnĂ©es. Le Ghana fait Ă©galement partie des États qui ont ƓuvrĂ© pour la rĂ©pression du narcotrafic. DĂšs 1990, il a adoptĂ© une Loi de contrĂŽle et de rĂ©pression des stupĂ©fiants et renforcĂ© son dispositif en 2012 avec l’adoption de la loi Criminal Offences. Sur le mĂȘme modĂšle que le NigĂ©ria, le Ghana applique des sanctions pouvant aller de 15 ans d’emprisonnement Ă  la perpĂ©tuitĂ©. Par ailleurs, cette loi de 1990 a Ă©tabli le Narcotics Control Board (NACOB) dont la mission est de coordonner les efforts de lutte des diffĂ©rentes agences chargĂ©es de la rĂ©pression des drogues. Enfin, le Mali a adoptĂ© en 2001 une loi portant sur le contrĂŽle des drogues et des prĂ©curseurs. La dĂ©tention, l’usage, la vente, le trafic et la production sont condamnĂ©s par cette derniĂšre qui Ă©tablit trois classifications de sanctions selon que les substances sont destinĂ©es ou non Ă  un usage mĂ©dical.

Cependant, l’augmentation des saisies de stupĂ©fiants dans ces trois pays prouve que les cadres lĂ©gislatifs instaurĂ©s sont insuffisants, ou tout du moins inadaptĂ©s, Ă  la situation actuelle. Un Ă©lĂ©ment notamment fait dĂ©faut : des accords de dĂ©limitations maritimes. Bien qu’une Ă©volution puisse ĂȘtre constatĂ©e dans la rĂ©solution des diffĂ©rends avec le programme FrontiĂšres de l’Union africaine[22], des litiges subsistent, notamment entre le Ghana et la CĂŽte d’Ivoire. L’existence de ces « zones grises » est une aubaine pour les trafiquants qui bĂ©nĂ©ficient en outre du sous-Ă©quipement des marines de la zone.

Le nouveau visage des forces navales africaines

Le contexte actuel d’insĂ©curitĂ© maritime a poussĂ© les États africains Ă  renforcer leurs marines. Consciente de ses ressources marines insuffisamment exploitĂ©es et de la nĂ©cessitĂ© de se connecter aux grands rĂ©seaux d’échanges mondiaux, la rĂ©gion a aujourd’hui la volontĂ© de faire de son espace maritime un levier de dĂ©veloppement Ă©conomique. Mais les menaces constituĂ©es par la piraterie, la pĂȘche illĂ©gale ou encore le narcotrafic nuisent Ă  sa sĂ»retĂ©. De plus, la rĂ©cente modernisation des ports africains (Tema au Ghana, LomĂ© au Togo ou encore Kribi au Cameroun) pourrait avoir pour consĂ©quence de rendre les trafics de stupĂ©fiants plus aisĂ©s. En effet, comme il a Ă©tĂ© vu prĂ©cĂ©demment, la majoritĂ© des drogues est acheminĂ©e par porte-conteneurs qui restent stationnĂ©s dans les grands terminaux portuaires. Ce qui implique la nĂ©cessitĂ© de mettre en place un plus large dispositif de surveillance et de sĂ©curitĂ©.

Le NigĂ©ria et la GuinĂ©e-Équatoriale ont, par exemple, dĂ©veloppĂ© leurs forces navales. Le premier possĂšde, en 2016, trois frĂ©gates lance-missiles, huit bĂątiments de combat littoral, une dizaine de
patrouilleurs de haute mer et deux bĂątiments anti-mines. Le second peut s’appuyer sur une frĂ©gate en service depuis 2014, quatre patrouilleurs de haute mer ainsi qu’un bĂątiment de dĂ©barquement de chars[23].

