Cet article met en lumière les changements apportés par le Pacte de Marrakech. Scindé en deux pactes distincts, l'un sur les migrations volontaires et l'autre sur les réfugiés, cet accord a fait l'objet de nombreuses critiques. Pour l’auteure, bien que le Pacte de Marrakech soit une avancée significative pour la reconnaissance de l'inévitabilité des migrations, il ne constitue qu'une timide avancée vers l'ancrage d'un droit de migration dans les droits de l'Homme.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont: « Le Pacte de Marrakech : Vers une nouvelle architecture de gouvernance des migrations après les deux pactes ? » par Catherine Wihtol de Wenden .
« Pour une immigration sûre, ordonnée et régulière », tel est l’objectif du Pacte de Marrakech, proposé à la signature des Etats par les Nations Unies en décembre 2018, dont la réunion finale a eu lieu au Maroc, en décembre 2018. Le Pacte Global est composé de deux Pactes, l’un sur les migrations, l’autre sur les réfugiés. La décision de rédiger ce Pacte Global (« Global Compact » en anglais) a été prise à l’unanimité par 196 Etats lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2016, suite à ce qui a été appelé la « crise des migrations et des réfugiés » de 2015. Il a été adopté par 169 Etats fin 2018.
I – Le long cheminement de la gouvernance globale des migrations :
Le Pacte est un document de 41 pages, annexe de la résolution 73 des Nations Unies, adoptée le 19 décembre 2018. Il obéit à un mécanisme de gouvernance multilatérale des migrations : il s’agit d’associer, dans le processus de décision, les Etats du Nord et du Sud de la planète, mais aussi les acteurs non gouvernementaux, OIG, ONG, associations, employeurs, syndicats, Eglises, experts, associations de travailleurs migrants et de défense des droits, conformément au mécanisme introduit par Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations Unies en 2003. Il avait créé en 2004 le GMG (Global Migration Group, qui faisait suite au Geneva Migration Group), à l’origine du Forum Mondial sur les Migrations et le développement, dont la première réunion a eu lieu à New York, par un « Dialogue de Haut Niveau » en 2006, suivi par une réunion annuelle dans une région du monde différente chaque année, destinée à pointer les aspects les plus criants des conditions liées à la migration. L’espoir était aussi de faire progresser la signature par les Etats de la Convention de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles (signée actuellement par 54 Etats, presque tous du sud, à l’exception de la Bosnie et du Monténégro, car elle donne certains droits aux sans papiers). Un second Dialogue de Haut Niveau a eu lieu à New York en 2013. A un horizon plus lointain, il s’agissait de faire de la migration un « bien public mondial », profitable aux migrants, aux pays d’origine et aux pays d’accueil, un mécanisme appelé « gagnant, gagnant, gagnant (win, win, win). Le Forum a progressé lentement, mais il a fallu la « crise » de 2015 pour accélérer le processus grâce au Pacte Mondial. Mais les Etats-Unis, Israël et cinq pays européens n’en sont pas signataires et l’Union européenne n’a pas pu l’adopter en propre.
Face à l’abondance des effets pervers, parfois dramatiques liés à une gestion défectueuse des migrations (2 275 morts en méditerranée en 2018, délits de solidarité, traitements inhumains et dégradants dans les pays de transit, trafics des passeurs, enfermements et mises en esclavage, viols et prostitution, ineffectivité des politiques de dissuasion et répression, négociations souvent bilatérales avec un pays du sud pour chaque pays du nord, médiatisation des situations extrêmes donnant à la voir les migrants comme indésirables, violation des règles minimales de l’hospitalité), il est apparu que les gouvernances régionales antérieures n’ont pas réussi à gérer les processus migratoires, dans leur diversité, et que la gouvernance globale des migrations et des réfugiés est une nécessité, du fait des effets déstabilisants de la mondialisation sur les territoires étatiques et infra-étatiques, ainsi que des crises et des conflits. Cette gouvernance mondiale est un exercice difficile, du fait de la souveraineté des Etats et de la diversité des situations. Le Pacte Mondial a pour objet de définir de bonnes pratiques, et un socle commun de principes, bien qu’il soit non contraignant car c’est un pacte et non un traité. Quatre thèmes ont été définis : le traitement des causes profondes de la migration, la croissance démographique (mais le Pacte Mondial n’en parle pas), la distinction entre migrants et réfugiés (d’où les deux Pactes), les bonnes pratiques et la lutte contre l’immigration irrégulière.
