Cet article aborde les dĂ©fis externes et la problĂ©matique, liĂ©e, de la cohĂ©sion interne de lâOTAN. Cette approche procĂšde dâune interrogation initiale de lâauteur sur la rĂ©elle efficacitĂ© dâune alliance nâayant de facto jamais dĂ» affronter directement une menace dâampleur majeure depuis sa crĂ©ation.
Les opinions exprimĂ©es dans cet article nâengagent pas le CSFRS.
Les rĂ©fĂ©rences originales de ce texte sont : chef d’Escadron RaphaĂ«l Cottain, « OTAN – Il y a des sanctions qui se perdent … », Ecole de Guerre
Ce texte, ainsi que dâautres publications peuvent ĂȘtre visionnĂ©s sur le site de l’Ecole de Guerre.
En 1949, la signature du TraitĂ© de Washington a Ă©tabli la crĂ©ation de lâOrganisation du TraitĂ© de lâAtlantique Nord (OTAN). Le but de cette alliance, crĂ©Ă©e Ă lâissue dâune Guerre Mondiale ayant dĂ©vastĂ© la majeure partie de lâEurope, de lâAfrique du Nord et de lâAsie, Ă©tait d’allier une communautĂ© de nations face Ă la menace croissante reprĂ©sentĂ©e par la Russie et ses alliĂ©s. Lâinvocation de lâArticle 5 du TraitĂ© aurait dĂ©clenchĂ© la dĂ©fense collective des Etats-membres contre une agression menĂ©e contre lâun dâeux.
Les partisans inconditionnels de lâOTAN proclament une efficacitĂ© telle, que lâOrganisation nâa jamais Ă©tĂ© mise en pĂ©ril depuis prĂšs de 70 ans. Peut-ĂȘtre la question est-elle que lâOTAN nâa jamais dĂ» affronter une menace dâune ampleur suffisante pour menacer son Ă©quilibre, depuis sa crĂ©ation en 1949.
Câest pourquoi nous aborderons Ă la fois des adversaires potentiels de lâOTAN et des dissenssions internes de lâorganisation, qui constituent des menaces tangibles pour son futur. Pour y faire face, il apparaĂźt que les objectifs de dĂ©penses de dĂ©fense, dĂ©cidĂ©s en 2014, ne sont pas les critĂšres les plus pertinents pour juger a priori de lâefficacitĂ© de lâOTAN. Il est donc nĂ©cessaire de les rĂ©Ă©valuer. Ceci passera par une refonte du fonctionnement de lâOrganisation et nĂ©cessiterait notamment la mise en place dâun dispositif de sanctions progressives et rĂ©elles, pouvant aller jusquâĂ lâexpulsion dâun Etat de lâAlliance.
LâOTAN face aux menaces extĂ©rieures et aux dissensions internes
La Russie constitue, peut-ĂȘtre mĂȘme surtout aujourdâhui, un rival sans Ă©quivalent pour lâOTAN. Au plus fort de la Guerre Froide, l’URSS Ă©tait essentiellement un adversaire pour les Etats-Unis, davantage que pour lâOrganisation. La crise de Cuba en 1962 est Ă ce titre un exemple criant : lâHistoire retient essentiellement les discussions entre les dirigeants amĂ©ricains et soviĂ©tiques de lâĂ©poque, John Fitzgerald Kennedy et Khroutchev, et beaucoup moins le rĂŽle de lâOTAN dans cette confrontation bipolaire.
Pourtant, prĂšs de 29 ans aprĂšs la chute du mur de Berlin et la dissolution de lâUnion SoviĂ©tique, il paraĂźt dĂ©licat de nier la menace que la Russie pourrait faire peser sur lâEurope et le reste de lâOTAN. Les tentatives rĂ©pĂ©tĂ©es dâincursions dâaĂ©ronefs russes dans les espaces aĂ©riens europĂ©ens [1], le conflit avec la GĂ©orgie en 2008, lâannexion de la CrimĂ©e en 2014 [2], les troubles en Ukraine orientale, mais aussi lâappui de Moscou au rĂ©gime de Bachar Al-Assad en Syrie Ă partir de 2015 [3] sont autant de gestes mettant Ă mal la crĂ©dibilitĂ© de lâOTAN comme rempart contre les vellĂ©itĂ©s russes Ă lâinternational. LâUkraine fait en effet partie du programme Partnership for Peace â PfP â qui certes ne vise pas Ă Ă©tendre la dĂ©fense collective, mais indique malgrĂ© tout des intĂ©rĂȘts communs avec lâOTAN et le pays bĂ©nĂ©ficiant du PfP. A ce titre, lâUkraine aurait pu espĂ©rer davantage de soutien de lâOTAN lors des crises majeures quâelle a connues ces derniĂšres annĂ©es. Le terme de « guerre hybride » [4]â malgrĂ© ses dĂ©tracteurs â reprĂ©sente Ă ce titre une rĂ©alitĂ© incontestable : la Russie nâhĂ©site pas Ă mettre en Ćuvre des moyens, cyber, clandestins, informationnels, dont lâorigine reste peu ou pas attribuable, pour tenter dâimposer sa volontĂ© Ă des nations souveraines, et tester, par la mĂȘme occasion, la cohĂ©sion et la crĂ©dibilitĂ© de lâOTAN.
