Avec cet article, l’auteur nous livre un tour d’horizon des enjeux attachés à la politique de nucléarisation de Pyongyang. Il s’attache à en décrire les intérêts et motivations de nature interne ainsi que les enjeux pour les pays extérieurs. Il analyse enfin le récent rapprochement intercoréen, à la faveur des jeux olympiques de l’hiver 2018, et s’interroge également sur la portée de la future rencontre entre le président des Etats-Unis et le leader Nord-Coréen.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont : Alexis Bedos, « La Corée du Nord : l’émergence d’une puissance nucléaire et les impacts sur la géopolitique », Mémoire d’étude de Master 2 Ingénierie et Management en Sécurité Globale Appliquée, promotion 2017-2018.
Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site de l’université de technologie de Troyes : www.utt.fr
La Corée du Nord : les enjeux de l’émergence d’une puissance nucléaire
Les différentes puissances militaires mondiales se mobilisent actuellement pour comprendre et tenter de contrôler la nucléarisation de la Corée du Nord. La problématique de l’acquisition de l’arme atomique par un pays fait donc de nouveau surface, presque 50 ans après le « Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires » signé en 1968 par la quasi-totalité des pays du monde, y compris par l’Etat nord-coréen. S’étant retiré de ce traité le 10 Janvier 2003, la Corée du Nord entre alors dans une politique d’armement nucléaire qui aboutira par la réalisation de 6 essais nucléaires, le dernier en date étant celui du 3 Septembre 2017. Les pressions se font alors grandissantes avec les autres puissances mondiales, et notamment avec les Etats-Unis. Jusqu’au début de Mars 2018, le temps des négociations semble sur le point d’être révolu entre Washington et Pyongyang.
Né en 1948 suite à la libération de la péninsule coréenne de l’emprise japonaise par les Etats-Unis et l’Union Soviétique, la Corée du Nord a toujours été au cœur des tensions mondiales. Lieu stratégique de l’opposition américano-soviétique à l’époque de la Guerre Froide, ce pays d’Asie du Nord-Est a toujours porté une étiquette d’Etat secret aux yeux du reste du monde. En effet, il est difficile d’obtenir des informations sur les activités internes du pays tant le pouvoir en place s’efforce de maintenir un contrôle total des informations entrantes et sortantes du territoire. Si bien que les rumeurs les plus folles prolifèrent quant aux agissements (exécutions spectaculaires, traditions loufoques …).
Mais paradoxalement, bien que le pouvoir nord-coréen s’applique à montrer la plus grande discrétion dans ses agissements, il sait également se montrer démonstratif pour étaler la puissance de son arsenal militaire et, nouvellement, nucléaire. Ainsi, depuis plusieurs années, les dirigeants de Pyongyang, la capitale du pays, exercent une pression sur les autres pays en développant ouvertement un programme d’armement nucléaire. Les enjeux de cette nucléarisation sont de deux types :
- Tout d’abord, il existe des intérêts et des motivations internes au pays. Malgré toutes les menaces reçues des autres pays ainsi que par le Conseil de Sécurité de l’ONU, le gouvernement de Kim Jong-Un persiste dans sa politique de nucléarisation de l’Etat nord-coréen. Quelles sont donc les raisons motivant la Corée du Nord à poursuivre sa campagne de nucléarisation ?
- Ensuite, la nucléarisation présente également des enjeux pour d’autres pays. Au-delà des enjeux personnels pour l’Etat nord-coréen, les impacts de cette nucléarisation sur la géopolitique mondiale sont nombreux. L’acquisition de l’arme nucléaire et la campagne d’essais réalisés par les autorités de Pyongyang qui en découle entrainent des tensions pouvant amener à des conflits régionaux et même internationaux. Cette situation conflictuelle inquiète certains acteurs étatiques mais profite parallèlement à d’autres. Quels peuvent donc être les intérêts des autres pays vis-à-vis de la situation de la péninsule coréenne ?
