Cet article dresse un Ă©tat des lieux de la place et de lâaction de la France dans le domaine du spatial. Paris reste, selon lâauteur, une puissance spatiale militaire de rang intermĂ©diaire qui nĂ©anmoins dĂ©ploie des efforts importants et dispose de nombre dâatouts face aux dĂ©fis Ă venir.
Les opinions exprimĂ©es dans cet article nâengagent pas le CSFRS.
Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont: « La France, un challenger majeur de l’espace militaire » de Vincent SatgĂ©.
Ce texte, ainsi que dâautres publications, peuvent ĂȘtre consultĂ©s dans l’ouvrage ConflictualitĂ©s modernes et postures de dĂ©fense.Â
« Quiconque contrĂŽle le point haut de lâespace contrĂŽle le monde ». LâEmpire romain contrĂŽlait le monde parce quâil pouvait bĂątir des routes. Plus tard, lâEmpire britannique dominait grĂące Ă sa marine. Ă lâĂšre de lâaĂ©ronautique, nous Ă©tions puissants car nous avions lâavion. Et maintenant les communistes ont dĂ©jĂ un pied dans lâespace. TrĂšs bientĂŽt ils auront des satanĂ©es plateformes spatiales du haut desquelles ils nous jetteront des bombes nuclĂ©aires sur la tĂȘte. » Ces mots, attribuĂ©s Ă Lyndon Johnson, alors vice-prĂ©sident des Ătats-Unis, dans le film LâĂtoffe des hĂ©ros[1], traite du programme Mercury, câest-Ă -dire celui des premiers vols habitĂ©s amĂ©ricains hors de lâatmosphĂšre. Il souligne aussi combien lâespace a Ă©tĂ© associĂ©, dĂšs les dĂ©buts de son exploration, Ă une perspective de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© nationale. De fait, pendant les premiĂšres dĂ©cennies de lâaventure spatiale, qui coĂŻncident avec celles de la Guerre froide, lâenjeu spatial a essentiellement Ă©tĂ© stratĂ©gique (dĂ©monstration de puissance, renseignement), ce qui lui a permis de mobiliser les immenses fonds nĂ©cessaires. On peut imaginer quâune capacitĂ© spatiale uniquement civile aurait Ă©tĂ© beaucoup plus longue Ă Ă©merger. Pour autant, ces annĂ©es 1960 et 1970 ont aussi Ă©tĂ© marquĂ©es par de grands programmes civils (exploration lunaire et du systĂšme solaire, laboratoires orbitaux) mais dont la motivation a souvent Ă©tĂ© nourrie par la rivalitĂ© entre les deux grands blocs Est et Ouest. Ainsi, le programme lunaire sâinterrompt rapidement aprĂšs que la course Ă la Lune a Ă©tĂ© gagnĂ©e par les Ătats-Unis. Par ailleurs, si les stations spatiales amĂ©ricaine (Skylab) ou soviĂ©tique (Saliout) sont popularisĂ©es pour leur utilisation scientifique, on ne peut pas Ă©carter le fait quâelles ont aussi eu une destination militaire, directe ou indirecte. Pendant ce temps, le nombre et la performance des satellites militaires sâaccroĂźt avec des capacitĂ©s de plus en plus efficaces dâ« espionnage spatial ». Si elles permettront Ă leurs dĂ©tenteurs dâasseoir leur puissance, il faut reconnaĂźtre quâelles constitueront aussi un facteur dâĂ©quilibre international et de dĂ©tente en servant dâoutils de contrĂŽle des accords de dĂ©sarmement SALT[2] de ces annĂ©es 1970.
