Sur fond de crise nord-coréenne, de risque de reprise d’une course aux armements nucléaires, mais également d’activisme au profit du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), cet article s’interroge sur la force contraignante du droit international. L’auteure considère en effet que ce contexte fait courir un fort risque d’affaiblissement au droit international relatif aux armes nucléaires, en l’occurrence le Traité de Non-Prolifération (TNP). Son analyse souligne l’intérêt d’un rôle accru de la France et incidemment de sa représentation parlementaire sur ce sujet.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont : Lova Rinel-Rajaoarinelina, « Crise du nucléaire : le TNP porte-t-il en lui les codes de son propre échec ? », RDN n°813, Octobre 2018.
Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site de la RDN :
Le 3 septembre 2017, à 3h30 TU [1], la République populaire démocratique de Corée (DPRK) effectue contre toute attente son sixième essai nucléaire ; c’est pourtant le premier que les experts s’accordent à décrire comme sérieux et inquiétant. La force du test démontre l’utilisation probable d’une bombe à hydrogène, ce qui serait une performance [2] pour la péninsule. Alors, le monde s’agite. Les scientifiques avancent l’horloge de l’apocalypse [3]. Les défenseurs du Traité de non-prolifération du nucléaire (TNP) scandent un durcissement des sanctions des Nord-coréens et les activistes du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en plongent dans la brèche du leader pour saisir l’opportunité d’une campagne pour l’entrée en vigueur du texte. Quelques tweets plus tard, une crise éclate entre le Président américain et le leader nord-coréen, puis tout s’apaise et pourtant…
L’aller-retour de la rencontre du 12 juin est annulé, puis maintenu [4]. Finalement un accord de paix est signé sans aucune avancée technique, ni calendrier, sur la dénucléarisation de la Corée, ce qui constitue en soi le pire accord que l’on pouvait avoir sur une dénucléarisation d’un pays en infraction des engagements internationaux. La morale est la suivante : « Vous enfreignez, circulez il n’y a rien à voir ! Et ce sont les Américains qui le disent », le cadre est posé et on n’a pas fini de voir les effets de la résolution de crise à l’américaine.
Et à cela s’ajoute la crise iranienne, certes plus complexe et dépassant largement la question du nucléaire mais dont les conséquences vont certainement contribuer à une déstabilisation plus globale du Moyen-Orient, dont on ne peut encore déterminer avec exactitude les impacts.
Alors que faire ? Fermer les yeux sur le cas nord-coréen pour un accord de paix coûte que coûte au risque de décrédibiliser la force contraignante du droit international ? La France a-t-elle un rôle à jouer ? Ou peut-être prendre le taureau par les cornes et remettre l’article VI du TNP en filigrane des discussions lors des prochaines PrepCom (Preparatory Committee) pour obtenir quelque chose de significatif en 2020 ? La situation est-elle si inattendue ?
Discerner les priorités
Si le TNP reste la pierre angulaire de la sécurité internationale, il n’en demeure pas moins que faire des avancées concrètes vers une désescalade des tensions nucléaires est a minima une priorité. Ne pas voir la question du nucléaire militaire comme l’alpha et l’oméga de la sécurité internationale, même si on la retrouve dans beaucoup de problématiques.
La désescalade nécessaire
Une course aux armements des États-Unis
Sous le président Obama, le discours de Prague en 2009 appelait à la mise en application des principes de désarmements en réduisant « la part de l’arme nucléaire dans la défense américaine et en invitant les autres puissances nucléaires à prendre la même voie » [5]. Néanmoins, ce discours était celui d’une générosité contrastée avec une politique de renouvellement des composantes. Ainsi, on assiste au démantèlement par le Président-Prix Nobel de la Paix des bombes thermonucléaires B53 en octobre 2011, dont on sait tous que sur le plan opérationnel elles étaient inutilisables et, parallèlement à la lancée des premiers travaux de renouvellement de la composante sol/sol ; on le voit encore en 2013 assurer les financements des futurs SSBN. Plus fort encore, le 4 janvier 2013 General Dynamics signe un contrat de 1,85 milliard de dollars auprès de l’US Navy et confirme ainsi une volonté manifeste de réarmer. Donald Trump enfonce le clou, en 2018 dans la NPR (Nuclear Posture Review) en évoquant une baisse du seuil d’emploi.
Prôner la stricte suffisance et inverser la tendance
Si l’arme nucléaire pour justifier de son existence doit demeurer une arme de dissuasion, au sens de l’autodéfense, elle impose aux États-Unis la responsabilité de trouver des solutions pour éviter l’escalade de tension pouvant dégénérer en conflit nucléaire, comme le suggère la doctrine française.