D’autres pays, tels que le SĂ©nĂ©gal, le Togo et le Cameroun, se sont tournĂ©s vers leurs partenaires occidentaux pour renouveler leurs moyens. Le SĂ©nĂ©gal a rĂ©ceptionnĂ© en 2013 son patrouilleur Ferlo, conçu et fabriquĂ© par les chantiers navals français Raidco Marine et Ufast[24], et a admis successivement au service actif en 2015 et 2016 les patrouilleurs de haute mer Kedougou et Fouladou. Le Togo, quant Ă  lui, a reçu en mars 2014 et en juillet 2014 deux nouveaux patrouilleurs lĂ©gers fabriquĂ©s Ă©galement par les deux constructeurs prĂ©cĂ©demment citĂ©s[25]. La CĂŽte d’Ivoire figure Ă©galement parmi les plus proches partenaires de la France. Le groupe Raidco Marine a livrĂ©, depuis juin 2014, trois patrouilleurs lĂ©gers Ă  la marine ivoirienne[26] sous les noms respectifs d’Émergence, Bouclier et SĂ©kongo. De mĂȘme, le chantier Sillinger a vendu en octobre dernier 16 semi-rigides Ă  l’unitĂ© d’intervention de la gendarmerie et des forces spĂ©ciales locale[27]. L’ensemble de ces moyens, et plus particuliĂšrement les patrouilleurs de type RPB 33 commandĂ©s par ces trois pays[28], sont parfaitement adaptĂ©s aux missions de surveillance, d’intervention et d’inspection afin de lutter contre toute source d’insĂ©curitĂ© maritime. D’autres pays comme le Cameroun ont fait appel Ă  la Chine pour moderniser leur flotte. Ainsi, le pays a acquis en 2014 deux nouveaux patrouilleurs, le Ntem et la Sanaga. Ce dernier devrait Ă©galement recevoir l’ancien patrouilleur GrĂšbe achetĂ© auprĂšs de la Marine française dĂ©but mars 2017[29].

L’acquisition de tels Ă©quipements atteste de la volontĂ© des États africains de se prĂ©occuper de la sĂ©curisation de leurs espaces maritimes. Reste que le soutien Ă©tranger demeure, pour l’heure, incontournable pour accompagner les marines africaines dans leur combat.

2.2 Un soutien international et l’appui français

L’Afrique de l’Ouest est soutenue dans sa lutte par de multiples organisations multilatĂ©rales : l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Union europĂ©enne Ă  travers le programme CRIMGO et aujourd’hui GoGIN, Interpol
 À cĂŽtĂ© de ces actions multilatĂ©rales, la France joue dans la zone un rĂŽle actif qui ne se limite pas Ă  la problĂ©matique narcotique mais couvre tout le spectre de la sĂ©curitĂ© maritime.

Sa capacitĂ© d’intervention permanente s’apprĂ©cie notamment au regard des forces prĂ©positionnĂ©es au SĂ©nĂ©gal, en CĂŽte d’Ivoire et au Gabon ainsi qu’au large du golfe de GuinĂ©e Ă  travers l’opĂ©ration de sĂ©curisation maritime Corymbe. Le bĂątiment engagĂ© pour cette mission assure une prĂ©sence dissuasive et contribue ainsi Ă  limiter le narcotrafic dans la zone.

Plusieurs interceptions prouvent la pertinence de l’action française dans ces eaux. Ainsi, en janvier 2008, la Marine nationale a arraisonnĂ© un bateau de pĂȘche battant pavillon libĂ©rien Ă  500 km au large de Monrovia dont l’équipage venait de jeter Ă  la mer des bidons contenant prĂšs de 2,5 tonnes de cocaĂŻne[30]. PrĂšs d’un mois plus tard, elle intercepte un cargo panamĂ©en au large de la GuinĂ©e dont les membres avait jetĂ© par-dessus bord plus de 3 tonnes de cocaĂŻne. La rĂ©ussite de ces interventions repose sur un renseignement, dĂ©cisif dans cette lutte. Historiquement portĂ© par l’OCRTIS (Organisme de contrĂŽle et de rĂ©pression du trafic de stupĂ©fiants)[31], structure interministĂ©rielle chargĂ©e d’opĂ©rer la centralisation des renseignements pouvant faciliter la recherche et la prĂ©vention du narcotrafic, il s’est depuis internationalisĂ©. En 2007, en effet, Ă  l’initiative de la France, sept pays europĂ©ens (Espagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, France, Portugal et Royaume-Uni) ont signĂ© l’accord MAOC-N (Maritime Analysis and Operations Centre – Narcotics). Un centre international vouĂ© Ă  la mutualisation et Ă  l’analyse du renseignement recueilli par les États parties a vu le jour dans ce cadre Ă  Lisbonne. FocalisĂ©e exclusivement sur les flux atlantiques destinĂ©s Ă  l’Europe et Ă  l’Afrique de l’Ouest, cette structure rĂ©pond Ă  l’ampleur rĂ©cente du marchĂ© de la cocaĂŻne sur le sol europĂ©en et prolonge la lutte contre le narcotrafic engagĂ©e dans les CaraĂŻbes et en Afrique. Plus rĂ©cemment, en 2009, deux plateformes de renseignement africaines ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©es en 2009 Ă  Dakar (SĂ©nĂ©gal) et Ă  Accra (Ghana) au sein desquelles des officiers de liaison de l’UE coopĂšrent Ă  des projets de renforcement des capacitĂ©s de prĂ©vention et de rĂ©pression antidrogue.