Lâespace militaire prend une nouvelle dimension au dĂ©but des annĂ©es 1980 avec lâInitiative de dĂ©fense stratĂ©gique (SDI[3]) de Ronald Reagan. Rendue publique en 1983, elle fut immĂ©diatement baptisĂ©e « guerre des Ă©toiles » pour sa coĂŻncidence avec la sortie dâun film cĂ©lĂšbre du mĂȘme nom[4]. Lâobjectif de la SDI Ă©tait double : dâabord, complĂ©ter le dispositif de dissuasion nuclĂ©aire par un systĂšme de prĂ©vention dâune agression soviĂ©tique mais, aussi, utiliser la puissance technologique amĂ©ricaine pour mettre Ă genoux lâURSS. Pour cela, le projet envisageait de dĂ©velopper une parade multi-sectorielle aux vecteurs balistiques soviĂ©tiques avec un bouclier anti-missile sâappuyant sur des moyens de dĂ©tection, dâalerte et dâinterception reposant pour beaucoup sur des capacitĂ©s spatiales. La SDI a bien eu deux effets dont effectivement celui de surprendre une Union soviĂ©tique en dĂ©liquescence, Ă©conomiquement, incapable de relever le dĂ©fi posĂ© et handicapĂ©e par un budget de dĂ©fense reprĂ©sentant quelque 30 % de son produit intĂ©rieur brut. Elle gĂ©nĂ©ra aussi la crainte de rompre un Ă©quilibre fragile de la dissuasion, peur qui ne se limita pas Ă lâURSS mais gagna les alliĂ©s des Ătats-Unis qui y virent Ă©galement un risque de trop grande dĂ©pendance au nouveau parapluie amĂ©ricain. Finalement, la chute du pacte de Varsovie freina fortement le dispositif et lâambition amĂ©ricaine se limita Ă quelques Ă©lĂ©ments de dĂ©fense. Toutefois, lâidĂ©e dâune dĂ©fense anti-missile, largement basĂ©e sur le spatial, ne fut jamais abandonnĂ©e et reprit de la vigueur avec la vision technologique de la Revolution in the Military Affairs des annĂ©es 1990 et le besoin de rĂ©ponses, depuis les annĂ©es 2000, aux Rogue States dont les capacitĂ©s balistiques prolifĂ©raient. Les opĂ©rations militaires de la fin du XXe siĂšcle et du dĂ©but du suivant accĂ©lĂ©rĂšrent le recours Ă lâespace qui ne se limita plus aux seules activitĂ©s de renseignement (observation dans diffĂ©rents domaines de frĂ©quences : optique, infrarouge, radar ; Ă©coute) mais permit dâaccueillir des constellations de satellites de gĂ©olocalisation (GPS), de communication ou dâalerte avancĂ©e. Progressivement, le champ spatial est devenu un milieu Ă part entiĂšre de lâaction militaire et plus aucune opĂ©ration ne saurait se passer de ce segment dont les armĂ©es sont fortement dĂ©pendantes. Si lâarsenalisation de lâespace nâest pas de mise, un traitĂ© international de 1967 interdisant Ă ses signataires dây installer des armes de destruction massive, sa militarisation est aussi ancienne que son exploration et va croissante au fur et Ă mesure que de nouvelles nations y accĂšdent. En fĂ©vrier 2018, le Pentagone avouait que « Les Ătats-Unis sont dĂ©pendants de lâespace et nos adversaires le savent » et que, compte tenu du fait que « La Russie et la Chine ont pour objectif dâavoir des armes contre-spatiales non destructives et destructrices disponibles pour un futur conflit potentiel », un prochain conflit mondial pourrait dĂ©buter dans lâespace[5]. Cela incita Heather Wilson, la secrĂ©taire Ă la Force aĂ©rienne des Ătats-Unis, Ă souligner que le pays se devait dâ« organiser et entraĂźner des forces capables de triompher dans nâimporte quel type de conflits futurs qui sâĂ©tendraient Ă lâespace » et le PrĂ©sident Donald Trump de lancer une vĂ©ritable Space Force, prĂ©sentĂ©e comme la 6e armĂ©e amĂ©ricaine.