Les intérêts propres au pays
Bien qu’elle se soit faite dans la plus grande discrétion, malgré les forts soupçons qui planaient sur la scène internationale, la nucléarisation de la Corée du Nord n’est plus un secret. Bien au contraire, les dirigeants nord-coréens n’hésitent pas à afficher les avancées de leur programme de développement d’armes atomiques aux yeux de tous, notamment en rendant public des photos des différents essais nucléaires. Les nombreux défilés militaires organisés par le pouvoir sont également des occasions de relayer des images par le biais des médias du régime et même du monde entier.
Cette stratégie de démonstration est la preuve que cette nucléarisation cache de nombreux intérêts pour le pays. Posséder l’arme nucléaire n’est pas une fin en soit pour les dirigeants, tout l’intérêt est de le faire savoir aux autres pays. Mais alors quels sont les avantages tirés par la Corée du Nord ? Aucune raison n’est exposée officiellement. Dénoncé comme étant fou, Kim Jong-Un fait en réalité preuve d’une grande rationalité quant à ces actes. Obsédé par la sécurité du régime, les différentes générations de dirigeants nord-coréens ont toujours désiré se munir d’armes de destruction massive. Pour s’en servir à des fins militaires ou pour en faire un objet de dissuasion et garantir sa survie, on ne connait pas clairement les objectifs de la Corée du Nord quant à sa nucléarisation. Toutefois, en analysant le contexte historique, militaire et diplomatique du pays, nous pouvons tirer des hypothèses expliquant les motivations nord-coréennes.
Une force de dissuasion et une capacité d’autodéfense
La toute première raison qui vient à l’esprit quand on cherche à connaitre les motivations d’un pays à vouloir se doter de l’arme nucléaire est bien évidemment la volonté de disposer d’une puissance de frappe qui serait dissuasive pour tout pays ennemi souhaitant lui nuire. La volonté principale des dirigeants nord-coréens est la survie du régime. Toutes leurs actions visent cette finalité tellement le pouvoir est obsédé par sa stabilité et sa longévité. Bien qu’elles soient souvent vues à l’étranger comme des provocations, l’ensemble des actions du régime doivent être lues en prenant en compte cette unique priorité pour mieux les comprendre. Les milliers de victimes de purges en sont l’exemple. Tout sera sacrifié pour son bien-être. On peut donc établir une première hypothèse selon laquelle la Corée du Nord souhaiterait disposer de bombes nucléaires pour s’en servir comme outils dissuasifs dans le but de combler le complexe d’insécurité régnant au sein du pays. Cette dissuasion est ce qu’on appelle une « dissuasion par punition ». Il s’agirait d’être en capacité de causer des dommages si importants au camp adverse que ces-derniers n’oseraient pas lancer d’attaque par peur des coûts inacceptables des représailles.
Cette hypothèse tient parfaitement la route. Dans un premier temps, le complexe d’insécurité est bien réel chez les nord-coréens, qu’il soit exagéré ou non. Il faut dire qu’environ 70 000 coréens ont été victimes des bombardements nucléaires américains d’Hiroshima et de Nagasaki en Août 1945. Bien que ces bombardements aient forcé la capitulation du Japon et donc la libération de l’Etat coréen de l’emprise nippone, ils ont également créé un véritable traumatisme dans les mémoires des pays asiatiques impactés. Suite à cela, la Corée du Nord a assisté durant plus de quarante ans à l’installation et au déploiement d’un véritable arsenal américain sur le territoire de son voisin sud-coréen sans pour autant avoir d’armes de la part de ses alliés chinois ou soviétiques qui ne soient déployées sur son territoire pour le défendre.