La Marine nationale incarne ici le bras-armĂ© de ces dispositifs de surveillance du narcotrafic. Cependant, les forces françaises ne se limitent pas seulement Ă  des missions coercitives. Elles jouent un rĂŽle important dans la coopĂ©ration et la formation des marines de la rĂ©gion. C’est par la transmission de ses savoir-faire que la Marine se diffĂ©rencie des autres intervenants. Ce soutien portĂ© par la Direction de coopĂ©ration de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense (DCSD) s’inscrit dans le projet d’appui Ă  la rĂ©forme du systĂšme de sĂ©curitĂ© maritime dans le golfe de GuinĂ©e, dit ASECMAR, mis en place en 2011 pour une durĂ©e de 4 ans. DestinĂ© Ă  six États (BĂ©nin, Ghana, Togo, GuinĂ©e Conakry, CĂŽte d’Ivoire et NigĂ©ria) et Ă  la CEDEAO[32], ce projet a pour objectif de former Ă  l’action de l’État en mer les agents de services agissant en mer ou sur la frange du littoral et de renforcer la coopĂ©ration rĂ©gionale existante. Par ailleurs, la DCSD a Ă©galement appuyĂ© la crĂ©ation de l’École nationale Ă  vocation rĂ©gionale (ENRV) Ă  Bata, en GuinĂ©e-Équatoriale qui forme notamment les sous-officiers et les officiers des forces navales africaines. Le sommet de l’ÉlysĂ©e sur la paix et la sĂ©curitĂ© en Afrique de dĂ©cembre 2013 a apportĂ© une nouvelle pierre Ă  l’édifice, dĂ©cidant la crĂ©ation d’un collĂšge « action de l’État en mer » en CĂŽte d’Ivoire. InaugurĂ© en septembre 2015 sous le nom d’Institut de sĂ©curitĂ© maritime interrĂ©gionale (ISMI), il vise Ă  Ă©tendre l’ASECMAR Ă  l’ensemble des pays du golfe de GuinĂ©e. Il rĂ©unit Ă  ce jour quinze États du golfe de GuinĂ©e ainsi que les deux organisations sousrĂ©gionales (CEEAC[33] et CEDEAO).

Au niveau pratique, la formation des marines locales se rĂ©alise Ă  travers les exercices NEMO (Navy’s Exercise for Maritime Operations) organisĂ©s par la Marine nationale depuis 2013.

Ces manƓuvres multilatĂ©rales regroupent les unitĂ©s des pays riverains pour les soumettre Ă  divers scenarii d’entraĂźnement[34]. Elles visent Ă  amĂ©liorer la coordination des marines entre elles et les centres de commandement. Les bĂątiments dĂ©ployĂ©s dans le cadre de la mission Corymbe reçoivent Ă  bord les marins et les Ă©lĂšves africains. Le dernier exercice NEMO 16.5 date de septembre 2016 et a notamment mobilisĂ© les unitĂ©s du NigĂ©ria, du Gabon, du Cameroun, du BĂ©nin, du Togo, du Ghana et de GuinĂ©e-Équatoriale autour du BPC Dixmude et du patrouilleur de haute mer le Commandant Ducuing.

La formation commune des forces africaines a pour corollaire la solidaritĂ© avec le dĂ©veloppement d’une coopĂ©ration sous-rĂ©gionale.

2.3 L’Ă©mergence d’une coopĂ©ration sous-rĂ©gionale africaine, un impĂ©ratif Ă  l’ampleur du narcotrafic

RĂ©cemment, les États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale ont dĂ©cidĂ© de se rassembler pour lutter mutuellement contre le narcotrafic. Ce combat s’inscrit plus largement dans le dĂ©veloppement d’une stratĂ©gie globale de sĂ»retĂ© et de sĂ©curitĂ© maritimes dĂ©clinĂ©e depuis 2013 Ă  travers de multiples initiatives rĂ©gionales. En 2008, les chefs d’État des quinze pays membres de la CEDEAO adoptent ainsi une DĂ©claration politique et un Plan d’action rĂ©gional par lesquels ils s’engagent Ă  lutter contre le trafic de stupĂ©fiants dans la sous-rĂ©gion. Cette dĂ©claration marque le point de dĂ©part d’un long processus de coopĂ©ration qui peut s’appuyer sur les rĂ©solutions 2018 (2011) et 2039 (2012) du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies qui appellent Ă  la coopĂ©ration et au renforcement des capacitĂ©s de surveillance, d’intervention et de rĂ©pression des États du golfe de GuinĂ©e.

