Bruxelles, Istanbul, Paris, Gao… La liste est longue de ces villes dont les aéroports ont été il y a peu la cible d’attaques terroristes. La question de la sureté des aéroports soulève nombre d’enjeux que cet article de la Revue de la Gendarmerie Nationale explore et éclaire.
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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont: Emmanuelle Sansot, « Les enjeux de la sûreté aéroportuaire », Revue de la gendarmerie nationale, mars 2017, N°267.
Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de du CREOGN.
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Les enjeux de la sûreté aéroportuaire
La sûreté aéroportuaire est le produit d’une combinaison de mesures ainsi que de moyens humains et matériels concourant à la protection de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite[1]. Ces actes recouvrent des scénarios multiples incluant non seulement l’aéronef et les passagers, mais également l’aéroport et les personnes au sol, ainsi que les installations aéronautiques. Face à une menace évolutive et polymorphe, il apparaît nécessaire d’adopter une démarche globale, tant sur le plan de l’analyse du risque que dans les réponses apportées par les autorités, afin de contrer un phénomène terroriste qui prend ses racines bien en amont de l’aéroport.
La distinction entre la sécurité et la sûreté aérienne
Symbole de liberté, vecteur du commerce international, le transport aérien a été rapidement marqué par des préoccupations sécuritaires afin de prévenir les accidents. Cela a entraîné la mise en place d’un ensemble de dispositions établies par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), institution spécialisée dépendant des Nations Unies, dans divers domaines (conception des aéronefs, infrastructures, contrôle aérien…). Au fur et à mesure, la sécurité s’est retrouvée concurrencée par des considérations liées à la sûreté aéroportuaire, marquant ainsi la nette distinction entre ces deux termes[2]. L’aviation civile internationale a toujours constitué une cible privilégiée pour les groupes terroristes et la criminalité organisée. en effet, le nombre conséquent de victimes potentielles, l’impact médiatique et économique, ainsi que l’atteinte au symbole étatique représentent un attrait indéniable pour toute action malveillante. L’OACI a alors adopté un ensemble de normes et de recommandations réunies au sein de l’annexe 17 à la Convention relative à l’aviation civile internationale.
L’évolution de la menace : de la piraterie aérienne au terrorisme international
Cette menace a évolué de façon incontestable au fil des décennies, modifiant profondément la notion d’acte d’intervention illicite[3]. Les actes de piraterie aérienne classique, avec des détournements d’aéronefs et des prises d’otages spectaculaires, parfois tragiques, ont atteint leur paroxysme dans les années 70 et apparaissent alors comme le reflet des relations internationales. Ainsi, en septembre 1970 (« skyjack sunday »), des terroristes du FPLP (Front populaire pour la Libération de la Palestine) détournent quatre avions de ligne de la BOAC, Swissair, TWA et de la Panam afin d’obtenir la libération de prisonniers palestiniens. Une tentative similaire sur un cinquième vol de la compagnie el Al sera déjouée. Après avoir évacué les otages, les pirates de l’air font exploser trois de ces aéronefs devant la presse internationale. en 1985, le détournement d’un avion de la TWA fut particulièrement marquant de par sa durée (17 jours, au cours desquels l’aéronef enchaîna des allers-retours entre Alger et Beyrouth). en parallèle, une nouvelle forme de menace apparaît dès les années 70. L’aéronef, pris pour cible, est détruit par des explosifs introduits à bord, occasionnant un nombre important de victimes. L’attentat du vol pan Am 103, survenu en décembre 1988 au cours d’une liaison Londres-New York, reste emblématique. L’aéronef explose au-dessus du village de Lockerbie (écosse), entraînant ainsi la mort de 270 personnes. L’apparition de kamikazes fait évoluer la menace de façon dramatique et la sûreté aérienne devient indissociable de la notion de terrorisme. Les attentats du 11 septembre 2001 ont ainsi marqué un profond tournant dans la conception de la protection de l’aviation civile, en choquant durablement les esprits. en effet, l’aéronef est devenu une arme susceptible de causer la mort de milliers de victimes, à travers un acte soigneusement planifié. Face à l’apparition de cette nouvelle menace, la communauté internationale a intensifié les moyens humains et techniques consacrés à la protection de l’aviation civile. Ainsi, les fondements de la sûreté aéroportuaire actuelle découlent des attentats du 11 septembre 2001, avec l’instauration de règles communautaires visant à protéger l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite. Ces mesures de sûreté, harmonisées au niveau européen, se rapportent en particulier aux passagers, aux personnels, aux bagages, au fret et au courrier, à l’aéronef et aux installations aéroportuaires[4]. Elles ont profondément modifié le transport aérien, le milieu aéroportuaire devenant progressivement un espace ultra contrôlé.
Le transport aérien face à des vulnérabilités multiples
Les attentats de septembre 2001 ont également révélé au grand jour la menace du djihadisme international, entraînant une lutte antiterroriste à grande échelle. Preuve de la capacité de ces réseaux à adapter leurs modes d’action, l’état de la menace évolue et impose de développer une forte capacité d’anticipation. Des dispositions spécifiques ont ainsi été instaurées suite aux tentatives d’attentats déjouées utilisant des explosifs liquides contre des vols assurant des liaisons transatlantiques en 2006. de même, après les tentatives d’octobre 2010, mettant en jeu des imprimantes piégées en provenance du Yémen et à destination des Etats-Unis, une législation spécifique au fret aérien provenant de pays tiers et à destination de l’Union européenne a été adoptée (législation ACC3 air cargo third country carrier)[5].