Le Forum Mondial Migration et Développement, qui a précédé le Pacte a longtemps été considéré comme traitant d’un sujet tabou à l’ONU, où l’on ne traitait des migrations ni au G8, ni dans les autres instances de l’ONU et où aucune conférence mondiale onusienne n’avait traité des migrations. C’est au FMMD d’Athènes en 2009, deux ans après le premier FMMD de Bruxelles de 2007, que les Etats ont peu se rapprocher de la société civile, auparavant laissée à distance des débats étatiques et c’est à Puerto Vallarta, au Mexique en 2010, que la question des déplacés environnementaux a été évoquée pour la première fois. En 2018, c’est le Mexique et la Suisse qui ont joué le rôle de facilitateurs pour faire progresser l’idée d’une meilleure gestion à travers une meilleure coopération internationale. Les deux Pactes ont été adoptés les 17 et le 19 décembre 2018. Il s’agit d’un engagement non contraignant respectant la souveraineté des Etats et les obligations de droit international, énonçant 23 objectifs dont des engagements et une liste d’actions de politiques publiques et de meilleures pratiques, dont la mise en œuvre ne pourra se faire que s’il y a un dialogue avec la société civile. Mais la plupart des Etats veulent-ils affronter la question ? Ils laissent poindre une certaine force d’inertie. Une feuille de route, avec évaluation tous les quatre ans des bonnes pratiques par l’Organisation Internationale pour les Migrations est prévue.
Le Pacte de Marrakech est composé de deux pactes : le Pacte mondial sur les migrations et le Pacte mondial sur les réfugiés. Le pacte Mondial cherche à harmoniser des droits fondamentaux issus d’un grand nombre de conventions internationales partiellement signées par les Etats (Convention de Genève, ratifiée par 146 Etats, Protocole de New York de 1967 sur l’élargissement du droit d’asile ratifié par 147 Etats, Convention de l’OIT de 1949 ratifiée par 49 Etats, Convention de l’OIT de 1965 ratifiée par 23 Etats, Convention de 1989 sur les droits de l’enfant, Convention de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, signée par 54 Etats) et une multiplication de régimes particuliers. Le pacte Mondial commence par une déclaration « Nous, chefs d’Etat et de gouvernement, réaffirmons… ». Son préambule est un cadre de référence, cherchant à protéger les droits fondamentaux, notamment ceux de tous les réfugiés et les droits de l’enfant tout en sauvegardant la souveraineté des Etats et les obligations du droit international. Trois phases de consultation ont eu lieu, et 6 séances de négociation pour obtenir le consentement des Etats, l’objectif étant l’effectivité et l’acceptabilité, sur le modèle délibératif. On ne peut que relever le caractère modéré de son contenu.
Le pacte sur les migrations vise à élaborer des normes en établissant un partenariat avec les parties prenantes. Ses 23 objectifs sont des engagements assortis d’une liste d’actions de politiques publiques et de meilleures pratiques, dont beaucoup sont laissées à la discrétion des Etats, mais avec une coordination entre les différents acteurs qui n’existait pas avec le FMMD. L’implication de l’Union européenne y est limitée car ce sont les Etats membres qui ont adopté les deux Pactes, mais une seule voix a été exprimée par l’Ambassadeur de l’Union européenne auprès de l’ONU. Parmi les objectifs, citons la lutte contre les causes profondes des migrations, la lutte contre le trafic du passage, la facilitation des migrations régulières et la lutte contre l’immigration irrégulière, le regroupement familial, mais limité, un engagement flou sur les migrations environnementales, une coopération avec les pays d’origine pour les procédures d’éloignement. La souveraineté de l’Etat y est préservée et le Pacte reste non contraignant. Il n’affirme pas de changement radical de politiques migratoires, pourtant à la source de beaucoup de dérives meurtrières. Son cadre normatif est moins développé que pour le pacte sur les réfugiés.
Le pacte sur les réfugiés entend fournir la base d’un partage prévisible et équitable de la charge et des responsabilités entre les Etats membres des Nations Unies et d’autres parties prenantes concernées, notamment les acteurs locaux, avec davantage de subsidiarité et de complémentarité. Il rappelle le principe de non refoulement, de protection des apatrides et énonce quatre objectifs : « alléger la pression sur les pays d’accueil, renforcer l’autonomie des réfugiés, élargir l’accès aux solutions dans les pays tiers, favoriser les conditions d’un retour dans les pays d’origine en sécurité et dans la dignité ». Un Forum mondial sur les réfugiés est prévu tous les quatre ans, avec des plate formes d’appui suscitant l’engagement des Etats et un partenariat multi-acteurs en vue du partage des responsabilités et de la satisfaction des besoins (éducation, enfants, femmes et filles, logement, sécurité alimentaire, état civil, apatridie).
