La France, un challenger majeur de l’espace militaire

Mis en ligne le 21 FĂ©v 2019

Cet article dresse un Ă©tat des lieux de la place et de l’action de la France dans le domaine du spatial. Paris reste, selon l’auteur, une puissance spatiale militaire de rang intermĂ©diaire qui nĂ©anmoins dĂ©ploie des efforts importants et dispose de nombre d’atouts face aux dĂ©fis Ă  venir.

 


Les opinions exprimĂ©es dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont: « La France, un challenger majeur de l’espace militaire » de Vincent SatgĂ©.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent ĂȘtre consultĂ©s dans l’ouvrage ConflictualitĂ©s modernes et postures de dĂ©fense. 


« Quiconque contrĂŽle le point haut de l’espace contrĂŽle le monde ». L’Empire romain contrĂŽlait le monde parce qu’il pouvait bĂątir des routes. Plus tard, l’Empire britannique dominait grĂące Ă  sa marine. À l’ùre de l’aĂ©ronautique, nous Ă©tions puissants car nous avions l’avion. Et maintenant les communistes ont dĂ©jĂ  un pied dans l’espace. TrĂšs bientĂŽt ils auront des satanĂ©es plateformes spatiales du haut desquelles ils nous jetteront des bombes nuclĂ©aires sur la tĂȘte. » Ces mots, attribuĂ©s Ă  Lyndon Johnson, alors vice-prĂ©sident des États-Unis, dans le film L’Étoffe des hĂ©ros[1], traite du programme Mercury, c’est-Ă -dire celui des premiers vols habitĂ©s amĂ©ricains hors de l’atmosphĂšre. Il souligne aussi combien l’espace a Ă©tĂ© associĂ©, dĂšs les dĂ©buts de son exploration, Ă  une perspective de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© nationale. De fait, pendant les premiĂšres dĂ©cennies de l’aventure spatiale, qui coĂŻncident avec celles de la Guerre froide, l’enjeu spatial a essentiellement Ă©tĂ© stratĂ©gique (dĂ©monstration de puissance, renseignement), ce qui lui a permis de mobiliser les immenses fonds nĂ©cessaires. On peut imaginer qu’une capacitĂ© spatiale uniquement civile aurait Ă©tĂ© beaucoup plus longue Ă  Ă©merger. Pour autant, ces annĂ©es 1960 et 1970 ont aussi Ă©tĂ© marquĂ©es par de grands programmes civils (exploration lunaire et du systĂšme solaire, laboratoires orbitaux) mais dont la motivation a souvent Ă©tĂ© nourrie par la rivalitĂ© entre les deux grands blocs Est et Ouest. Ainsi, le programme lunaire s’interrompt rapidement aprĂšs que la course Ă  la Lune a Ă©tĂ© gagnĂ©e par les États-Unis. Par ailleurs, si les stations spatiales amĂ©ricaine (Skylab) ou soviĂ©tique (Saliout) sont popularisĂ©es pour leur utilisation scientifique, on ne peut pas Ă©carter le fait qu’elles ont aussi eu une destination militaire, directe ou indirecte. Pendant ce temps, le nombre et la performance des satellites militaires s’accroĂźt avec des capacitĂ©s de plus en plus efficaces d’« espionnage spatial ». Si elles permettront Ă  leurs dĂ©tenteurs d’asseoir leur puissance, il faut reconnaĂźtre qu’elles constitueront aussi un facteur d’équilibre international et de dĂ©tente en servant d’outils de contrĂŽle des accords de dĂ©sarmement SALT[2] de ces annĂ©es 1970.