De plus, les dirigeants du pays ont été horrifiés par le sort des deux dictateurs Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi, respectivement chefs des Etats irakien et libyen, qui ont été exécutés après avoir vu leurs pays envahis par les forces américaines et de l’ONU. En Janvier 2016, l’agence de presse d’Etat nord-coréenne KCNA écrivait cela : « L’Histoire prouve qu’une dissuasion nucléaire puissante s’impose comme le glaive le plus fort pour frustrer ses agresseurs. Les régimes de Saddam Hussein et de Kadhafi ne purent échapper à un destin de destruction après avoir abandonné, d’eux-mêmes, leurs programmes nucléaires » (Korean Central News Agency, communiqué du 6 Janvier 2016).
En prenant ces exemples en considérations, Pyongyang a conclu que les « petits Etats totalitaires » ne pouvait espérer perdurer qu’en utilisant la dissuasion pour empêcher leurs ennemis de tenter une quelconque intervention militaire. Se considérant, à juste titre, comme un pays aux capacités bien inférieures à celles de leurs adversaires, les nord-coréens voient donc ces missiles nucléaires comme des armes « égalisatrices » comme les appelait Henri Kissinger, politologue et diplomate américain. Mais pour être réellement dissuasif, il faut non seulement disposer d’une arme mais également être capable de s’en servir contre ses ennemis. Les dirigeants ont bien compris cela, et c’est pourquoi, comme nous l’avons vu précédemment, Pyongyang a longtemps cherché à se munir de missiles intercontinentaux capables de porter l’arme nucléaire sous forme de charge pour pouvoir frapper tous les territoires souhaités.
Tout cela ne fait que confirmer notre hypothèse selon laquelle le souhait de la Corée du Nord est avant tout de disposer d’une force de dissuasion permettant de garantir la survie du régime.
Des enjeux économiques et d’autosuffisance alimentaire du pays
La seconde hypothèse que nous poserons est que Pyongyang souhaite se doter de l’arme nucléaire afin de répondre à des enjeux économiques. L’économie d’un pays est étroitement liée à son statut sécuritaire. Bien que les sanctions internationales impactent l’économie de l’Etat nord-coréen, le bénéfice sécuritaire est supérieur au coût économique qu’engendre le programme de développement de l’armement nucléaire. De plus, tandis que la modernisation de l’arsenal militaire « conventionnel » du pays apparait trop coûteuse, le nucléaire est vu comme un domaine d’armement « bon marché ».
Les Etats-Unis et la Corée du Sud effectuent chaque année des manœuvres militaires aux abords de la Zone Coréenne Démilitarisée dans le but d’accentuer les menaces qui pèsent sur Pyongyang. Le lien entre ces manœuvres et l’enjeu économique pour les nord-coréens est simple : celles-ci ont lieux chaque année, intentionnellement, durant la saison des plantations et des récoltes de riz. C’est le moment où la Corée du Nord connait un pic de travail et a donc le plus besoin de ses citoyens ainsi que de ses militaires, qui sont réquisitionnés chaque année pour l’occasion dans les zones agricoles. La saison des cultures est très courte et donc très importante pour l’économie du pays. Mais les manœuvres à la frontière obligent Pyongyang à sa priver de l’aide apportée aux paysans par les militaires, ces-derniers devant faire acte de présence au cas où elles se transformeraient en réelle attaque.
Les manœuvres militaires menacent donc pleinement les capacités d’autosuffisance alimentaire de la Corée du Nord. Elles ont d’ailleurs été à l’origine d’une famine sévère ayant touchée le pays dans les années 90. Comme le disait Edward Luttwak, économiste et spécialiste en stratégie, « la menace nucléaire remplace de nombreuses divisions blindées ». La capacité dissuasive créée par la détention d’une arme nucléaire autoriserait la Corée du Nord à réduire considérablement les effectifs militaires durant cette période cruciale pour le pays mais également tout au long de l’année. Cette stratégie est devenue la ligne de conduite politique officielle et s’appelle « byungjin ». Par définition, c’est une « approche double destinée à renforcer la puissance militaire et nucléaire tout en améliorant l’économie du pays »
Notre hypothèse se confirme alors quand le pays justifie son programme nucléaire comme « la façon la plus cohérente, économiquement parlant, de répondre à la menace de ces manœuvres » (Moon of Alabama, « Why North Korea Needs Nukes – And How To End That », créé le 14 Avril 2017)
Un outil de marchandage diplomatique
Comme nous l’avons vu précédemment, les armes nucléaires peuvent avoir un rôle important en matière de dissuasion et ainsi donner les moyens à un « petit » pays de rivaliser avec une puissance mondiale en matière d’intimidation. Cela peut être également vrai dans un système de marchandage diplomatique. La troisième hypothèse est donc que la Corée du Nord voit ces armes nucléaires comme des outils diplomatiques lui permettant d’obtenir un certain pouvoir en vue de négociations futures.
