A partir d’une mise en perspective historique et culturelle, l’auteur de cet article propose une analyse des défis et enjeux auxquels les Pachtouns sont confrontés. Ce peuple écartelé entre le Pakistan et l’Afghanistan est appelé à jouer un rôle majeur dans une région en tensions.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.
Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la revue Diplomatie.
Les références originales de ce texte sont : Alain Lamballe, « Les Pachtouns, un peuple divisé au nationalisme en berne», Diplomatie, n°94, Septembre-Octobre 2018.
Les Pachtouns retiennent peu l’attention des médias occidentaux. Ceux-ci mentionnent plutôt les talibans, ces terroristes qui agissent au Pakistan et en Afghanistan et contre lesquels des unités de l’armée française ont lutté pendant quelques années à l’est de Kaboul. S’il est vrai que les talibans recrutent essentiellement dans les milieux pachtouns, tous les Pachtouns ne sont pas des talibans. Il faut éviter la confusion.
Qui sont les Pachtouns ?
Les Pachtouns ne sont pas originaires des régions où ils habitent aujourd’hui. Ils s’y sont implantés il y a des milliers d’années, venant on ne sait d’où, peut-être d’Asie centrale. Ce sont des Indo-Européens ; leur langue, le pachto, appartient à la famille indo-iranienne. Ils ont été islamisés dès le Xe siècle par des guerriers de langue turque, eux-mêmes convertis par des Arabes. À la fin du XVIIIe siècle, ils ont connu leur période de gloire en créant un empire éphémère qui s’étendait de la mer d’Arabie au Cachemire. Les Sikhs s’emparèrent ensuite de la partie orientale de la sphère pachtoune. Et les Britanniques, venant du sud et de l’est, les en délogèrent. Leur gouvernance resta lâche car ils durent faire face à des rébellions quasi permanentes.
Les trois guerres anglo-afghanes (1838-1842, 1878-1880 et 1919) ont permis aux Britanniques de plus ou moins contrôler l’Afghanistan mais sans l’administrer. Maîtres de l’Inde, ils ont imposé en 1893 aux Afghans une frontière, appelée ligne Durand, du nom du négociateur colonial ; artificielle, elle coupait en deux des tribus et même des villages.
Les Pachtouns forment une communauté d’environ 55 millions de personnes. C’est au Pakistan qu’ils sont les plus nombreux, presque 35 millions, ainsi répartis : 28 millions dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa, au moins 3 millions dans le Nord du Baloutchistan et sans doute 3 millions à Karachi, la plus grande ville pachtoune du monde devant Kaboul et Peshawar. En Afghanistan, les Pachtouns, au nombre approximatif de 20 millions, occupent le Sud et l’Est avec quelques poches dans le Nord.
Le centre de gravité de la communauté pachtoune se trouve donc au Pakistan, mais les Pachtouns ne constituent que 17 % de la population du pays. En Afghanistan, ils représentent, selon des analystes fiables mais parfois contestés, plus de 60 % de la population [1]). Les Pachtouns se considèrent comme les véritables Afghans et méprisent quelque peu les autres communautés ethniques, turkmène, ouzbèke, tadjike et hazara (cette dernière étant chiite).
En dehors de ces deux pays, vivent aussi des Pachtouns, en faible nombre. Ils sont des descendants de migrants. On en trouve en Inde, notamment dans les milieux cinématographiques de Mumbai, dans certaines anciennes colonies de l’empire britannique et au Royaume-Uni, l’ex-puissance coloniale.
Une société patriarcale conservatrice mais en pleine mutation
La société pachtoune est régie par le code pachtounwali, antérieur à l’arrivée de l’islam mais influencé par lui. Transmis oralement, il met en exergue la vengeance, le comportement chevaleresque, l’hospitalité, la séparation des sexes, la défense de l’honneur et la recherche de consensus lors d’assemblées dénommées jirgas. Mais les combats qui ont opposé les Afghans aux Soviétiques de 1979 à 1989 et les troubles qui ont agité l’Afghanistan et le Pakistan depuis 1990 ont quelque peu modifié la pratique de ces coutumes ancestrales. Lorsque l’emprise gouvernementale faiblit ou a fortiori disparaît, les décisions des jirgas peuvent être influencées, au détriment des maliks (chefs de tribus), par les mollahs (cléricaux), voire les talibans.