L’espace militaire prend une nouvelle dimension au dĂ©but des annĂ©es 1980 avec l’Initiative de dĂ©fense stratĂ©gique (SDI[3]) de Ronald Reagan. Rendue publique en 1983, elle fut immĂ©diatement baptisĂ©e « guerre des Ă©toiles » pour sa coĂŻncidence avec la sortie d’un film cĂ©lĂšbre du mĂȘme nom[4]. L’objectif de la SDI Ă©tait double : d’abord, complĂ©ter le dispositif de dissuasion nuclĂ©aire par un systĂšme de prĂ©vention d’une agression soviĂ©tique mais, aussi, utiliser la puissance technologique amĂ©ricaine pour mettre Ă  genoux l’URSS. Pour cela, le projet envisageait de dĂ©velopper une parade multi-sectorielle aux vecteurs balistiques soviĂ©tiques avec un bouclier anti-missile s’appuyant sur des moyens de dĂ©tection, d’alerte et d’interception reposant pour beaucoup sur des capacitĂ©s spatiales. La SDI a bien eu deux effets dont effectivement celui de surprendre une Union soviĂ©tique en dĂ©liquescence, Ă©conomiquement, incapable de relever le dĂ©fi posĂ© et handicapĂ©e par un budget de dĂ©fense reprĂ©sentant quelque 30 % de son produit intĂ©rieur brut. Elle gĂ©nĂ©ra aussi la crainte de rompre un Ă©quilibre fragile de la dissuasion, peur qui ne se limita pas Ă  l’URSS mais gagna les alliĂ©s des États-Unis qui y virent Ă©galement un risque de trop grande dĂ©pendance au nouveau parapluie amĂ©ricain. Finalement, la chute du pacte de Varsovie freina fortement le dispositif et l’ambition amĂ©ricaine se limita Ă  quelques Ă©lĂ©ments de dĂ©fense. Toutefois, l’idĂ©e d’une dĂ©fense anti-missile, largement basĂ©e sur le spatial, ne fut jamais abandonnĂ©e et reprit de la vigueur avec la vision technologique de la Revolution in the Military Affairs des annĂ©es 1990 et le besoin de rĂ©ponses, depuis les annĂ©es 2000, aux Rogue States dont les capacitĂ©s balistiques prolifĂ©raient. Les opĂ©rations militaires de la fin du XXe siĂšcle et du dĂ©but du suivant accĂ©lĂ©rĂšrent le recours Ă  l’espace qui ne se limita plus aux seules activitĂ©s de renseignement (observation dans diffĂ©rents domaines de frĂ©quences : optique, infrarouge, radar ; Ă©coute) mais permit d’accueillir des constellations de satellites de gĂ©olocalisation (GPS), de communication ou d’alerte avancĂ©e. Progressivement, le champ spatial est devenu un milieu Ă  part entiĂšre de l’action militaire et plus aucune opĂ©ration ne saurait se passer de ce segment dont les armĂ©es sont fortement dĂ©pendantes. Si l’arsenalisation de l’espace n’est pas de mise, un traitĂ© international de 1967 interdisant Ă  ses signataires d’y installer des armes de destruction massive, sa militarisation est aussi ancienne que son exploration et va croissante au fur et Ă  mesure que de nouvelles nations y accĂšdent. En fĂ©vrier 2018, le Pentagone avouait que « Les États-Unis sont dĂ©pendants de l’espace et nos adversaires le savent » et que, compte tenu du fait que « La Russie et la Chine ont pour objectif d’avoir des armes contre-spatiales non destructives et destructrices disponibles pour un futur conflit potentiel », un prochain conflit mondial pourrait dĂ©buter dans l’espace[5]. Cela incita Heather Wilson, la secrĂ©taire Ă  la Force aĂ©rienne des États-Unis, Ă  souligner que le pays se devait d’« organiser et entraĂźner des forces capables de triompher dans n’importe quel type de conflits futurs qui s’étendraient Ă  l’espace » et le PrĂ©sident Donald Trump de lancer une vĂ©ritable Space Force, prĂ©sentĂ©e comme la 6e armĂ©e amĂ©ricaine.