Mais la Russie nâest pas le seul acteur Ă©tatique qui pose une menace pour lâOTAN. En effet, la CorĂ©e du Nord, par exemple, constitue une autre source de tensions au niveau international. Les prĂ©tentions nuclĂ©aires de la RĂ©publique DĂ©mocratique Populaire de CorĂ©e du Nord [5], lâirrationalitĂ© des acteurs et le jeu des alliances â notamment avec la Chine â pourraient bien faire basculer lâOrganisation dans une guerre aux consĂ©quences difficilement prĂ©visibles Ă ce jour. Les provocations successives de Kim Jung-Un, notamment les essais de missiles de plus en plus sophistiquĂ©s, dĂ©montrent lâinflexibilitĂ© du dirigeant nord-corĂ©en, qui ne recule devant aucune sanction ou menace, quâil sâagisse des Etats-Unis ou de la communautĂ© internationale.
En complĂ©ment des adversaires Ă©tatiques, lâOrganisation doit Ă©galement faire face Ă la menace terroriste islamiste polymorphe et changeante, sur laquelle il est peu utile que nous nous Ă©tendions. Les attaques contre le World Trade Center en 2001 ont dâailleurs Ă©tĂ© la seule et unique invocation de lâarticle 5 depuis la crĂ©ation de lâAlliance en 1949 : les nations ont offert un soutien total aux Etats-Unis meurtris, et se sont rangĂ©s Ă leurs cĂŽtĂ©s dans la guerre contre le rĂ©gime taliban en Afghanistan. La Global War On Terrorism a ainsi donnĂ© Ă lâAlliance un adversaire sur lequel sâabattre, en lâabsence dâune menace claire comme avait pu lâĂȘtre lâUnion SoviĂ©tique. MalgrĂ© les succĂšs tactiques engrangĂ©s en Afghanistan et le prix du sang payĂ© par les Etats-membres, on peut nĂ©anmoins mettre en doute la rĂ©elle efficacitĂ© de lâOTAN face Ă la menace terroriste. Plus de 16 ans aprĂšs les premiers raids sur Bagram, lâOTAN est toujours prĂ©sente en Afghanistan sans solution Ă court terme pour le pays, et ses membres restent la cible dâorganisations terroristes ayant Ă©mergĂ© depuis. Les attentats des derniĂšres annĂ©es ayant frappĂ© Londres, Madrid, Paris, sont autant de preuves de lâincapacitĂ© de lâOTAN Ă empĂȘcher totalement les actions terroristes.
Enfin, dâautres menaces, notamment dans le domaine du cyber, quâelles soient Ă©tatiques ou non, ou qu’elles se parent des atours de lâhacktivisme, de la dĂ©sinformation ou de la propagande, sont autant de nouveaux dĂ©fis auxquels devra faire face lâOrganisation. Si lâEstonie accueille depuis le 14 mai 2008 le centre dâexcellence de cyberdĂ©fense de lâOTAN [6], de nombreux progrĂšs restent Ă accomplir dans le domaine. Il nâen reste pas moins que la menace cyber est une prĂ©occupation Ă garder en tĂȘte pour lâAlliance. Comme lâa dit un jour Jean-Paul Delevoye, homme politique français, quand il Ă©tait prĂ©sident du Conseil Ă©conomique, social et environnemental : « Nous sommes dans une guerre numĂ©rique qui rend la paix impossible ».