Cette rĂ©flexion du ministĂšre de la DĂ©fense amĂ©ricain souligne que lâespace stratĂ©gique ne se limite pas aux satellites militaires. Aujourdâhui, les sociĂ©tĂ©s modernes sont entiĂšrement dĂ©pendantes de lâespace (systĂšmes Ă©conomiques, industriels, bancaires mais aussi sociaux ou de santĂ©, etc.) et leur rĂ©silience rĂ©sulte en grande partie de la robustesse de leurs capacitĂ©s spatiales (gĂ©olocalisation, communications, transfert de donnĂ©es, mĂ©tĂ©orologie, etc.). La prolifĂ©ration de dispositifs orbitaux est lĂ pour tĂ©moigner de cette grande dĂ©pendance. Plus de 1 200[6] satellites sont en service sur 4 300 qui ont Ă©tĂ© lancĂ©s depuis le dĂ©but de lâĂšre spatiale et qui sont toujours en orbite[7]. La moitiĂ© de ces satellites opĂ©rationnels est civile, un tiers dâentre eux est Ă usage strictement militaire et le reste Ă destination majoritairement civile mais potentiellement militaire. Lâespace, en particulier dans ses orbites basses (premiĂšres centaines de kilomĂštres), est donc trĂšs sollicitĂ© sinon encombrĂ© avec des satellites parfaitement identifiĂ©s dans leur mission civile ou militaire mais dont un certain nombre a un usage double. La cartographie de lâespace « militaire » comporte donc une part dâincertitude qui oblige Ă considĂ©rer tout satellite comme un vecteur de puissance militaire. Ainsi, tout objet orbitĂ© peut gĂ©nĂ©rer des effets militaires par les perturbations quâil peut causer (interfĂ©rences, masquage dâautres satellites, etc.), voire devenir une arme par destination sâil est placĂ© sur une trajectoire de collision avec un autre satellite. En outre, la « colonisation » de lâespace a laissĂ© un grand nombre de dĂ©bris[8] en orbite qui peuvent constituer des menaces sur les satellites opĂ©rationnels, dont ceux Ă vocation militaire. Cette pollution spatiale a ainsi un impact sĂ©curitaire et doit ĂȘtre, autant que possible, maĂźtrisĂ©e. Câest la raison pour laquelle les activitĂ©s spatiales militaires (et civiles) sâaccompagnent aujourdâhui, dans les pays qui en ont la capacitĂ©, dâun segment terrestre de surveillance de lâespace dont le rĂŽle est de plus en plus crucial. Connu sous le nom SSA (Space Situational Awareness), il est mis en Ćuvre, en France, par lâarmĂ©e de lâair (activitĂ© permanente de surveillance, de poursuite et dâidentification) avec le soutien de lâONERA (qui a conçu et dĂ©veloppĂ© le radar GRAVES[9]), ArianeGroup avec le rĂ©seau dâobservation GEOTracker, la Marine nationale et la DGA (BĂątiment dâessai et de mesure Monge) ainsi que le CNES (modifications Ă©ventuelles de la trajectoire des satellites).
La France comme acteur majeur de lâespace militaire « stratĂ©gique »[10]
Lâambition française de devenir une puissance spatiale majeure est attribuĂ©e au gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Le programme « Pierres prĂ©cieuses », initiĂ© en 1959 par le premier PrĂ©sident de la Ve RĂ©publique, aboutit le 26 novembre 1965 au lancement dâAstĂ©rix, le premier satellite français. La France devient le troisiĂšme pays, aprĂšs lâURSS et les Ătats-Unis, Ă rĂ©aliser une telle prouesse. Selon Charles de Gaulle, lâĂ©poque le justifiait, ainsi concluait-il « Nous sommes au siĂšcle des fusĂ©es et des avions.[11]» La doctrine militaire classique justifie cette assertion : la maĂźtrise du point haut procure en effet un avantage Ă son dĂ©tenteur. Or, Ă lâĂąge nuclĂ©aire, ĂȘtre en capacitĂ© de pouvoir mettre seul un satellite en orbite est primordial. Elle traduit le caractĂšre stratĂ©gique de lâespace.