Au niveau international, des pays dits sensibles
Compte tenu de leur contexte géopolitique instable, certaines escales présentent un niveau de menace particulièrement élevé. Les pays engagés dans la lutte contre l’état islamique (el) constituent une cible privilégiée. Ainsi, le 31 octobre 2015, le crash dans le Sinaï de l’Airbus A321 reliant la station balnéaire de Charm el-Cheikh (égypte) à Saint-Pétersbourg (Russie), avec 224 personnes à bord, a immédiatement été revendiqué par Daech. L’hypothèse de l’attentat est reconnue officiellement par les autorités russes, qui évoquent le déclenchement d’une bombe artisanale pendant le vol[6]. Pour parer à la menace, la France s’est dotée en 2015 d’un arsenal juridique lui permettant de renforcer la sûreté des « vols entrants ». Ainsi, en cas de menace pour la sécurité nationale, elle peut imposer aux compagnies aériennes desservant le territoire national au départ d’aérodromes étrangers des mesures de sûreté supplémentaires concernant – entre autres – les passagers, les bagages, le fret, la fouille et la protection des aéronefs[7]. En cas de non-respect, des mesures restrictives d’exploitation peuvent notamment être imposées. Les systèmes portatifs de défense antiaérienne ou MANPADS (Manportable Air Defense Systems) représentent également une menace contre l’aviation civile. En particulier, sous Kadhafi, la Libye a acquis un stock de ces armes estimé à environ 20 000 unités. La chute du régime a engendré un risque majeur de prolifération non seulement pour la région mais également pour l’ensemble de la communauté internationale[8]. L’évaluation précise du volume d’armes ayant disparu reste indéterminée, un des principaux facteurs étant la difficulté à estimer ce stock au moment de l’effondrement du régime. Un rapport d’un groupe d’experts de l’ONU en date du 19 février 2014 confirme ce transfert de MANPADS vers des groupes terroristes[9].
La menace pesant sur le « côté ville » des aéroports, reflet des modes opératoires actuels de Daech
Le « côté ville » constitue une cible privilégiée pour des groupes terroristes : accessibilité, nombre important de victimes potentielles, alliés à une symbolique internationale. Ainsi, deux attentats récents particulièrement meurtriers ont visé des terminaux de passagers. Le 22 mars 2016, des kamikazes ont provoqué une double explosion dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, en Belgique. Une heure plus tard, cet attentat-suicide a été suivi d’une troisième explosion dans la station de métro Maelbeek. Une trentaine de personnes sont décédées, et plus de 300 blessés sont recensés. Le 28 juin 2016, un nouvel attentat-suicide a frappé l’aéroport international Atatürk d’Istanbul, tuant au moins une quarantaine de personnes et faisant plus de 200 blessés. Trois assaillants ont mitraillé des passagers et des policiers en faction, avant d’actionner leurs explosifs. Les déroulés de ces événements illustrent les modes opératoires actuellement développés par l’état islamique, avec une sélection prioritaire de cibles vulnérables susceptibles d’engendrer de nombreuses victimes. Les profils des terroristes sont
Caractérisés par une pleine acceptation de la mort et la volonté de mourir en héros. Si la stratégie générale reste définie au niveau central, les aspects tactiques semblent laissés à l’appréciation de leaders locaux afin d’adapter leur action, augmentant ainsi la difficulté à les détecter en amont. Pour autant, les scénarios d’actes d’individus isolés ne peuvent être écartés et constituent une réelle menace[10].
Le facteur humain … L’enjeu de la recherche du renseignement
Alors que les technologies se développent en permanence, l’humain se retrouve paradoxalement placé au cœur des dispositifs actuels de sûreté. « La complicité interne » constitue une vulnérabilité particulièrement difficile à maîtriser pour le transport aérien, que ce soit par le biais d’individus radicalisés voire d’agents qui seraient victimes de menaces pesant sur leurs proches. Il est donc nécessaire que les personnels chargés de certaines missions de sûreté et/ou ayant accès à des secteurs sensibles (aéronef, bagages, fret…) fassent l’objet de vérifications d’antécédents de façon régulière afin de s’assurer que leur comportement est effectivement compatible avec les fonctions exercées. Au niveau national, ces obligations sont notamment matérialisées par la nécessité de détenir une habilitation afin d’avoir accès, en particulier, aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes ainsi qu’au fret sécurisé. Délivrée pour une durée maximale de trois ans, cette habilitation requiert la réalisation préalable d’une enquête administrative[11]. Par ailleurs, les agents mettant en œuvre les opérations d’inspection filtrage des personnes, des objets qu’elles transportent, des bagages et des véhicules doivent avoir été préalablement agréés par le préfet et le procureur de la république, ce « double agrément » étant également précédé d’une enquête administrative[12]. Mais les modes d’action actuels des terroristes visent à déjouer les services de renseignement et les phénomènes de radicalisation sont susceptibles d’être très rapides. Le rapport réalisé au nom de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, en date du 2 juin 2015, montre bien toute la complexité de ce phénomène, rendant fondamental le travail coordonné des services de renseignements Il y est ainsi précisé que « plus de la moitié des personnes parties vers la zone irako-syrienne étaient inconnues des services »[13] et qu’« il est particulièrement difficile d’évaluer la dangerosité des djihadistes de retour sur notre territoire, notamment parce que certains peuvent avoir des stratégies de dissimulation[14]» . S’il apparaît complexe de déterminer un profil type de terroriste djihadiste, des indicateurs visibles de basculement sont généralement détectables avec « un certain nombre d’indices liés à l’apparence, au comportement ou encore au discours des intéressés[15] ». La détection de ces signaux atypiques et leur traitement constituent un réel enjeu en termes de prévention du terrorisme face à cette menace protéiforme.
References
Par : Emmanuelle SANSOT
Source : Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Mots-clefs : Aéroport, Daech, Piraterie, Renseignement, Sécurité, Sûreté, Terrorisme, Transports