Ces dĂ©clarations ont amorcĂ© le dĂ©but d’une ambitieuse coopĂ©ration interrĂ©gionale. Le Sommet de YaoundĂ©, en 2013, a ainsi regroupĂ© les trois communautĂ©s rĂ©gionales de l’Afrique de l’Ouest (la CEDEAO, la CEEAC et le CGG[35]) qui se sont entendues pour adopter trois documents constitutifs du « processus de YaoundĂ© ». Le premier est un code de conduite pour la lutte contre l’insĂ©curitĂ© maritime comparable Ă  celui de Djibouti ; le second, une dĂ©claration des chefs d’État s’engageant Ă  renforcer conjointement leur coopĂ©ration et le dernier, un memorandum d’entente entre les trois organisations. Ce texte est le point d’orgue de la coopĂ©ration interrĂ©gionale puisqu’il crĂ©e une nouvelle architecture de sĂ»retĂ© et de sĂ©curitĂ© maritimes avec, Ă  son sommet, un nouvel organe, le Centre interrĂ©gional de coordination (CIC). La construction, complexe, est rĂ©sumĂ©e dans le schĂ©ma cidessous[36]
:

Plusieurs niveaux composent cette coopĂ©ration : au niveau local, les Centres des opĂ©rations maritimes (COM) nationaux rĂ©partis en diffĂ©rentes zones dont la gestion revient aux Centres multinationaux de coordination (CMC) ; au niveau rĂ©gional les Centres rĂ©gionaux de sĂ©curitĂ© maritime et enfin, Ă  l’échelle interrĂ©gionale, le CIC. Celui-ci incarne le point nĂ©vralgique de l’architecture. Son rĂŽle est avant tout de dĂ©velopper un cadre stratĂ©gique unique oĂč la coordination, la coopĂ©ration, l’interopĂ©rabilitĂ© et la mutualisation sont les maĂźtres-mots. Ces opĂ©rations touchent Ă  des domaines variĂ©s : harmonisation des lĂ©gislations, rĂ©gionalisation des moyens, actions de formation et d’entraĂźnement, collecte et partage de l’information. L’idĂ©e peine nĂ©anmoins Ă  se concrĂ©tiser : si le CRESMAO a ouvert au second semestre 2016, la majoritĂ© des CMC ne sont toujours pas effectifs Ă  ce jour (Ă  l’exception de deux : ceux de la zone D et de la zone E). De maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, le manque de ressources, autant financiĂšres que matĂ©rielles, couplĂ© Ă  une formation lacunaire du personnel ainsi qu’à une concurrence entre les structures (CIC, CGG et OMOAC)[37] menacent l’effectivitĂ© des structures institutionnelles. Par ailleurs, le Code de conduite, signĂ© en 2013, n’est toujours pas devenu contraignant.

Le Sommet de LomĂ© (Togo) qui a eu lieu du 10 au 15 octobre 2016 a tentĂ© de remĂ©dier Ă  l’enlisement du processus de YaoundĂ©. S’inscrivant toujours dans une perspective de sĂ»retĂ© et de sĂ©curitĂ© maritimes, le sommet avait pour principal objectif l’adoption d’une charte africaine contraignante visant Ă  concilier la coordination des interventions Ă©tatiques en mer avec les objectifs du dĂ©veloppement Ă©conomique et social. Elle entre ainsi dans le champ de la StratĂ©gie africaine intĂ©grĂ©e pour les mers et les ocĂ©ans Ă  l’horizon 2050 (StratĂ©gie AIM 2050). Deux nouveautĂ©s apparaissent : sa portĂ©e continentale ainsi que son volet prĂ©ventif pour dĂ©courager en amont la piraterie et toutes formes de criminalitĂ© en mer, dont le narcotrafic[38]. Bien qu’elle n’ait Ă©tĂ© signĂ©e que par 31 pays africains sur 52 pays prĂ©sents (les pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe comptent pour beaucoup parmi ceux qui ne l’ont pas signĂ©e), cette charte « historique »[39] devra recevoir 15 ratifications pour entrer en vigueur.