Cette rĂ©flexion du ministĂšre de la DĂ©fense amĂ©ricain souligne que l’espace stratĂ©gique ne se limite pas aux satellites militaires. Aujourd’hui, les sociĂ©tĂ©s modernes sont entiĂšrement dĂ©pendantes de l’espace (systĂšmes Ă©conomiques, industriels, bancaires mais aussi sociaux ou de santĂ©, etc.) et leur rĂ©silience rĂ©sulte en grande partie de la robustesse de leurs capacitĂ©s spatiales (gĂ©olocalisation, communications, transfert de donnĂ©es, mĂ©tĂ©orologie, etc.). La prolifĂ©ration de dispositifs orbitaux est lĂ  pour tĂ©moigner de cette grande dĂ©pendance. Plus de 1 200[6] satellites sont en service sur 4 300 qui ont Ă©tĂ© lancĂ©s depuis le dĂ©but de l’ùre spatiale et qui sont toujours en orbite[7]. La moitiĂ© de ces satellites opĂ©rationnels est civile, un tiers d’entre eux est Ă  usage strictement militaire et le reste Ă  destination majoritairement civile mais potentiellement militaire. L’espace, en particulier dans ses orbites basses (premiĂšres centaines de kilomĂštres), est donc trĂšs sollicitĂ© sinon encombrĂ© avec des satellites parfaitement identifiĂ©s dans leur mission civile ou militaire mais dont un certain nombre a un usage double. La cartographie de l’espace « militaire » comporte donc une part d’incertitude qui oblige Ă  considĂ©rer tout satellite comme un vecteur de puissance militaire. Ainsi, tout objet orbitĂ© peut gĂ©nĂ©rer des effets militaires par les perturbations qu’il peut causer (interfĂ©rences, masquage d’autres satellites, etc.), voire devenir une arme par destination s’il est placĂ© sur une trajectoire de collision avec un autre satellite. En outre, la « colonisation » de l’espace a laissĂ© un grand nombre de dĂ©bris[8] en orbite qui peuvent constituer des menaces sur les satellites opĂ©rationnels, dont ceux Ă  vocation militaire. Cette pollution spatiale a ainsi un impact sĂ©curitaire et doit ĂȘtre, autant que possible, maĂźtrisĂ©e. C’est la raison pour laquelle les activitĂ©s spatiales militaires (et civiles) s’accompagnent aujourd’hui, dans les pays qui en ont la capacitĂ©, d’un segment terrestre de surveillance de l’espace dont le rĂŽle est de plus en plus crucial. Connu sous le nom SSA (Space Situational Awareness), il est mis en Ɠuvre, en France, par l’armĂ©e de l’air (activitĂ© permanente de surveillance, de poursuite et d’identification) avec le soutien de l’ONERA (qui a conçu et dĂ©veloppĂ© le radar GRAVES[9]), ArianeGroup avec le rĂ©seau d’observation GEOTracker, la Marine nationale et la DGA (BĂątiment d’essai et de mesure Monge) ainsi que le CNES (modifications Ă©ventuelles de la trajectoire des satellites).

La France comme acteur majeur de l’espace militaire « stratĂ©gique »[10]

L’ambition française de devenir une puissance spatiale majeure est attribuĂ©e au gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Le programme « Pierres prĂ©cieuses », initiĂ© en 1959 par le premier PrĂ©sident de la Ve RĂ©publique, aboutit le 26 novembre 1965 au lancement d’AstĂ©rix, le premier satellite français. La France devient le troisiĂšme pays, aprĂšs l’URSS et les États-Unis, Ă  rĂ©aliser une telle prouesse. Selon Charles de Gaulle, l’époque le justifiait, ainsi concluait-il « Nous sommes au siĂšcle des fusĂ©es et des avions.[11]» La doctrine militaire classique justifie cette assertion : la maĂźtrise du point haut procure en effet un avantage Ă  son dĂ©tenteur. Or, Ă  l’ñge nuclĂ©aire, ĂȘtre en capacitĂ© de pouvoir mettre seul un satellite en orbite est primordial. Elle traduit le caractĂšre stratĂ©gique de l’espace.