Outre ces menaces extĂ©rieures, il serait naĂŻf de croire quâil sâagit des seuls dĂ©fis auxquels lâOTAN doit faire face. La rĂ©alitĂ© dâune organisation composĂ©e de vingt-neuf Etats, aux logiques et intĂ©rĂȘts variĂ©s et dĂ©cidant par consensus, crĂ©e un certain nombre de dissenssions internes qui menacent Ă©galement la cohĂ©sion et la crĂ©dibilitĂ© de lâAlliance.
La question des dĂ©penses de dĂ©fense, Ă©tudiĂ©es plus loin, constitue Ă©videmment une premiĂšre source de tensions entre les Etats-membres et mine la cohĂ©sion interne de lâOTAN. Si lâon considĂšre lâobjectif fixĂ© de 2% du PIB, sur lequel nous reviendrons, seuls six pays sur vingtneuf devraient atteindre ce seuil en 2016 [7].
Figure 1 (cliquer sur l’image pour une meilleure qualitĂ©)- DĂ©penses de dĂ©fense en pourcentage du PIB, par pays
De ces disparitĂ©s budgĂ©taires, nonobstant des conjonctures nationales souvent trĂšs diffĂ©rentes, naissent des frictions importantes. Certains pays ont en effet le sentiment de porter Ă bout de bras le reste de lâAlliance, au bĂ©nĂ©fice des Etats les moins « volontaristes ». Le Portugal, par exemple, est souvent la cible de critiques pour son budget de dĂ©fense : 1,28% du PIB en 2016, dont moins de 10% en investissements majeurs, mais avec le record de lâAlliance pour les dĂ©penses en personnel, Ă plus de 80% du budget. MalgrĂ© ces faibles chiffres, le Portugal a rĂ©ussi Ă obtenir la construction dâinstallations importantes pour lâOTAN, notamment le centre du Retour dâExpĂ©rience, et vient en complĂ©ment de se voir attribuer, en 2017, la construction dâune Ă©cole des technologies de lâinformation de lâOrganisation [8], au dĂ©triment de lâĂ©cole existante de Latina en Italie.
Outre ces diffĂ©rends budgĂ©taires, les Etats se divisent selon deux orientations stratĂ©giques diffĂ©rentes, les membres de lâEst Ă©tant davantage focalisĂ©s sur la menace russe, tandis que les Etats du Sud craignent plutĂŽt la menace terroriste islamiste radicale. Le gĂ©nĂ©ral Pierre de Villiers rĂ©sume ainsi ces divergences : « les tensions [âŠ] entre les pays du Sud et ceux de lâEst Ă©taient tangibles sur ce sujet lors de chaque rĂ©union Ă Bruxelles ces trois derniĂšres annĂ©es » [9].
Finalement, ces menaces externes combinĂ©es aux dĂ©sĂ©quilibres internes constituent des enjeux majeurs auxquels lâOTAN doit continuer Ă se prĂ©parer. Si lâOrganisation veut rĂ©ussir cette adaptation Ă son environnement actuel et futur, ses membres devront augmenter leur budget de dĂ©fense.
Le guide des 2% du PIB et leur inadaptation Ă la rĂ©alitĂ© de lâOTAN
Pourtant, depuis la fin de lâURSS, les nations occidentales avaient cherchĂ© Ă rĂ©colter les fameux « dividendes de la paix » â rĂ©duire les dĂ©penses de DĂ©fense, au profit dâautres secteurs de leur Ă©conomie. Le graphique ci-dessous, tirĂ© dâun communiquĂ© de presse de lâOTAN de 2017 [10], illustre cette baisse gĂ©nĂ©rale Ă compter de 1989. Le cas des Etats-Unis restant Ă part [11]), on ne constate une lĂ©gĂšre inflexion de la baisse quâĂ partir de 2015, annĂ©e lors de laquelle les dĂ©penses des nations avaient atteint un gouffre historique dâ1,40% du PIB en moyenne. Câest-Ă -dire quâon constate une lĂ©gĂšre hausse depuis 2016, avec une estimation de 1,46% du PIB dĂ©pensĂ©s pour la fin de lâannĂ©e 2017.