Au Pakistan comme en Afghanistan, les forces de sécurité et les fractions de la communauté pachtoune ouvertes au monde extérieur apportent des bouleversements bénéfiques. Il en est ainsi par exemple pour l’éducation, dont étaient totalement privées les filles (la jeune Pachtoune pakistanaise Malala Yusufzai, prix Nobel de la Paix, est leur porte-parole) et la santé.
Le Tehreek-e-Taliban Pakistan – TTP, Mouvement des talibans pakistanais – est loin d’être éliminé. Ses dirigeants sont régulièrement tués mais aussitôt remplacés. Son chef actuel est un membre de la tribu Mahsoud, sans doute la plus belliqueuse des tribus pachtounes. Cela a presque toujours été le cas. Les talibans afghans restent également toujours aussi déterminés.
Les talibans aussi bien pakistanais qu’afghans sont sunnites, comme la plupart des Pachtouns, mais il existe, côté pakistanais surtout, quelques poches chiites, y compris parmi les tribus des régions montagneuses frontalières de l’Afghanistan et du Pakistan.
Au Pakistan, carte politique modifiée et temps de réformes
Peu avant la fin de son mandat, le gouvernement pakistanais, dirigé par la Pakistan Muslim League-Nawaz, a fait voter fi n mai 2018 une loi fusionnant les zones tribales fédérales avec la province du Khyber-Pakhtunkhwa, fusion devenue effective le 1er juin 2018. Contiguës à l’Afghanistan, les sept agences tribales (du nord au sud, Bajaur, Mohmand, Khyber, Orakzai, Kurram, Nord-Waziristan et Sud-Waziristan) étaient auparavant administrées par le pouvoir fédéral, par l’intermédiaire du gouverneur du Khyber-Pakhtunkhwa, depuis Peshawar, et d’agents politiques situés dans les chefs-lieux des agences, lesquels possédaient les pleins pouvoirs politiques et juridiques. Les six régions dites frontières sont également pleinement incorporées dans le Khyber-Pakhtunkhwa, formant une ceinture tribale discontinue, collée à celle, continue, des agences tribales fédérales.
Il se peut que la décision historique des autorités pakistanaises ait été précipitée par crainte du Pakhtun Tahaffuz Movement (PTM, Mouvement pour la protection des Pachtouns) qui avait organisé avec succès des manifestations dans les plus grandes villes du pays auxquelles participaient hommes mais aussi femmes, chose rare dans une société aussi conservatrice. Il dénonçait les arrestations arbitraires et exigeait la libération des détenus sans procès. Certes, il ne prônait aucun nationalisme pachtoun et n’avait pas l’intention de se transformer en parti politique, mais il présentait néanmoins des dangers car il critiquait implicitement, voire explicitement, les forces armées.
L’incorporation des zones tribales fédérales dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa désamorce quelque peu les revendications du PTM, mais celles-ci demeurent. Des troubles pourraient naître si le gouvernement issu des élections du 25 juillet tardait à améliorer le sort des anciennes zones tribales. Le problème pachtoun reprendra inévitablement de l’importance.
Deux formations politiques continuent de s’opposer à la disparition des zones tribales fédérales, le Jamiat Ulema-e-Islam (Fazl) (JUI-F, l’un des partis islamistes nationaux les plus importants) et le Pakhtunkhwa Milli Awami Party (Parti populaire national du Pakhtunkhwa, PkMAP). Mais le récent scrutin a montré leur faiblesse. Sur les douze sièges à la chambre basse fédérale attribués aux districts tribaux, six ont été remportés par le parti populiste Pakistan Tehrik-i-Insaf (PTI), le JUI-F en remportant trois, le Pakistan People’s Party de centre gauche, un, les deux autres sièges revenant à des indépendants. Dans l’assemblée provinciale de 99 membres, le PTI remporte 65 sièges, suivi par le Muttahida Majlis-e-Amal (une alliance de partis religieux qui inclut le JUI-F), 10 sièges, et le parti de la gauche laïque, l’Awami National Party (ANP), 7 sièges… Le PTI forme donc le gouvernement du Khyber-Pakhtunkhwa sans aucun apport extérieur.