Néanmoins, quand les États-Unis déclarent dans la NPR que leur posture nucléaire se modifie en prenant en compte un « futur incertain », cela rebat les cartes de la course aux armements et donne un fond aux déclarations proliférantes de certains États dans leur justification à la possession de l’arme dont la doctrine pourrait être définie ainsi : « Je me dote, au cas où », ce qui est l’antithèse du TNP.
Les crises régionales impliquant les grandes puissances sclérosent les débats
Pour calmer les choses ces dix-huit derniers mois, la crise Nord-coréenne/États-Unis révèle une course à l’influence plus grande entre les États-Unis et la Chine [6], en prenant en compte les revendications japonaises, sous le regard attentif des Russes, qui compliquent les discussions.
La crise au Moyen-Orient est le reflet d’une incompréhension de l’Occident envers les enjeux réels de ces pays. Pour preuve deux exemples : le choix du changement de lieu de l’ambassade des États-Unis vers Jérusalem, au mépris d’une relance des négociations de paix entre Israël et la Palestine. Et pour la France, une proximité avec l’Arabie saoudite jusqu’à présent inefficace sur les luttes hégémoniques de la péninsule Arabique. Cela se passe sous le regard impuissant de la Jordanie, d’un Liban paralysé et d’une Égypte titubante au lendemain des printemps arabes et montre bien que la question du nucléaire n’est qu’un symptôme d’une maladie plus grave. La région est sclérosée par la recherche de modèles de gouvernance de la part d’États que l’Europe souhaiterait plus démocratiques.
La mise en avant du droit international
Article VI, le grand oublié des objectifs du TNP
La résolution 1887 du 24 septembre 2009 rappela l’obligation pour les États-parties de respecter l’article VI, mais cet article est aujourd’hui au point mort. On n’en fait cas, ni quant à sa condition « de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements » (voir l’accord de paix du 12 juin où aucune mesure concrète ni sanction n’a été faite pour punir la Corée du Nord), ni quant au retrait des Américains au JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) et d’ailleurs les annonces de la NPR 2018 ne vont pas en ce sens.
Par ailleurs, l’article VI stipule une « date rapprochée », après cinquante années de discussions. Cependant, aucune date n’a été avancée, ni aucun délai. Il faut comprendre que cela puisse alimenter les discours pro-TIAN qui considèrent que le forcing est la seule issue. À tort ? Peut-être, est-il probable que la question du désarmement global répond à des problématiques beaucoup plus complexes ?
Il n’en reste pas moins que l’application de l’article VI est l’enjeu crucial et qu’il faut se battre de manière coordonnée, pondérée et adaptée pour obtenir sa prise en compte complète. Il faut en priorité absolue rappelée pour 2020, ce que ne fait pas le TIAN.
L’entrée en vigueur du TICE
De ce fait, l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais (TICE) serait la première étape significative. Ne pas relâcher la pression est donc la priorité avant d’avancer sur d’autres thématiques. Même si le CTBTO (Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty Organization) [7] est un organe qui a prouvé de son efficacité malgré son statut de non-permanent, il n’en demeure pas moins que sa non-entrée en vigueur affaiblit globalement la force contraignante du droit international et donc du TNP.
Les réflexions visant à revoir dans le cadre du droit international, la mise en place d’un outil plus efficace, trouve sa légitimité. Pourquoi ? Parce qu’il persiste dans l’idée du TNP et de tout traité de droit international, qu’une obligation de résultat incombe aux États-parties [8]. Qu’il subsiste dans l’imaginaire des États non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN), fortement suscité par l’article VI, que les États dotés de l’arme nucléaire (EDAN) doivent se désarmer, qu’il résulte d’une mauvaise foi de ces derniers à abuser de leur puissance pour tenir en otage les autres parties. Le statu quo du TICE renforce l’idée a minima d’un favoritisme des mauvais élèves et au pire d’une faiblesse du contrat.
Un moment français ?
Qu’en est-il de la France ? Il y a plusieurs manières de voir et de comprendre son influence. Il y a la France, membre du P-5 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), mais également soutien d’une certaine idée de l’Union européenne ou encore point central de la Francophonie. Il y a la France, partenaire active et présente dans les actions pour le développement dans le monde [9], il y a la France, amie d’ENDAN et la France, exemplaire des EDAN. De par tous ces prismes, il est légitime de se poser la question : a-t-on un rôle plus accru à avoir sur le sujet ? Et hormis les questions de paix mondiale, y avons-nous un intérêt ?