PremiĂšrement, la technologie des lanceurs civils et des missiles Ă©tant trĂšs proche, mettre en orbite un satellite permet aussi de prouver sa capacitĂ© de disposer de vecteurs balistiques pouvant embarquer des charges et frapper un ennemi au cĆur de son dispositif. En soit, le spatial est un Ă©lĂ©ment constitutif de la dissuasion nuclĂ©aire, dont le but est dâassurer tout agresseur potentiel de lui occasionner un maximum de dĂ©gĂąts nâimporte oĂč sur la planĂšte. Ă cet Ă©gard, lâexploit du Spoutnik, mis en orbite par les SoviĂ©tiques le 4 octobre 1957, est marquant. Il a Ă©tĂ© vĂ©cu comme un cinglant avertissement par les Ătats-Unis et a dĂ©clenchĂ© une riposte technologique dâampleur (programmes Mercury, Gemini et Apollo) visant, certes, Ă lâexploration spatiale et lunaire mais cherchant avant tout Ă dĂ©montrer la puissance amĂ©ricaine en matiĂšre de lanceurs et de vĂ©hicules orbitaux. De son cĂŽtĂ©, la France nâest pas restĂ©e en retrait et a dĂ©veloppĂ© une force de frappe nuclĂ©aire qui lui a Ă©galement confĂ©rĂ© au statut de premiĂšre puissance spatiale europĂ©enne. Celle-ci a Ă©tĂ© ensuite crĂ©dibilisĂ©e par le succĂšs de la famille de fusĂ©es europĂ©ennes Ariane, dont elle est trĂšs largement Ă lâorigine (deux tiers des investissements), et de celui de son centre de lancement[12].
En second lieu, le fait de pouvoir disposer de satellites dâobservation permet Ă une puissance nuclĂ©aire de connaĂźtre les capacitĂ©s nuclĂ©aires de ses voisins, en termes de nombre et dâemplacements des sites mais aussi dâĂ©ventuelles mises Ă feu. Cela assoit lâeffort de dissuasion en renforçant sa capacitĂ© de rĂ©action et de prĂ©cision. En effet, dans le cas oĂč une attaque massive soudaine serait lancĂ©e, la riposte immĂ©diate serait permise grĂące Ă une dĂ©tection, elle-mĂȘme provoquĂ©e par un systĂšme dâalerte prĂ©coce. LĂ aussi, la « paix nuclĂ©aire » est garantie par de tels outils qui permettent Ă chacun de savoir quelles sont les capacitĂ©s de lâautre et dâĂ©viter les attaques surprises ou leurs fausses anticipations. Dans ce qui est dĂ©nommĂ© lâ« espace stratĂ©gique », la France dispose de capacitĂ©s performantes et autonomes. Les satellites dâobservation militaires Helios (Ă partir de 1995) et duaux PlĂ©iades (Ă partir de 2011) pour lâobservation et la reconnaissance optique lâillustrent. Leur successeur (systĂšme CSO[13]) consacrera la capacitĂ© française dans lâoptique. Lâune de leur mission « stratĂ©gique » est de surveiller et de vĂ©rifier la non-violation des traitĂ©s de dĂ©sarmement et de non-prolifĂ©ration. Ăgalement, dans le cadre de lâ« espace stratĂ©gique », la France a dĂ©veloppĂ© le programme expĂ©rimental SPIRALE[14], visant Ă se doter, Ă terme, dâun systĂšme dâalerte prĂ©coce qui, en plus de renseigner sur lâactivitĂ© balistique de ses voisins, permet dâidentifier les agresseurs et de prĂ©parer lâinterception voire la riposte appropriĂ©e.