Souvent en difficulté économiquement parlant, Pyongyang pourrait très bien se servir de son nouveau statut de pays nucléarisé pour obtenir des aides de la part de la communauté internationale comme il en a déjà été le cas. Au lendemain de la Guerre Froide, notamment entre 1995 et 2008, alors que les tensions s’atténuaient entre les deux partis, la Corée du Nord a obtenu une aide américaine de plus de 1,3 milliards de dollars en nourriture et en pétrole. Mais depuis 2009 et l’arrivée au pouvoir du président américain Barack Obama, ces aides se sont arrêtées. L’assistance d’origine sud-coréenne a également été très fortement divisée depuis le retour au pouvoir en 2008 des conservateurs. A ce jour, la seule aide que perçoit la Corée du Nord est celle de l’ONU, mais celle-ci reste insuffisante.
Pyongyang pourrait donc utiliser son nouveau statut à des fins de marchandages diplomatiques pour obtenir de nouvelles aides dans le futur. De plus, le régime souhaite se montrer aux yeux des autres pays comme une puissance nucléaire « normale et responsable ». Jin Mingzhe, proche du régime de Kim Jong-Il à l’époque, exprime en 2009 la stratégie du pouvoir, dite de « normalisation » : les dirigeants souhaiteraient négocier « d’égale à égale avec les autres puissances nucléaires non pas pour sa propre dénucléarisation mais dans le but de dénucléarisé l’ensemble de ces puissances ». Les têtes pensantes de Pyongyang ont donc bien cerné le pouvoir que peut procurer la détention de ces missiles nucléaires dans les négociations diplomatiques.
Des armes devenues des signes identitaires du régime en place
Un quatrième scénario, tout aussi pertinent, consisterait à dire que les armes nucléaires font désormais partie de l’identité du régime. Celles-ci, vu alors sous la forme d’armes « identitaires », permettrait au pouvoir d’être légitimer aux yeux de sa population.
Pour comprendre cette hypothèse, il faut revenir sur l’histoire du régime nord-coréen. Ce-dernier étant organisé de façon dynastique, le pouvoir se transmet de père en fils, et ce depuis trois générations déjà. Alors que son père et son grand-père avant lui étaient arrivés au pouvoir avec un passif politique et militaire conséquents, Kim Jong-Un s’est vu arrivé au pouvoir très jeune, à seulement 27 ans. Sa place de « Leader Suprême » était donc très controversée et critiquée. Le nucléaire étant présenté au sein du pays comme l’héritage que Kim Jong-Un a reçu de son père, il se doit donc de continuer les efforts de son prédécesseur afin de protéger la nation. L’accélération donné au programme de développement nucléaire permet donc au jeune leader d’être vu comme le digne successeur de la lignée des Kim et comme celui qui achève les travaux de ses aïeux. Tout cela permet au pouvoir de renforcer son caractère héréditaire et à Kim Jong-Un de légitimer, aux yeux de son peuple, son autorité qui se veut naturelle.