PremiĂšrement, la technologie des lanceurs civils et des missiles Ă©tant trĂšs proche, mettre en orbite un satellite permet aussi de prouver sa capacitĂ© de disposer de vecteurs balistiques pouvant embarquer des charges et frapper un ennemi au cƓur de son dispositif. En soit, le spatial est un Ă©lĂ©ment constitutif de la dissuasion nuclĂ©aire, dont le but est d’assurer tout agresseur potentiel de lui occasionner un maximum de dĂ©gĂąts n’importe oĂč sur la planĂšte. À cet Ă©gard, l’exploit du Spoutnik, mis en orbite par les SoviĂ©tiques le 4 octobre 1957, est marquant. Il a Ă©tĂ© vĂ©cu comme un cinglant avertissement par les États-Unis et a dĂ©clenchĂ© une riposte technologique d’ampleur (programmes Mercury, Gemini et Apollo) visant, certes, Ă  l’exploration spatiale et lunaire mais cherchant avant tout Ă  dĂ©montrer la puissance amĂ©ricaine en matiĂšre de lanceurs et de vĂ©hicules orbitaux. De son cĂŽtĂ©, la France n’est pas restĂ©e en retrait et a dĂ©veloppĂ© une force de frappe nuclĂ©aire qui lui a Ă©galement confĂ©rĂ© au statut de premiĂšre puissance spatiale europĂ©enne. Celle-ci a Ă©tĂ© ensuite crĂ©dibilisĂ©e par le succĂšs de la famille de fusĂ©es europĂ©ennes Ariane, dont elle est trĂšs largement Ă  l’origine (deux tiers des investissements), et de celui de son centre de lancement[12].

En second lieu, le fait de pouvoir disposer de satellites d’observation permet Ă  une puissance nuclĂ©aire de connaĂźtre les capacitĂ©s nuclĂ©aires de ses voisins, en termes de nombre et d’emplacements des sites mais aussi d’éventuelles mises Ă  feu. Cela assoit l’effort de dissuasion en renforçant sa capacitĂ© de rĂ©action et de prĂ©cision. En effet, dans le cas oĂč une attaque massive soudaine serait lancĂ©e, la riposte immĂ©diate serait permise grĂące Ă  une dĂ©tection, elle-mĂȘme provoquĂ©e par un systĂšme d’alerte prĂ©coce. LĂ  aussi, la « paix nuclĂ©aire » est garantie par de tels outils qui permettent Ă  chacun de savoir quelles sont les capacitĂ©s de l’autre et d’éviter les attaques surprises ou leurs fausses anticipations. Dans ce qui est dĂ©nommĂ© l’« espace stratĂ©gique », la France dispose de capacitĂ©s performantes et autonomes. Les satellites d’observation militaires Helios (Ă  partir de 1995) et duaux PlĂ©iades (Ă  partir de 2011) pour l’observation et la reconnaissance optique l’illustrent. Leur successeur (systĂšme CSO[13]) consacrera la capacitĂ© française dans l’optique. L’une de leur mission « stratĂ©gique » est de surveiller et de vĂ©rifier la non-violation des traitĂ©s de dĂ©sarmement et de non-prolifĂ©ration. Également, dans le cadre de l’« espace stratĂ©gique », la France a dĂ©veloppĂ© le programme expĂ©rimental SPIRALE[14], visant Ă  se doter, Ă  terme, d’un systĂšme d’alerte prĂ©coce qui, en plus de renseigner sur l’activitĂ© balistique de ses voisins, permet d’identifier les agresseurs et de prĂ©parer l’interception voire la riposte appropriĂ©e.