Au niveau national, le PTI – sur lequel pèsent de très forts soupçons de fraude avec le soutien de l’armée – l’emporte également. Issu d’une famille mohajire (émigrée de l’Inde en 1947), son chef, Imran Khan, est le premier Pachtoun à devenir Premier ministre (avant lui, des Pachtouns avaient occupé la fonction présidentielle à des moments clés de l’histoire du pays, et des postes importants dans la sphère politique et les administrations civiles et militaires). Cependant, l’ANP ne remporte qu’un seul siège à la chambre basse fédérale. Ce parti, qui se veut depuis la naissance du Pakistan l’émanation des Pachtouns, subit donc une déroute dans les districts tribaux comme dans les autres districts du Khyber-Pakhtunkhwa, ce qui montre l’affaiblissement du sentiment national pachtoun.
La fusion posera des problèmes financiers pour améliorer le niveau de vie des anciennes zones tribales fédérales et l’amener au niveau du Khyber-Pakhtunkhwa. Des efforts considérables devront être poursuivis pour développer l’éducation, surtout celle des filles, pour promouvoir l’émancipation des femmes, pour améliorer les services de santé et pour développer l’infrastructure routière. Il n’est pas certain que l’économie pakistanaise, en proie à de sérieuses diffi cultés, puisse répondre aux aspirations des membres des tribus pachtounes.
Une réorganisation des forces paramilitaires opérant dans les zones tribales s’avèrera nécessaire ; certaines, dont la police tribale, les khassadars, pourraient disparaître, de même que les milices officielles appelées levies. La Frontier Constabulary pourrait être intégrée dans les forces de police provinciales. Les khassadars ont fait savoir qu’ils n’accepteraient pas de disparaître, ni même que leur appellation soit modifiée. Des difficultés sont donc à prévoir.
La fusion des zones tribales avec le Khyber-Pakhtunkhwa est logique. Elle contribue à l’unifi cation de la communauté pachtoune pakistanaise. Le Khyber-Pakhtunkhwa couvre désormais une superficie de 101 741 km2. Mais le Nord du Baloutchistan, peuplé de Pachtouns et que le PTM désigne par l’appellation de « Sud Khyber-Pakhtunkhwa », ne rejoint pas le Khyber-Pakhtunkhwa. L’unification des Pachtouns pakistanais reste donc incomplète. Si le Nord du Baloutchistan rejoignait le Khyber-Pakhtunkhwa, les deux provinces occidentales auraient des superfi cies à peu près voisines (le Baloutchistan représente actuellement 44 % du territoire pakistanais, mais sa population dépasse à peine 12 millions d’habitants) et gagneraient en homogénéité ethnique. Mais le pouvoir régional baloutche à Quetta s’oppose à un tel remodelage.
Quant au pouvoir central, il craint peut-être qu’un grand Khyber-Pakhtunkhwa donne trop de poids aux Pachtouns. Les Pendjabis, qui représentent plus de la moitié de la population pakistanaise et jouent un rôle majeur dans la définition de la politique nationale, conserveraient néanmoins leur prédominance.
Une frontière avec l’Afghanistan contestée
Au moment de sa naissance en 1947, le Pakistan héritait de la frontière coloniale évoquée plus haut, la ligne Durand. Depuis l’indépendance du Pakistan, aucun régime afghan ne l’a reconnue. Kaboul continue de considérer que cette ligne ne constitue pas une frontière. La fusion des zones tribales pakistanaises avec le Khyber-Pakhtunkhwa a provoqué une réaction du gouvernement afghan, qui a regretté que les populations concernées n’aient pas été consultées. Il rejoint ainsi les deux formations politiques pakistanaises, le JUI-F et le PkMAP, qui avaient exprimé un tel souhait. Les zones tribales s’insèrent de fait encore davantage au sein du Pakistan. De plus, l’édification en cours depuis le début 2017 d’une clôture le long de la ligne
Durand, officiellement destinée à empêcher les mouvements de terroristes talibans ou autres, contribue à faire de celle-ci une véritable frontière. Longue de plus de 2600 kilomètres, séparant de l’Afghanistan les deux provinces occidentales pakistanaises Khyber-Pakhtunkhwa et Baloutchistan, la ligne
Durand se durcit alors qu’elle était poreuse. Les contacts entre tribus de part et d’autre, jusqu’alors étroits, seront beaucoup plus difficiles lorsque la clôture sera achevée fin 2019.