Pour finir, l’aboutissement du programme nucléaire permet également de légitimer aux yeux des citoyens les sacrifices qui leur sont imposés depuis des décennies. La responsabilité des difficultés économiques touchant le pays se porte ainsi sur la menace que représentent les pays étrangers et non sur des erreurs des différents chefs du pays qui se sont succédé, perpétuant ainsi le sentiment d’assiègement et de victimisation qui règne en Corée du Nord.
La volonté de disposer d’une capacité offensive ?
Si nous décidons de voir les dirigeants nord-coréens comme des inconscients et des personnes dangereuses pour l’équilibre mondial, nous pourrions poser l’hypothèse selon laquelle la Corée du Nord cherche à s’armer de missiles nucléaires pour disposer d’une capacité offensive qu’elle compte utiliser en vue de conflits futurs.
Ce scénario, selon lequel Pyongyang souhaiterait bombarder directement son voisin sud-coréen ainsi que ses alliés occidentaux et à modifier le statu quo existant apparait toutefois peu crédible. Bien que les dirigeants de Pyongyang soient imprévisibles, ils ne sont pas pour autant irrationnels, et encore moins suicidaires. Au contraire ils sont très réfléchis et loin d’être inconscients. De plus, on rappelle que leur but ultime est la survie du régime. En cas d’attaque nucléaire, la puissance nucléaire nord-coréenne pourrait causer des dégâts immenses à ses adversaires mais cela ne serait pas sans contrepartie. La réponse internationale, et notamment américaine, serait tellement forte qu’elle ne laisse que peu d’espoir de survie aux nord-coréens. Une attaque nucléaire de la part de la Corée du Nord équivaudrait donc bel et bien à une sorte de suicide du régime, c’est-à-dire tout l’inverse de leurs ambitions.
Bien conscient de ce scénario catastrophe, le chef d’Etat Kim Jong-Un a officiellement déclaré sa politique de « non-usage de force nucléaire en attaque préventive » : « En tant qu’Etat doté d’armes nucléaires responsable, notre république n’utilisera pas d’armes nucléaires sauf si des forces agressives, hostiles dotées d’armes nucléaires empiètent sur sa souveraineté ».
La place géostratégique de la péninsule coréenne
La Corée occupe une place géographique centrale dans la région d’Asie du Nord-Est. Entourée par les trois puissances régionales que sont la Chine, la Russie et le Japon, sa position géostratégique dans cette zone fait d’elle un carrefour incontournable pour les échanges. Le territoire coréen, même s’il est désormais coupé en deux, est un véritable nœud pour les flux commerciaux dans cette région. La péninsule étant également entourée de part et d’autre par deux mers, la mer Jaune et la mer du Japon, les flux maritimes sont également un des enjeux du contrôle de cette zone.
Ce positionnement géostratégique dans l’Asie du Nord-Est vaut à la Corée d’être historiquement convoitée. En effet, ce territoire représente, aux yeux des autres pays, un espace qu’il serait bon de maitrisée afin d’avoir un contrôle sur la région. Cela fait donc de la péninsule coréenne un lieu de conflits entre les différentes puissances, régionales ou mondiales.
Les désormais deux pays coréens font donc l’objet de convoitises. Mais eux aussi se doivent de profiter de leur position avantageuse pour en tirer des intérêts. Depuis la division de la Corée en deux, le régime sud-coréen est contrôlé par les Etats-Unis, contrôle caractérisé par un traité bilatéral de sécurité et une dépendance économique très forte. Cependant, la montée en puissance de la Chine soumet la Corée du Sud à un double enjeu : conserver les liens étroits avec les américains tout en se rapprochant de son voisin chinois, devenu un partenaire quasi incontournable à l’échelle internationale.
Quoi qu’il en soit, l’économie de la Corée du Sud évolue de façon extraordinaire. Le pays connait une croissance énorme sur le marché mondial avec l’éclosion de nombreuses grandes firmes nationales, que ce soit dans le secteur automobile ou dans celui des nouvelles technologies. Son voisin du Nord quant à lui peine toujours à faire décoller son économie. Trop longtemps concentré sur son modèle de renfermement et d’isolement, le régime de Pyongyang a subi les retombées de la mondialisation et l’ouverture des marchés internationaux. Mais les nord-coréens commencent tout de même à importer et à exporter des marchandises.