La France comme acteur non global de l’espace militaire tactique

L’effondrement du bloc soviĂ©tique et l’émergence de nouvelles formes de conflictualitĂ© aidant, les fonctions de l’espace militaire vont excĂ©der celles de l’espace stratĂ©gique. À l’occasion de l’engagement de ses forces dans le Golfe, la doctrine militaire des États-Unis a transformĂ© l’usage de l’espace et lui a donnĂ© une place centrale dans l’action opĂ©rationnelle. AprĂšs l’« espace stratĂ©gique », reliĂ© Ă  l’ñge nuclĂ©aire, il s’est alors agi de doper les capacitĂ©s satellitaires aux nouvelles technologies du numĂ©rique et des capteurs pour accroĂźtre les effets et la prĂ©cision des armes conventionnelles et ainsi faire face aux engagements irrĂ©guliers du tournant du siĂšcle. Cet « espace au service du combattant[15]» visa d’abord Ă  leur permettre de bĂ©nĂ©ficier de communications tactiques sĂ©curisĂ©es et accessibles en tous points du globe. Il chercha ensuite Ă  amĂ©liorer le ciblage des objectifs et Ă  faciliter leur traitement par des capacitĂ©s de renseignement et de gĂ©olocalisation accrue, quels que soient le milieu et les cibles mobiles ou non. Il se donna aussi pour objectif de protĂ©ger les forces en dĂ©tectant et en alertant prĂ©cocement des tirs de missiles de thĂ©Ăątre comme les fameux SCUD. L’espace est alors conçu comme un « multiplicateur de force[16]» avec des satellites aux performances de plus en plus impressionnantes.

Loin de disposer de toute la panoplie spatiale amĂ©ricaine, la France possĂšde nĂ©anmoins, sur le plan tactique, certaines de ses capacitĂ©s et s’appuie sur des moyens dĂ©veloppĂ©s de façon autonome ou en coopĂ©ration europĂ©enne. Ainsi, en matiĂšre d’observation, elle dispose aujourd’hui de systĂšmes Helios Ă©voluĂ©s[17] et s’attend Ă  disposer de la Composante spatiale optique (CSO) qui doit, avec trois satellites lancĂ©s entre 2018 et 2021 [18], leur succĂ©der avec une rĂ©solution accrue. Elle dispose aussi d’images issues des satellites PlĂ©iades Ă  vocation civile voire de satellites europĂ©ens par le biais de coopĂ©rations bilatĂ©rales ou via le Centre satellitaire de l’Union europĂ©enne[19]. Dans le domaine des transmissions, la France a dĂ©veloppĂ© des systĂšmes Ă  partir des annĂ©es 1980. Cela commença, dĂšs 1984, par des charges utiles embarquĂ©es sur des satellites civils. Il s’agissait des charges embarquĂ©es Syracuse [20] installĂ©s sur des satellites civils Telecom. AprĂšs avoir renouvelĂ© ces moyens, entre 1991 et 1996, par une seconde gĂ©nĂ©ration Syracuse 2, elle dispose, depuis 2005 et 2006, de deux satellites Syracuse 3 Ă  part entiĂšre et exclusivement dĂ©diĂ©s aux opĂ©rations militaires. Depuis 2015, ils sont renforcĂ©s par un satellite militaire franco-italien Sicral et par le systĂšme Ă  usage dual[21]. La France est dĂ©sormais capable d’ĂȘtre reliĂ©e Ă  plusieurs thĂ©Ăątres d’opĂ©rations simultanĂ©ment et la loi de programmation militaire 2019-2025 prĂ©voit la mise en service des deux premiers satellites Syracuse 4. Reste la gĂ©olocalisation, qui demeure un point faible des armĂ©es françaises qui sont dĂ©pendantes du GPS amĂ©ricain tant que le systĂšme europĂ©en Galileo ne sera pas totalement opĂ©rationnel (vers 2020). Pour autant, elle n’abandonnera pas le systĂšme des États-Unis et utilisera plutĂŽt la redondance des deux constellations alliĂ©es.