ConformĂ©ment Ă  l’article 17§9[40] de la Convention de Vienne, les États africains ont choisi d’approfondir le cadre de coopĂ©ration de leur lutte. Sur le mĂȘme schĂ©ma que l’accord d’Aruba de 2003 pour la mer des CaraĂŻbes, la signature du Code de conduite relatif Ă  la prĂ©vention et Ă  la rĂ©pression des actes illicites perpĂ©trĂ©s en Afrique de l’Ouest et du Centre, dit de YaoundĂ©, en 2013, et de la Charte sur la sĂ»retĂ© et la sĂ©curitĂ© maritimes Ă  LomĂ© prĂ©figurent la mise en place d’une coopĂ©ration africaine. Cependant, l’absence de force contraignante pour le premier[41] et l’attente d’application du second font de l’espace atlantique africain une zone toujours permissive oĂč les narcotrafiquants sont libres de mener leur activitĂ© illĂ©gale comme bon leur semble.

DĂšs lors, la rĂ©ussite de ce nouveau systĂšme demeure entiĂšrement liĂ©e au bon vouloir des États de l’Afrique de l’Ouest qui semblent peu enclins Ă  coopĂ©rer entre eux, et ce, en dĂ©pit du soutien apportĂ© par les organisations et puissances extĂ©rieures. L’origine de cette solidaritĂ© dĂ©faillante se trouve dans les profils des États qui demeurent trop disparates. On retrouve ainsi des systĂšmes juridiques diffĂ©rents quand la lĂ©gislation rĂ©primant le narcotrafic est existante, certains États qui n’ont toujours pas dĂ©fini de stratĂ©gie maritime et entretiennent des rapports conflictuels au sujet de leurs dĂ©limitations maritimes et enfin des clivages linguistiques (pays anglophones, francophones et lusophone) qui ne cessent de complexifier les rapports.

Conclusion 

La sĂ©curitĂ© et la sĂ»retĂ© maritimes sont les nouveaux enjeux rencontrĂ©s par l’Afrique de l’Ouest. La rĂ©gion est, par son ouverture sur l’ocĂ©an Atlantique, prĂ©disposĂ©e Ă  affronter les menaces venues des mers (piraterie, trafic d’armes, d’ĂȘtres humains, de drogue et la pĂȘche illĂ©gale). Longtemps jugĂ©es peu problĂ©matiques, ces menaces ont pu se dĂ©velopper et s’y ancrer. L’absence d’un dispositif de sĂ©curitĂ© efficace associĂ© Ă  des systĂšmes juridique et coercitif dĂ©faillants font de l’Afrique de l’Ouest une zone idĂ©ale de prolifĂ©ration des activitĂ©s dites criminelles. De ce fait, jamais le narcotrafic n’a Ă©tĂ© aussi prĂ©gnant
 De mĂȘme, le Golfe de GuinĂ©e est aujourd’hui considĂ©rĂ© comme le nouvel Ă©picentre de la piraterie : durant le premier semestre 2016, plus de 44 kidnappings ont Ă©tĂ© recensĂ©s[42] au lieu de 10 sur la mĂȘme pĂ©riode en 2015.

À l’heure oĂč le sommet de LomĂ© a dĂ©montrĂ© que l’Afrique voulait faire de son espace maritime un levier de dĂ©veloppement Ă©conomique et social, la lutte contre ces menaces est cruciale. Le souhait de dĂ©velopper ses ports en vue de les rendre plus attractifs et compĂ©titifs dans le commerce mondial ne pourra se faire qu’avec une plus grande sĂ©curisation terrestre et maritime de la rĂ©gion. L’émergence d’une coopĂ©ration sous-rĂ©gionale africaine, avec le processus de YaoundĂ© et rĂ©cemment la Charte de LomĂ©, illustre la volontĂ© de la rĂ©gion d’assurer par elle-mĂȘme la sĂ»retĂ© et la sĂ©curitĂ© de son espace maritime. Si cette prise en main doit ĂȘtre saluĂ©e, elle demeure encore aujourd’hui trop soumise au bon vouloir des États. Autant les financements que le personnel dĂ©pendent de ces derniers qui semblent parfois peu enclins Ă  s’allier et Ă  coopĂ©rer. DĂšs lors, c’est tout d’abord au niveau des États qu’une rĂ©ponse ferme et efficace pourra ĂȘtre apportĂ©e dans la lutte contre l’insĂ©curitĂ© maritime.

References[+]


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