La diplomatie parlementaire : un outil trop peu et mal utilisé
N’est-il pas concevable de revoir les discussions avec ceux qui ont reçu l’onction du peuple ? Afin de leur permettre par une réflexion coordonnée, avec les instances françaises de profiter de cette liberté de parole dont les parlementaires bénéficient et de la légitimité pour aller discuter avec leurs homologues américains et autres ? Ne peut-on pas penser que peut-être des « congressmen » s’ils discutent, échangent avec leurs homologues français, pourraient voir leurs craintes et leurs propres convictions tomber face à notre doctrine de la stricte suffisance ? L’échange et le débat contradictoire sont le socle même de la réflexion parlementaire, ce qui n’est pas le cas de la diplomatie « exécutive ».
Philippe Pejo dans sa thèse [10] très enrichissante et inédite sur le sujet, évoque l’apport du parlementaire dans la diplomatie. On voit bien au fil de ce travail universitaire que le parlementaire est un relais diplomatique subtil et complémentaire au travail de nos ambassadeurs à tous niveaux des enjeux, qu’ils soient idéologiques ou industriels et qui a déjà fait ses preuves dans l’histoire. Ouvrir le dialogue est essentiel pour appuyer le travail de nos ambassadeurs [11] qui ne peuvent pas être partout. Il faut le rationaliser et le coordonner. Appuyer la force de la représentation nationale sur le sujet et les investir plus intelligemment de cette prérogative, car le parlementaire a déjà ce pouvoir de répandre la bonne parole de la dissuasion et de la sagesse, et l’exemplarité française sur le sujet, qui est très (trop) peu mis en avant.
La Francophonie : un autre outil mal utilisé
L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), c’est 84 États membres [12], cela représente à peu près la moitié des pays membres de l’ONU, en instance consultative, il y a également l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) [13]. L’OIF compte 4 opérateurs, 10 champs d’actions et 2 agences, pas un seul ne porte sur la non-prolifération, le désarmement ou la maîtrise de l’armement, alors que cela fait partie de leur mandat et que cette organisation est explicitement présentée comme un médiateur, acteur ou un facilitateur de la paix [14] souhaitée par son premier secrétaire général Boutros Boutros-Ghali.
Lors du dépôt d’une demande de vote par les Pays-Bas [15] sur le TIAN, on constate qu’une grande majorité de pays membres de l’OIF, 122 sur 192, dont 18 pays d’Afrique si on inclut l’Algérie [16], ont voté pour. Paradoxalement, la déclaration d’Antananarivo de 2016 déclare à son point 17 que les pays membres devront signer, ratifier et respecter les engagements du TNP et du TICE. Sur les 59 signataires au TIAN, on compte le même nombre de votants, sans qui le TIAN ne serait pas passé. Si cela tord le cou des fervents défenseurs d’une idée que la France maîtrise l’instance, elle est significative a minima d’une erreur d’appréciation sur l’intérêt de l’espace. Rappelant que la France est la plus grosse contributrice de l’organisation.
Il y a donc des perspectives pour donner du poids à un TNP chahuté par une crise nucléaire. L’avantage d’une diplomatie pompier-pyromane américaine c’est qu’elle pousse les autres acteurs à devoir prendre une décision et dans ces moments, la passivité ou la neutralité n’a jamais été l’issue que l’Histoire récompense. S’il est évident que la diplomatie et les choix stratégiques sont issus de rapports de force, il n’en demeure pas moins que la posture stratégique française de stricte suffisance peut être la solution idéale pour tous.
Agir demain
Qu’avons-nous ? Une course à l’armement, un non-respect des traités, une déviation des priorités du TNP, la crise du Traité est peut-être le mode de fonctionnement normal de celui-ci. Peut-être devons-nous l’accepter et essayer de mettre sur la table des solutions juridiques qui nous sortent de cet enclavement, comme l’entrée en vigueur du TICE ou encore une avancée sur le Fissile Material Cut-off Treaty (le traité d’interdiction de production de matières fissiles).
C’est peut-être cela que l’on doit mettre sur la table, et pourquoi pas être un nouvel outil sur les usages pacifiques trop peu portés. Sortir du TNP pour produire des résultats.
Enfin, investir les Parlements, la représentation nationale doit devenir l’épaule diplomatique sur laquelle s’appuie l’exécutif.
References
Par : Lova RINEL-RAJAOARINELINA
Source : Revue Défense Nationale