En conclusion, malgrĂ© ses importants efforts dans le domaine du spatial militaire, la France reste une puissance spatiale militaire moyenne concurrencĂ©e, en outre, par le dĂ©veloppement rapide de capacitĂ©s dans de nombreux rĂ©gions. Ainsi, une vingtaine de pays ont investi l’espace en y envoyant des satellites Ă  vocation militaire (notamment des satellites de reconnaissance comme la Chine en 1975, IsraĂ«l en 1995, le Japon en 2003, puis successivement l’Inde, TaĂŻwan, la CorĂ©e du Sud, l’Arabie saoudite). Avec le dispositif CERES[22] dont le lancement des trois satellites est prĂ©vu pour fin 2020[23], la France pourrait toutefois entrer dans un cercle trĂšs restreint des pays ayant la capacitĂ© de rĂ©colter du renseignement d’origine Ă©lectromagnĂ©tique (ou ROEM). Le programme succĂ©dera aux dĂ©monstrateurs ELISA[24], lancĂ©s en 2011. Un tel outil permettra de localiser les systĂšmes anti-aĂ©riens de puissances adverses ainsi que les activitĂ©s radio de ses unitĂ©s de combat. En revanche, la France, qui a acquis, grĂące au dĂ©monstrateur SPIRALE[25]), une expertise dans l’alerte ne dispose plus, Ă  ce jour, de capacitĂ©s en la matiĂšre. L’ensemble de ces moyens satellitaires français permet de disposer, en tous points du globe et sans dĂ©lai, de capacitĂ©s telles que le recueil de donnĂ©es d’environnement, la communication, la localisation/navigation et le commandement et le contrĂŽle opĂ©rationnels des forces nationales sur tous ses thĂ©Ăątres d’engagement. On peut donc considĂ©rer que l’autonomie d’infor-mation, de dĂ©cision et d’action de la France est ainsi largement du fait du spatial militaire. NĂ©anmoins, ce pays demeure une puissance spatiale « non cinĂ©tique » ce qui signifie qu’elle ne dispose pas, du moins Ă  ce stade, de capacitĂ©s « agressives » comme c’est le cas aux États-Unis ou en Chine. Son influence peut se rĂ©vĂ©ler cependant importante face aux dĂ©fis actuels posĂ©s par le spatial militaire.

La France peut faire montre d’atouts face aux prochains dĂ©fis que pose l’espace militaire

La prĂ©dominance des États-Unis dans le spatial militaire est Ă©crasante. Ainsi, sur l’ensemble des satellites militaires actifs en 2017, environ 150 seraient amĂ©ricains, 40 seraient russes et une cinquantaine relĂšveraient de la Chine. L’Europe ferme le ban avec 35 satellites militaires, dont huit français, sept pour chacune des armĂ©es allemande, britannique et italienne, deux espagnols et quatre en coopĂ©rations europĂ©ennes dont tous impliquent la France. Ces chiffres europĂ©ens n’intĂšgrent toutefois pas le systĂšme de gĂ©o -positionnement Galileo dont la vocation n’est pas exclusivement militaire mais qui sera largement utilisĂ© par les armĂ©es europĂ©ennes (30 satellites Ă  terme).

Les montants budgĂ©taires reflĂštent aussi cette disparitĂ©. Si le budget militaire spatial de la France reprĂ©sente la moitiĂ© de celui de l’Europe (492 millions d’euros en 2017[26] contre 1 milliard pour l’Europe), celui de la Russie s’élĂšve Ă  1,5 milliard tandis que celui de la Chine avoisine les 2 milliards. Or, pour les États-Unis, on arrive Ă  une quarantaine de milliards. Au total, en 2016, 75 % des dĂ©penses spatiales militaires sont amĂ©ricaines,[27] et la dynamique est au creusement d’écart. Ainsi, entre Washington et PĂ©kin, les deux premiĂšres puissances militaires spatiales, le premier prĂ©voit des augmentations budgĂ©taires Ă  hauteur du budget (total) du second[28]. Les prioritĂ©s ne sont effet pas les mĂȘmes. Vu la dĂ©pendance que l’outil militaire amĂ©ricain a dĂ©veloppĂ© vis-Ă -vis du spatial (par exemple les missiles amĂ©ricains pour la plupart guidĂ©s par GPS), la vulnĂ©rabilitĂ© est forte, d’oĂč la volontĂ© d’un « espace contrĂŽlĂ© », consĂ©quence logique d’un espace devenu, en 1999, un « intĂ©rĂȘt national vital pour les États-Unis », selon le secrĂ©taire Ă  la DĂ©fense du prĂ©sident Bill Clinton, William Cohen, dans sa directive spatiale militaire[29].