La France comme acteur non global de lâespace militaire tactique
Lâeffondrement du bloc soviĂ©tique et lâĂ©mergence de nouvelles formes de conflictualitĂ© aidant, les fonctions de lâespace militaire vont excĂ©der celles de lâespace stratĂ©gique. Ă lâoccasion de lâengagement de ses forces dans le Golfe, la doctrine militaire des Ătats-Unis a transformĂ© lâusage de lâespace et lui a donnĂ© une place centrale dans lâaction opĂ©rationnelle. AprĂšs lâ« espace stratĂ©gique », reliĂ© Ă lâĂąge nuclĂ©aire, il sâest alors agi de doper les capacitĂ©s satellitaires aux nouvelles technologies du numĂ©rique et des capteurs pour accroĂźtre les effets et la prĂ©cision des armes conventionnelles et ainsi faire face aux engagements irrĂ©guliers du tournant du siĂšcle. Cet « espace au service du combattant[15]» visa dâabord Ă leur permettre de bĂ©nĂ©ficier de communications tactiques sĂ©curisĂ©es et accessibles en tous points du globe. Il chercha ensuite Ă amĂ©liorer le ciblage des objectifs et Ă faciliter leur traitement par des capacitĂ©s de renseignement et de gĂ©olocalisation accrue, quels que soient le milieu et les cibles mobiles ou non. Il se donna aussi pour objectif de protĂ©ger les forces en dĂ©tectant et en alertant prĂ©cocement des tirs de missiles de thĂ©Ăątre comme les fameux SCUD. Lâespace est alors conçu comme un « multiplicateur de force[16]» avec des satellites aux performances de plus en plus impressionnantes.
Loin de disposer de toute la panoplie spatiale amĂ©ricaine, la France possĂšde nĂ©anmoins, sur le plan tactique, certaines de ses capacitĂ©s et sâappuie sur des moyens dĂ©veloppĂ©s de façon autonome ou en coopĂ©ration europĂ©enne. Ainsi, en matiĂšre dâobservation, elle dispose aujourdâhui de systĂšmes Helios Ă©voluĂ©s[17] et sâattend Ă disposer de la Composante spatiale optique (CSO) qui doit, avec trois satellites lancĂ©s entre 2018 et 2021 [18], leur succĂ©der avec une rĂ©solution accrue. Elle dispose aussi dâimages issues des satellites PlĂ©iades Ă vocation civile voire de satellites europĂ©ens par le biais de coopĂ©rations bilatĂ©rales ou via le Centre satellitaire de lâUnion europĂ©enne[19]. Dans le domaine des transmissions, la France a dĂ©veloppĂ© des systĂšmes Ă partir des annĂ©es 1980. Cela commença, dĂšs 1984, par des charges utiles embarquĂ©es sur des satellites civils. Il sâagissait des charges embarquĂ©es Syracuse [20] installĂ©s sur des satellites civils Telecom. AprĂšs avoir renouvelĂ© ces moyens, entre 1991 et 1996, par une seconde gĂ©nĂ©ration Syracuse 2, elle dispose, depuis 2005 et 2006, de deux satellites Syracuse 3 Ă part entiĂšre et exclusivement dĂ©diĂ©s aux opĂ©rations militaires. Depuis 2015, ils sont renforcĂ©s par un satellite militaire franco-italien Sicral et par le systĂšme Ă usage dual[21]. La France est dĂ©sormais capable dâĂȘtre reliĂ©e Ă plusieurs thĂ©Ăątres dâopĂ©rations simultanĂ©ment et la loi de programmation militaire 2019-2025 prĂ©voit la mise en service des deux premiers satellites Syracuse 4. Reste la gĂ©olocalisation, qui demeure un point faible des armĂ©es françaises qui sont dĂ©pendantes du GPS amĂ©ricain tant que le systĂšme europĂ©en Galileo ne sera pas totalement opĂ©rationnel (vers 2020). Pour autant, elle nâabandonnera pas le systĂšme des Ătats-Unis et utilisera plutĂŽt la redondance des deux constellations alliĂ©es.