II – Continuité et changement:
Le pacte Global comporte à la fois des éléments de continuité et de changement. Parmi les continuités, citons :
– le constat de la nécessité d’une gouvernance globale compte tenu des interdépendances du monde et du caractère structurel des migrations internationales, que les Etats à eux seuls, même regroupés en des systèmes régionaux de gestion des migrations (Union européenne, UNASUR, CEDEAO, SADC, ASEAN, TTTA) ne peuvent pas gérer car d’autres acteurs non étatiques doivent être pris en compte; la procédure adoptée a été délibérative, avec six séances de négociation de février à Juillet 2018, afin de recueillir le consentement des Etats ;
– la poursuite de la méthode de la gouvernance multilatérale, avec une association la plus large possible d’acteurs multiples et non exclusivement étatiques, dégageant de bonnes pratiques dans le respect de la souveraineté des Etats et mettant en avant les aspects positifs des migrations pour le développement humain. Un modèle de négociation à plusieurs niveaux, pour l’effectivité et l’acceptabilité de celui-ci a été mené de façon itérative, au risque de déboucher sur un texte n’engageant que faiblement les Etats ;
– le constat des contradictions : le développement génère des migrations et les migrations sont un facteur de développement humain, le libéralisme économique s’accompagne de la sécurisation accrue des frontières et d’Etats de plus en plus soucieux de montrer leur souveraineté, l’existence d’espaces de libre circulation et de libre échange dans une absence de remise en cause des politiques migratoires malgré la criminalisation de la condition des irréguliers, la proclamation d’un droit de sortie universel par la DUDH (article 13) et le respect de la souveraineté des Etats pour les politiques d’entrée ;
– une certaine inertie des Etats qui ne souhaitent pas mettre en œuvre le Pacte, comme par le passé depuis la création du FMMD. Après le retrait des Etats-Unis, Israël, l’Australie, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et l’Autriche se sont retirés du Pacte.
Les éléments de changement sont aussi notoires, et certains ont parlé d’une approche à 360 degrés :
- La volonté, après la crise de 2015, de sortir d’un dialogue de sourds en énonçant des priorités pour les différents objectifs et en cassant les processus de décision en silos des agences onusiennes, avec un comité exécutif ; le texte est une feuille de route, avec des rendez-vous pluriannuels (comme le Forum pour les réfugiés qui se réunit tous les quatre ans, chargé de mesurer les progrès accomplis et d’associer les acteurs du développement ;
- Le souci d’intégrer davantage le sud dans la définition de politiques migratoires, car beaucoup de ces pays sont devenus des pays d’immigration et d’accueil de réfugiés en ayant très peu de politiques de protection et de gestion des migrants et des réfugiés et très peu de politiques de régularisation et de regroupement familial ; le rôle qu’ont tenu le Mexique ou le Maroc dans le Pacte (avec l’annonce de la création d’un Observation national des Migrations au Maroc) est un indice de ce changement ; la convergence des législations nord/sud est appelée à devenir un objectif majeur, mais seules sont prises en compte les migrations dont les pays du nord ont besoin, hormis pour les réfugiés, sous la forme d’accords multi et bilatéraux de main d’œuvre ;
- La volonté de créer un dialogue effectif avec de nouveaux partenaires : acteurs privés de la société civile, « side events» pendant la conférence de Marrakech, alliance académique pour un « Bretton Woods » des migrations et des réfugiés. Certains ont même parlé d’une sorte de système solaire tant les acteurs tournent autour du Pacte.
A n’en pas douter, le Pacte suscite un grand espoir et en même temps un grand scepticisme, voire une fronde : 7 500 « fake news » ont été émises et l’extrême droite a fait croire que le Pacte allait créer, en contournant la volonté des « peuples » et dans son dos, un « droit de migrer », et notamment le droit pour les populations du sud de s’installer dans huit pays européens, agitant le syndrome de l’invasion, en allant remettre les clés des Etats d’accueil à l’ONU.
Un sujet longtemps considéré comme illégitime pour les relations internationales est placé d’un coup sur la table de l’ONU et traité en urgence, entre 2016 et 2018 face à des mentalités lentes à évoluer. Face à l’obsession des migrations irrégulières, la scène internationale propose d’adopter une vision globale Pour les pays du sud, la diplomatie des migrations devient un instrument de « soft diplomacy ». Ce processus avance lentement car les acteurs sont faiblement coordonnés et ont peu d’expérience de plaidoyers et de répertoires d’actions collectives en commun (d’un côté les entreprises, les Etats du sud, les défenseurs des droits des migrants et des réfugiés pour plus de droits et d’ouverture des frontières et, de l’autre, les nationalistes, les défenseurs de l’Etat providence, les Etats du nord craignant la montée des extrêmes droites pour des politiques de fermeture des frontières).
Conclusion
Parmi les avancées significatives, le droit à la mobilité comme droit de l’homme n’a pas progressé significativement avec le Pacte de Marrakech, mais il est à l’ordre du jour, pointant les inégalités du droit de migrer, de façon volontaire ou forcée, à l’échelle mondiale. Le constat qu’on n’arrêtera pas les migrations et qu’elles peuvent avoir un effet positif est un acquis, de même que la nécessité d’une convergence nord/sud des législations apparaît comme une évidence. La thématique des déplacés environnementaux est incluse parmi les thèmes à traiter car ils n’ont pour l’instant aucun statut et la nécessité d’un dialogue avec la société civile s’est imposée à travers les négociations. Il faudra encore beaucoup de courage à l’ONU pour imposer une approche non sécuritaire des migrations et changer de politique.