La récupération des terres perdues par l’Afghanistan en 1893 paraît très compromise. Un grand Afghanistan n’est guère envisageable. Les revendications afghanes ne font d’ailleurs plus l’objet de déclarations ostentatoires. Elles ne s’expriment la plupart du temps qu’en sourdine, mais restent néanmoins plus ou moins sous-jacentes. La situation fragile du pays ne lui permet pas de s’affirmer sur le plan international. Il ne peut pas affronter le Pakistan, beaucoup plus puissant malgré tous les problèmes qu’il connaît lui aussi. Dans ce pays, le niveau de vie est supérieur et la stabilité plus grande, bien qu’imparfaite.
Les Pachtouns pakistanais sont, dans l’ensemble, satisfaits de leur sort et n’envisagent nullement de rejoindre l’Afghanistan.
Ils occupent des postes importants dans les administrations civiles et dans les forces armées. Certes, les Pachtouns déplacés du fait des combats entre forces de l’ordre et militants islamistes qui se sont installés dans les autres provinces pakistanaises, notamment au Pendjab et au Sind, n’ont pas toujours été bien accueillis. À Lahore comme à Karachi, on craignait la présence parmi eux de terroristes. Et à Quetta, on fait preuve de réticence pour accueillir de nouveaux réfugiés pachtouns, aussi bien pakistanais qu’afghans qui réduiraient la proportion de Baloutches au sein du Baloutchistan. Cette mésentente entre Pachtouns d’un côté et Pendjabis, Sindis et Baloutches de l’autre ne remet cependant pas en cause l’unité nationale pakistanaise.
Un scénario sombre pour l’Afghanistan pourrait advenir, bien que peu probable à court terme : l’unification au profit du Pakistan des régions afghanes contiguës majoritairement peuplées de Pachtouns. D’éventuelles revendications des ethnies du Nord de l’Afghanistan, turkmène, ouzbèke et tadjike qui pourraient être tentées de rejoindre respectivement le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan faciliteraient le rapprochement des Pachtouns afghans et des Pachtouns pakistanais.
Une intégration pourrait se faire avec l’assentiment des talibans afghans, qui recevraient des autorités pakistanaises l’assurance de pouvoir instaurer la charia dans les régions pachtounes et même, éventuellement, une proposition de diriger à Islamabad des ministères fédéraux clés comme ceux de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères.
L’armée pakistanaise apporterait naturellement son soutien à un tel agrandissement du territoire national, qui garantirait une frontière occidentale calme. Assurée de ne rien craindre à l’ouest, elle pourrait consacrer l’essentiel de ses forces face à l’Inde qu’elle considère comme menaçante.
L’idée d’un Pachtounistan indépendant, autre scénario possible, n’est pas nouvelle. Elle a été formulée de part et d’autre de la ligne Durand à diverses reprises. Mais aujourd’hui, le nationalisme pachtoun est en berne. Les talibans ne le soutiennent pas. Ce qu’ils veulent, c’est un changement de régime aussi bien en Afghanistan qu’au Pakistan et une imposition de la charia. Chez eux, l’idéologie islamique prime. Lors de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, de 1979 à 1989, Moscou soutenait les revendications indépendantistes des Pachtouns, à vrai dire peu perceptibles, et celles des Baloutches, beaucoup plus affirmées. Les Soviétiques espéraient ainsi avoir un accès aux mers chaudes. Ayant perdu l’Asie centrale, la Russie d’aujourd’hui n’apporte aucun soutien aux mouvements autonomistes, voire indépendantistes, des Baloutches. L’Inde le fait sans doute, à partir de ses consulats à Jalalabad et Kandahar; c’est du moins ce qu’assure le Pakistan qui l’accuse d’être de connivence avec le PTM, lequel pourrait remettre en cause la ligne Durand à la grande satisfaction de l’Afghanistan, ami de l’Inde. Dans l’ensemble, la communauté internationale, en tout premier lieu les États-Unis et les pays européens, ne souhaite aucune modification des frontières.
L’Iran suit avec attention l’évolution de la situation interne en Afghanistan. Certes, une dislocation de l’Afghanistan ne paraît pas devoir se produire à court terme. Mais si c’était le cas, l’Iran pourrait en profiter pour annexer la partie centrale de l’Afghanistan, le Hazarajat peuplé de Hazaras chiites, créant ainsi un grand Khorasan qui lui donnerait accès au Tadjikistan persanophone et donc à l’Asie centrale. Celle-ci aurait un débouché sur l’océan Indien par un grand Iran interposé. Dans l’immédiat, Téhéran renforce sa présence au Pakistan en finançant la construction et l’entretien de madrasas dans les communautés chiites qui existent, bien qu’en faible nombre, chez les Pachtouns des zones tribales et des plaines.