Ainsi, les États-Unis dĂ©pensent environ un milliard par an[30] Ă  dĂ©velopper les capacitĂ©s offensives (avec des armes Ă  Ă©nergie cinĂ©tique ou Ă  Ă©nergie dirigĂ©e) ou dĂ©fensives de leurs satellites. En parallĂšle, les objets envoyĂ©s en orbite sont de plus en plus miniaturisĂ©s et les

pays en mesure de se rendre dans l’espace se multiplient. Si conflit il devait y avoir, celui-ci poserait problĂšme au vainqueur lui -mĂȘme sur la question de sa sĂ©curitĂ© face aux dĂ©bris. D’ores et dĂ©jĂ , depuis Spoutnik en 1957, plus de 41 000 objets d’une taille supĂ©rieure Ă  10 centimĂštres ont Ă©tĂ© laissĂ©s en orbite[31] (taille qui permet de les repĂ©rer). Or un dĂ©bris d’un centimĂštre est suffisant pour dĂ©truire un satellite[32]. De plus, selon le syndrome de Kessler, la croissance du nombre des dĂ©bris augmente de façon exponentielle car plus ils sont nombreux, plus ils sont en mesure d’entrer en collision et de gĂ©nĂ©rer d’autres dĂ©bris, le phĂ©nomĂšne s’autoalimentant. La France, en tant que puissance spatiale europĂ©enne majeure, peut non seulement aider avec ses capacitĂ©s techniques (systĂšme de surveillance de l’espace Graves) pour participer Ă  la cartographie continue des dĂ©bris spatiaux. Elle peut surtout utiliser son poids (Ă  la fois non nĂ©gligeable et non menaçant pour les grandes puissances spatiales) pour pousser ceux-lĂ  s’entendre sur une non-militarisation de l’espace orbital, celle-ci semblant contre-productive. En effet, le seul envoi d’un ou deux missiles balistiques pour explosion et fragmentation peut dĂ©truire de nombreuses capacitĂ©s satellitaires. Un combat asymĂ©trique, avec la possibilitĂ© de faire passer cela pour un accident (et ne pas s’exposer frontalement aux reprĂ©sailles qu’un acte intentionnel ferait courir) montre le peu d’utilitĂ© qu’un espace militarisĂ© pourrait offrir. La France peut ainsi prĂ©server son outil militaire satellitaire (et celui des autres puissances spatiales) Ă  travers des actions techniques et diplomatiques. Une approche que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle n’aurait pas reniĂ©e, lui qui dĂ©clarait que « la diplomatie est la poursuite de la guerre par d’autres moyens[33]». Pour faire face Ă  ces enjeux spatiaux, la France apporte une rĂ©ponse volontariste. Tout d’abord, la loi de programmation militaire 2019-2025, votĂ©e en 2018, intĂšgre clairement la problĂ©matique de l’arsenalisation de l’espace. Par ailleurs, sur demande du PrĂ©sident Emmanuel Macron, une stratĂ©gie spatiale de dĂ©fense va ĂȘtre dĂ©finie en 2019. Pour le PrĂ©sident, elle « aura vocation Ă  ĂȘtre dĂ©clinĂ©e, sur tous les aspects pertinents, sur le plan europĂ©en[34]».

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