Le principal partenaire économique de la Corée du Nord est bien évidemment son allié chinois. D’après les chiffres de l’Observatoire sur la Complexité Economique, 85% des importations et 83% des exportations du pays nord-coréen se font avec la Chine. Cette-dernière adopte donc une stratégie assez claire. En se rendant indispensables pour la Corée du Nord, les chinois gardent la main mise sur le pays. En parallèle de cela, ils développent le commerce avec les sud-coréens, ce qui leur permet ainsi d’obtenir une influence sur l’ensemble de la péninsule.
Des enjeux géopolitiques nombreux pour les différentes puissances régionales et mondiales
Opposée aux plus grandes puissances mondiales depuis sa naissance, la Corée du Nord a toujours survécu. Malgré les pressions subies pendant et après la Guerre Froide, elle a toujours pu compter sur ses alliés pour la défendre. L’Union soviétique, puis la Russie ou encore la Chine … Tous ces acteurs ont montré des intérêts stratégiques quant à la survie de la Corée du Nord. Il en est de même avec les Etats-Unis qui profitent grandement de leur présence en Corée du Sud. Mais quels sont les intérêts des différentes puissances mondiales quant à la survie de ces deux pays coréens ? Bien au-delà du simple aspect économique, bien que celui-ci soit primordial pour les pays au XXIème siècle, la péninsule coréenne est un véritable enjeu géopolitique pour les différentes puissances du monde.
Qu’ils soient en faveur de la paix ou des tensions, les différents acteurs mondiaux ont chacun leurs intérêts propres. C’est pourquoi, quand il s’agit de parler et de négocier pour l’arrêt du programme nord-coréen de développement d’armes nucléaires, on assiste à la mise en place d’une table des négociations qui est multilatérale : les fameux « Pourparlers à six ». Lancés en 2003 suite au retrait de la Corée du Nord du Traité de non-prolifération nucléaire, ils rassemblent, comme son nom l’indique, six pays qui ont des intérêts quant à la résolution de ce problème : la Corée du Nord, la Corée du Sud, les Etats-Unis, le Japon, la Chine et la Russie. Officiellement, le but principal de ces pourparlers est de « trouver une issue qui soit pacifique aux problèmes de sécurité soulevés par le programme nucléaire nord-coréen ».
Comme expliqué précédemment, face à la montée en puissance de la Chine, les Etats-Unis se sentent menacer et souhaitent pouvoir observer ses rivaux au plus près. Leur stationnement en Corée du Sud est donc une aubaine qu’ils ne souhaitent pas perdre. Au contraire, les chinois voient d’un mauvais œil cette présence américaine. Ainsi, la Corée du Nord représente le dernier rempart éloignant les américains de leurs frontières. Ils ont donc tout intérêt à maintenir le régime de Pyongyang en place et éviter tout débordement qui provoquerait une déstabilisation de la zone et dont les issues seraient aléatoires et pas maitrisées. On assiste là à des intérêts opposés : les chinois aimeraient que la situation conflictuelle se règlent au plus vite pour éloigner la présence américaine, tandis que les Etats-Unis ont tout intérêt à faire perdurer les tensions pour justifier leur stationnement dans la région.