En conclusion, malgrĂ© ses importants efforts dans le domaine du spatial militaire, la France reste une puissance spatiale militaire moyenne concurrencĂ©e, en outre, par le dĂ©veloppement rapide de capacitĂ©s dans de nombreux rĂ©gions. Ainsi, une vingtaine de pays ont investi lâespace en y envoyant des satellites Ă vocation militaire (notamment des satellites de reconnaissance comme la Chine en 1975, IsraĂ«l en 1995, le Japon en 2003, puis successivement lâInde, TaĂŻwan, la CorĂ©e du Sud, lâArabie saoudite). Avec le dispositif CERES[22] dont le lancement des trois satellites est prĂ©vu pour fin 2020[23], la France pourrait toutefois entrer dans un cercle trĂšs restreint des pays ayant la capacitĂ© de rĂ©colter du renseignement dâorigine Ă©lectromagnĂ©tique (ou ROEM). Le programme succĂ©dera aux dĂ©monstrateurs ELISA[24], lancĂ©s en 2011. Un tel outil permettra de localiser les systĂšmes anti-aĂ©riens de puissances adverses ainsi que les activitĂ©s radio de ses unitĂ©s de combat. En revanche, la France, qui a acquis, grĂące au dĂ©monstrateur SPIRALE[25]), une expertise dans lâalerte ne dispose plus, Ă ce jour, de capacitĂ©s en la matiĂšre. Lâensemble de ces moyens satellitaires français permet de disposer, en tous points du globe et sans dĂ©lai, de capacitĂ©s telles que le recueil de donnĂ©es dâenvironnement, la communication, la localisation/navigation et le commandement et le contrĂŽle opĂ©rationnels des forces nationales sur tous ses thĂ©Ăątres dâengagement. On peut donc considĂ©rer que lâautonomie dâinfor-mation, de dĂ©cision et dâaction de la France est ainsi largement du fait du spatial militaire. NĂ©anmoins, ce pays demeure une puissance spatiale « non cinĂ©tique » ce qui signifie quâelle ne dispose pas, du moins Ă ce stade, de capacitĂ©s « agressives » comme câest le cas aux Ătats-Unis ou en Chine. Son influence peut se rĂ©vĂ©ler cependant importante face aux dĂ©fis actuels posĂ©s par le spatial militaire.
La France peut faire montre dâatouts face aux prochains dĂ©fis que pose lâespace militaire
La prĂ©dominance des Ătats-Unis dans le spatial militaire est Ă©crasante. Ainsi, sur lâensemble des satellites militaires actifs en 2017, environ 150 seraient amĂ©ricains, 40 seraient russes et une cinquantaine relĂšveraient de la Chine. LâEurope ferme le ban avec 35 satellites militaires, dont huit français, sept pour chacune des armĂ©es allemande, britannique et italienne, deux espagnols et quatre en coopĂ©rations europĂ©ennes dont tous impliquent la France. Ces chiffres europĂ©ens nâintĂšgrent toutefois pas le systĂšme de gĂ©o -positionnement Galileo dont la vocation nâest pas exclusivement militaire mais qui sera largement utilisĂ© par les armĂ©es europĂ©ennes (30 satellites Ă terme).
Les montants budgĂ©taires reflĂštent aussi cette disparitĂ©. Si le budget militaire spatial de la France reprĂ©sente la moitiĂ© de celui de lâEurope (492 millions dâeuros en 2017[26] contre 1 milliard pour lâEurope), celui de la Russie sâĂ©lĂšve Ă 1,5 milliard tandis que celui de la Chine avoisine les 2 milliards. Or, pour les Ătats-Unis, on arrive Ă une quarantaine de milliards. Au total, en 2016, 75 % des dĂ©penses spatiales militaires sont amĂ©ricaines,[27] et la dynamique est au creusement dâĂ©cart. Ainsi, entre Washington et PĂ©kin, les deux premiĂšres puissances militaires spatiales, le premier prĂ©voit des augmentations budgĂ©taires Ă hauteur du budget (total) du second[28]. Les prioritĂ©s ne sont effet pas les mĂȘmes. Vu la dĂ©pendance que lâoutil militaire amĂ©ricain a dĂ©veloppĂ© vis-Ă -vis du spatial (par exemple les missiles amĂ©ricains pour la plupart guidĂ©s par GPS), la vulnĂ©rabilitĂ© est forte, dâoĂč la volontĂ© dâun « espace contrĂŽlĂ© », consĂ©quence logique dâun espace devenu, en 1999, un « intĂ©rĂȘt national vital pour les Ătats-Unis », selon le secrĂ©taire Ă la DĂ©fense du prĂ©sident Bill Clinton, William Cohen, dans sa directive spatiale militaire[29].