La Chine est pleinement satisfaite des frontières actuelles. Elle n’envisage nullement une quelconque modifi cation de la carte politique. Les relations étroites que Pékin entretient avec Islamabad lui permettent d’espérer de mener à bien son projet de corridor économique devant relier le Xinjiang à la mer d’Arabie, plus précisément Kashgar à Gwadar. Le Khyber-Pakhtunkhwa pourrait en tirer profit. C’est ce que laissent entendre les Chinois qui pourraient établir un consulat à Peshawar, la capitale provinciale pachtoune pakistanaise. La Chine manifeste aussi un intérêt accru à l’égard de l’Afghanistan. Les provinces pachtounes afghanes l’intéressent dans la mesure où elles sont contiguës au Pakistan et pourraient être incluses dans le corridor économique Chine-Pakistan.
Le problème des réfugiés
Le chaos qui s’est installé en Afghanistan en l979, date d’arrivée des troupes soviétiques, s’est prolongé bien après leur départ en 1989. Il se poursuit de nos jours dans l’ensemble du pays mais surtout dans les régions pachtounes, avec les exactions des talibans et aussi des autres mouvements extrémistes, notamment l’État islamique. Ainsi, le flot des réfugiés n’a jamais cessé.
Bien évidemment, la Chine n’accepte aucun réfugié sur son territoire. Elle veut avant tout que les combattants des mouvements sécessionnistes ouïghours ne puissent s’entraîner en Afghanistan et au Pakistan. La plupart des réfugiés afghans sont des Pachtouns. Ils fuient de préférence vers le Pakistan et dans une moindre mesure vers l’Iran. Le premier pays est privilégié car les régions frontalières pakistanaises sont peuplées de Pachtouns sunnites. L’Iran, chiite, préfère accueillir des réfugiés hazaras, chiites également. La Turquie a accueilli presque 160 000 réfugiés afghans mais cherche maintenant à les rapatrier. Des Afghans ont également tenté leur chance en Europe et aux États-Unis.
Le nombre de réfugiés afghans, majoritairement pachtouns, au Pakistan ne varie guère, les arrivées compensant les retours. Ils seraient environ 3 millions dont un million de non enregistrés.
L’attitude des autorités pakistanaises à leur égard dépend de l’état des relations entre Islamabad et Kaboul. Si elles sont mauvaises, Islamabad durcit sa position en accordant, au tout dernier moment, une autorisation de prolongation de séjour, pour une durée très limitée. Ainsi, le 30 juin 2018, une prolongation de séjour de seulement trois mois a été accordée aux Afghans enregistrés. Le sort des Afghans non enregistrés est encore plus précaire.
Les Pachtouns, à un carrefour stratégique
Les Pachtouns sont appelés à jouer un rôle majeur dans le développement de l’Afghanistan et du Pakistan. Le gazoduc envisagé Turkestan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI) passera par leur territoire. Et l’aménagement du bassin de la rivière Kaboul, le principal affluent de la rive droite de l’Indus concerne en tout premier lieu les régions pachtounes. Sollicités par le gouvernement de Kaboul, les Indiens pourraient apporter une aide financière et technique pour la réalisation des infrastructures hydrauliques en projet. Ce serait un autre sujet de discorde entre le Pakistan et l’Inde.
Le monde ne peut se désintéresser des Pachtouns, situés à la jonction de l’Asie du Sud, de l’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Ils sont écartelés entre deux pays, l’Afghanistan et le Pakistan. On peut les comparer aux Kurdes éparpillés, eux, sur quatre pays, Turquie, Syrie, Irak, Iran. Mais ils sont plus nombreux qu’eux : leur nombre pourrait dépasser 80 millions en 2050 (30 millions en Afghanistan, 50 millions au Pakistan). À défaut de se retrouver au sein d’un même pays, Afghanistan ou Pakistan – la solution d’un Pachtounistan indépendant paraissant peu probable –, resteront-ils séparés par une frontière qui se ferme ? Ou bien voudront-ils se réunir dans une sorte de fédération regroupant l’Afghanistan et le Pakistan ?
References