Autre puissance régionale en Asie du Nord-Est, la Russie a également des intérêts dans cette situation. Les russes soutiennent notamment la proposition soumise par la Chine par le passé, c’est-à-dire le gel des exercices militaires sud-coréens et américains en échange du gel du programme nucléaire nord-coréen. Ses intérêts sont donc clairs : tout comme la Chine, la Russie souhaite apaiser les tensions afin d’éloigner les Etats-Unis de l’Asie du Nord-Est et se sentir moins encerclé par cette présence américaine, ceux-ci étant déjà présents à l’Ouest dans les pays européens grâce aux bases de l’OTAN. L’arrêt des manœuvres militaires enlèveraient aux Etats-Unis leur principal prétexte pour justifier leur présence dans la région. De plus, la Russie a des intérêts économiques à se rapprocher de la Corée du Nord. La priorité de Moscou n’est pas au rapprochement diplomatique avec Pyongyang mais plutôt au « développement d’une véritable coopération trilatérale » (Antoine Bondaz, « L’impasse nucléaire nord-coréenne : rationalité et continuité », publié le 8 Septembre 2017). En effet, afin de faire transiter des matières premières russes vers la Corée du Sud, les russes souhaiteraient utiliser le territoire nord-coréen. Pour arriver à ses fins, Moscou se doit donc d’entretenir de bonnes relations avec Pyongyang. Cela motive certainement les décisions russes quant aux votes concernant les sanctions nord-coréennes
Enfin, les trois puissances que sont la Chine, la Russie ainsi que le Japon partagent des intérêts communs. Tout d’abord, tous redoutent une réunification de la Corée qui verrait l’émergence d’une nouvelle puissance régionale en cas d’apaisement des tensions. Paradoxalement, ils craignent également un conflit militaire dans la région dans le cas où les tensions s’intensifieraient, ce qui nuirait fortement au développement économique des trois pays… Enfin, la nucléarisation de la Corée du Nord est vu comme une menace, même pour les alliés du pays comme la Chine. En effet, bien que certains voit ces armes de destructions massives comme une menace directe, d’autres l’interprète plutôt comme le début de la prolifération nucléaire dans la zone.
Ainsi, chaque pays à des intérêts propres dans cette situation, ce qui rend les négociations d’autant plus complexes : quand certains souhaitent résoudre le problème de la nucléarisation pour apaiser les tensions, d’autres préfèrent camper sur leurs positions pour profiter de cette situation conflictuelle. Le problème est donc bien plus vaste que la « simple » nucléarisation d’un petit pays totalitaire et touche à des enjeux diplomatiques, économiques et stratégiques à l’échelle mondiale.
Diplomatie sportive : les Jeux Olympiques 2018
Les Jeux Olympiques d’Hiver en 2018, organisés en Corée du Sud, ont été l’occasion d’assister à un rapprochement diplomatique intercoréen sans précédent. Pour la première fois depuis la proclamation de deux Etats indépendants, nous avons vu, lors de la cérémonie d’ouverture de ces Jeux Olympiques, des athlètes nord et sud-coréens défiler officiellement sous le drapeau de la Corée réunifiée.
Toutefois, l’histoire nous montre que les précédents rapprochements entre les deux pays n’ont été qu’éphémère. De nombreux accords bilatéraux de coopérations entre les deux Corées ont été signés au cours des dernières décennies, annonçant à chaque fois un renouveau dans le rapprochement intercoréen. Mais à chaque fois, ces accords ne durèrent que quelques années. Les changements politiques sud-coréens y sont souvent pour quelque chose. En effet, contrairement à son voisin du Nord, la Corée du Sud est une démocratie. Ainsi, une élection présidentielle a lieu tous les cinq ans. Le pays connait donc de nombreux changements en matière de politique et donc de diplomatie, chaque nouveau président abordant de façon différente les relations avec la Corée du Nord.
En 1998, alors que les relations intercoréennes étaient très tendues depuis la Guerre de Corée (1950-1953), le président sud-coréen de l’époque Kim Dae-Jung engage une politique de rapprochement avec le Nord, dites « Sunshine Policy ». Entraide économique, ouverture de bureaux de liaison entre les deux pays et même signature d’une « déclaration de paix » en 2007 … Autant de signes encourageants pour les relations entre les deux pays. Mais parallèlement à cela, Pyongyang annonce son retrait du Traité de non-prolifération nucléaire en 2003 et procède à son premier essai nucléaire en 2006.