Ainsi, les Ătats-Unis dĂ©pensent environ un milliard par an[30] Ă dĂ©velopper les capacitĂ©s offensives (avec des armes Ă Ă©nergie cinĂ©tique ou Ă Ă©nergie dirigĂ©e) ou dĂ©fensives de leurs satellites. En parallĂšle, les objets envoyĂ©s en orbite sont de plus en plus miniaturisĂ©s et les
pays en mesure de se rendre dans lâespace se multiplient. Si conflit il devait y avoir, celui-ci poserait problĂšme au vainqueur lui -mĂȘme sur la question de sa sĂ©curitĂ© face aux dĂ©bris. Dâores et dĂ©jĂ , depuis Spoutnik en 1957, plus de 41 000 objets dâune taille supĂ©rieure Ă 10 centimĂštres ont Ă©tĂ© laissĂ©s en orbite[31] (taille qui permet de les repĂ©rer). Or un dĂ©bris dâun centimĂštre est suffisant pour dĂ©truire un satellite[32]. De plus, selon le syndrome de Kessler, la croissance du nombre des dĂ©bris augmente de façon exponentielle car plus ils sont nombreux, plus ils sont en mesure dâentrer en collision et de gĂ©nĂ©rer dâautres dĂ©bris, le phĂ©nomĂšne sâautoalimentant. La France, en tant que puissance spatiale europĂ©enne majeure, peut non seulement aider avec ses capacitĂ©s techniques (systĂšme de surveillance de lâespace Graves) pour participer Ă la cartographie continue des dĂ©bris spatiaux. Elle peut surtout utiliser son poids (Ă la fois non nĂ©gligeable et non menaçant pour les grandes puissances spatiales) pour pousser ceux-lĂ sâentendre sur une non-militarisation de lâespace orbital, celle-ci semblant contre-productive. En effet, le seul envoi dâun ou deux missiles balistiques pour explosion et fragmentation peut dĂ©truire de nombreuses capacitĂ©s satellitaires. Un combat asymĂ©trique, avec la possibilitĂ© de faire passer cela pour un accident (et ne pas sâexposer frontalement aux reprĂ©sailles quâun acte intentionnel ferait courir) montre le peu dâutilitĂ© quâun espace militarisĂ© pourrait offrir. La France peut ainsi prĂ©server son outil militaire satellitaire (et celui des autres puissances spatiales) Ă travers des actions techniques et diplomatiques. Une approche que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle nâaurait pas reniĂ©e, lui qui dĂ©clarait que « la diplomatie est la poursuite de la guerre par dâautres moyens[33]». Pour faire face Ă ces enjeux spatiaux, la France apporte une rĂ©ponse volontariste. Tout dâabord, la loi de programmation militaire 2019-2025, votĂ©e en 2018, intĂšgre clairement la problĂ©matique de lâarsenalisation de lâespace. Par ailleurs, sur demande du PrĂ©sident Emmanuel Macron, une stratĂ©gie spatiale de dĂ©fense va ĂȘtre dĂ©finie en 2019. Pour le PrĂ©sident, elle « aura vocation Ă ĂȘtre dĂ©clinĂ©e, sur tous les aspects pertinents, sur le plan europĂ©en[34]».
References
Par : Vincent SATGE
Source : Chaire DĂ©fense & AĂ©rospatial