« L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat »
Sun Tzu, général et stratégiste chinois (544 av. J.-C. – 496 av JC)
À l’instar des États-Unis ou encore du Royaume-Uni, la France va créer une agence destinée à lutter contre la désinformation en provenance de l’étranger, agence qui sera placée sous l’égide du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN). Séduction et manipulation cognitives constituent l’une des faces sombres du cyberespace, domaine du paradoxe par excellence. Le monde ouvert du partage de l’information s’avère être également, voire surtout, le monde cynique de la fabrique artificielle du sens et du consentement, attisant la défiance individuelle, approfondissant « l’archipélisation » sociale, menaçant la stabilité étatique.
La conflictualité (compétition, rivalité, confrontation, guerre) est un caméléon pour reprendre la formule clausewitzienne, et change d’aspect en fonction du contexte politique, social, économique, technologique, culturel. La conflictualité investit les champs et domaines disponibles, surtout lorsqu’ils sont peu ou pas réglés par le droit (espace exo-atmosphérique, cyberespace, champ informationnel). La conflictualité s’hybride, la conflictualité additionne, combine, conjugue des modes « réguliers » et irréguliers, directs et indirects, militaires et non-militaires, visibles et « invisibles ». Elle joue de multiples leviers de puissance pour prévaloir sur les volontés, en contrôlant les esprits et au besoin en contraignant les corps, pour reprendre les termes de Thomas Gomart dans son dernier opus « Guerres invisibles ».
Ce tableau stratégique contemporain peut être désarçonnant pour un esprit occidental, nourri de la conception « régulière » de la guerre forgée au cours de la Modernité. Un esprit occidental qui tend à considérer la confrontation, armée, organisée, encadrée, séquencée, comme l’essence même de la guerre et comme étant de portée universelle et intemporelle. En dépit des travaux et recherches soulignant que la conflictualité est « rebelle », plurielle et circonstancielle dans ses manifestations, cette conception « régulière » de la guerre reste prégnante dans la conscience collective en Occident. Le recours à la formule « déclaration de guerre à » en témoigne, que ce « à » puisse renvoyer à la pauvreté, au chômage, ou encore, plus près de nous, au virus de la COVID 19 !
Comme aime à le rappeler Alain Bauer, ce qui semble nouveau est le plus souvent ce qu’on a oublié. Sun Tzu faisait de l’espionnage et de la tromperie le pinacle de l’art stratégique. Le choc militaire ne devait porter que le coup final à un adversaire désemparé. Les adeptes de la manipulation cognitive dans la couche supérieure (dite sémantique) du cyberespace l’auront très tôt entendu. La « noosphère » chère à Pierre Teilhard de Chardin n’est pas un jardin irénique. Il est heureux sinon salvateur que la riposte se mette en place.
***
En ce mois de juillet, nous vous proposons donc un nouveau bouquet d’articles de réflexion. Il est largement articulé autour de cette problématique d’extension du domaine et de transformation des modalités de la conflictualité. Une problématique qui peut être illustrée par les défis géopolitiques et géoéconomiques que posent les « Guerres invisibles » (Article revue RDN), par le défi démocratique que pose la Deepfake reality (article Revue de la Gendarmerie Nationale du CREOGN) ou encore par le défi stratégique que pose la conflictualité dans l’espace exo-atmosphérique (article de la revue Vortex du CESA). Comme en contrepoint et en complément, sont abordées les dimensions sécuritaires du changement climatique, toile de fond de l’extension du domaine et de la transformation des modalités de la conflictualité. Pour y faire face, il convient peut-être de repenser la vision même de la stratégie (article Cnam-ESDR3C) et de cultiver solidarité et cohésion nationales (article des Jeunes-IHEDN).
Nous vous proposons également de visionner un entretien tenu avec le Commandant de la Cyberdéfense du Ministère des armées, dans le cadre du dernier cours en ligne (MOOC) du Cnam sur les Questions Stratégiques (décembre 2020/janvier 2021). L’entretien confirme que la riposte de la France est bien engagée.
Avant de vous quitter pour quelques semaines, nous tenons tout d’abord à vous souhaiter une belle et agréable coupure estivale.
Nous tenions également à vous signaler le lancement d’un des événements clefs de la rentrée de la recherche stratégique : la nouvelle édition des Assises de la Recherche Stratégique (ARS) du Cnam, dont Geostrategia est partenaire.
Intitulées “Le vieux monde, la crise, les crises”, ces ARS organisées le 21 septembre 2021 par le PSDR3C et l’ESDR3C du Cnam et placées sous le patronage du SGDSN seront ponctuées de six panels et d’interventions exceptionnelles. Vous pouvez d’ores et déjà découvrir le programme des ARS sur le site de l’ESDR3C.
Geostrategia est par ailleurs partenaire d’un autre évènement de la rentrée de la recherche stratégique organisé par l’ESDR3C du Cnam : la première édition de la conférence Information-Anticipation-Renseignement.
En tant que membres du réseau Geostrategia, vous recevrez très prochainement une invitation à assister à distance à ces deux évènements majeurs de la rentrée.
Enfin, nous vous donnons bien entendu rendez-vous au mois de septembre pour un nouvel Édito et bouquet de votre agora stratégique.
Général (2s) Paul Cesari, rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.