C’est donc naturellement que deux ans plus tard, en 2008, le peuple sud-coréen décide d’élire un président avec des idées plus fermes en matière de politique intercoréenne, Lee Myung-Bak. C’est la fin de la Sunshine Policy et le début d’une politique bien plus stricte de la part de la Corée du Sud.
Depuis 2017, le président Moon Jae-In est à la tête du pays. Ce-dernier plaide pour une politique d’apaisement des tensions entre les Corée et se dit prêt à s’asseoir avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un pour trouver une entente quant à leur programme nucléaire. Et les Jeux Olympiques d’Hiver sont une occasion rêvée d’enclencher un rapprochement entre les deux pays de la péninsule.
Les Etats-Unis et le rapprochement intercoréen
Au lendemain de ces Jeux Olympiques d’Hiver en Corée du Sud, les relations intercoréennes continuent de se renforcer. Ce rapprochement des deux pays, aussi remarquable qu’inattendu, se poursuit donc, preuve de la volonté réelle des deux partis de voir les tensions s’apaiser dans la péninsule. Le Lundi 5 Mars 2018, soit dix jours après la clôture des Jeux Olympiques, une délégation de « hauts responsables sud-coréens » s’est rendue à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord, afin d’y rencontrer le dirigeant Kim Jong-Un. Au-delà du simple aspect symbolique, cette rencontre fut l’occasion d’entamer des discussions quant à l’organisation d’un nouveau sommet intercoréen, c’est-à-dire une rencontre entre les deux chefs d’Etat dans le but de parvenir à des accords officiels. Pour rappel, seulement deux rencontres de ce type avaient eu lieu, en Juin 2000 et en Octobre 2007.
Mais comme l’histoire nous l’a montré, ces périodes d’apaisement ne durent pas souvent et les précédents accords signés n’eurent que très rarement l’effet escompté. Principal allié militaire de Séoul, Washington est également fortement concerné par ce rapprochement entre les deux Corées. Et comme nous l’avons vu précédemment, bien qu’ils luttent pour la dénucléarisation du Nord, les américains ont des intérêts à maintenir la situation conflictuelle en Asie du Nord-Est. Pour parvenir à un accord fiable avec son voisin du Sud, les nord-coréens doivent donc faire rentrer les Etats-Unis à la table des négociations. Et cela, Kim Jong-Un l’a bien compris. Le dirigeant profite donc de cette visite des diplomates sud-coréens à Pyongyang pour faire passer un message au président américain : Kim Jong-Un souhaite rencontrer Donald Trump.
Cette invitation est d’autant plus importante que c’est une première historique. En effet, il n’existe pas de précédent à une telle rencontre. Aucun président américain n’a jusqu’alors rencontré directement le « Leader Suprême » de la Corée du Nord. Si l’on prend en compte les intérêts de Washington dans le conflit américano-nord-coréen et l’importance de l’alliance entre les Etats-Unis et la Corée du Sud, pas sûr que ce rapprochement suffise à régler la problématique du nucléaire dans la région. Mais la volonté grandissante de Séoul de voir la tranquillité s’installer définitivement dans la péninsule coréenne pourrait bien contraindre les américains à accepter les négociations. Cela se vérifie avec l’annonce de Donald Trump qui accepte l’invitation de son homologue nord-coréen. La rencontre devrait se dérouler dans les mois à venir.
Ce qui est sûr, c’est que la nucléarisation de la Corée du Nord modifie grandement la géopolitique dans la péninsule coréenne et dans le monde, et que la situation est loin d’être définitivement stabilisée. Il faudra donc observer ces rapprochements et les rencontres futures avec la plus grande attention.
Par : Alexis Bedos
Source : Université de Technologie de Troyes
Mots-clefs : Corée du nord, Corée du Sud, diplomatie sportive, géostratégie, Pyongyang, rapprochement intercoréen