Figure 2 (cliquer sur l’image pour une meilleure qualitĂ©) – DĂ©penses de dĂ©fense en pourcentage du PIB (1989 â 2017)
Lors du Sommet du Pays de Galles en septembre 2014, les Etats-membres ont reconnu Ă nouveau [12] que le niveau des dĂ©penses de dĂ©fense Ă©tait insuffisant pour assurer la sĂ©curitĂ© de lâEurope. Ils ont alors rĂ©ussi Ă se mettre dâaccord sur un tauxde 2% du PIB comme Ă©tant lâobjectif Ă atteindre pour 2024, soit en 10 ans. Car une meilleure dĂ©fense individuelle, et donc une meilleure dĂ©fense collective, passent en grande partie par une augmentation des budgets de dĂ©fense, qui permettent de financer masse salariale, investissements, Ă©quipements, et exercices de prĂ©paration opĂ©rationnelle. Il est intĂ©ressant de noter que dâun point de vue historique, la derniĂšre fois que les pays (hors-USA) Ă©taient Ă plus de 2% du PIB Ă©tait en 1998, soit 16 ans plus tĂŽt que le Sommet du Pays de Galles, et surtout avant la crise financiĂšre de 2008-2009, dont lâEurope ne sâest toujours pas remise. Le lieutenant-gĂ©nĂ©ral amĂ©ricain Shepro, vice-prĂ©sident du Conseil Militaire de lâOTAN, a dâailleurs dĂ©clarĂ© devant les stagiaires de lâEcole de Guerre, en novembre 2017, quâil Ă©tait « peu probable que certaines nations, qui font face Ă dâautres dĂ©fis Ă©conomiques, atteignent lâobjectif des 2% en 2024 ».
Sâil paraĂźt donc peu probable que les Etats-membres atteignent cet objectif, on peut donc se poser la question de la pertinence mĂȘme de ces 2%.
Comment sont-ils calculĂ©s ? Tout dâabord, il ne faut pas oublier que la dĂ©finition de ce qui rentre dans les 2% reste assez floue et, en tous cas, ouverte Ă interprĂ©tation. En 2017, le Royaume-Uni, lâun des plus ardents dĂ©fenseurs de ce seuil, a dâailleurs Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre dâun feuilleton mĂ©diatique inattendu [13]), alors que les premiĂšres estimations plaçaient le pays juste en deçà de lâobjectif, et que les experts de la Couronne ont dĂ» prendre en compte des dĂ©penses « annexes » pour atteindre pĂ©niblement le graal des 2%.
Ensuite, dâaucuns argumentent â probablement Ă raison â quâil ne sâagit pas que dâune question de masse monĂ©taire, mais quâil faut Ă©galement considĂ©rer comment ces budgets sont dĂ©pensĂ©s, et en quoi cela contribue Ă renforcer les capacitĂ©s de lâAlliance. Si le sommet de 2014 inclut une clause visant Ă au moins 20% de dĂ©penses dâinvestissement dans les Ă©quipements majeurs et la recherche & dĂ©veloppement, ce nâest pas suffisant pour en garantir lâefficacitĂ©. Les inquiĂ©tudes rĂ©centes portent Ă©galement, entre autres, sur les stocks de munitions [14], mais aussi sur les infrastructures lourdes permettant de transporter les unitĂ©s de lâOTAN Ă travers lâEurope [15]). La question du financement dâexercices nationaux ou interalliĂ©s, la prĂ©paration opĂ©rationnelle des forces de combat et de soutien, a dĂ©jĂ Ă©tĂ© rapidement brossĂ©e et devrait Ă©galement participer Ă lâĂ©valuation de la capacitĂ© dâun Etat Ă se dĂ©fendre individuellement et Ă contribuer Ă la dĂ©fense collective. Enfin, il ne faut pas non plus Ă©clipser la valeur non-monĂ©taire quâun pays peut apporter Ă lâAlliance. LâIslande, par exemple, a fait le choix de ne disposer dâaucune force armĂ©e, mais fait pourtant partie des membres fondateurs de lâOrganisation. Quel est lâintĂ©rĂȘt pour lâOTAN de conserver dans ses rangs un pays comme lâIslande ? Sa situation gĂ©ographique, tout dâabord. SituĂ©e au Nord de lâAtlantique, elle est un territoire important pour les marines de lâAlliance, et sa situation pourrait devenir encore plus critique dans les dĂ©cennies Ă venir avec la fonte dâune partie de lâArctique et lâouverture de nouvelles voies maritimes. Mais lâIslande est Ă©galement importante car elle accueille des radars de lâOTAN constituant lâIADS (Iceland Air Defence System), qui contribuent au systĂšme de surveillance aĂ©rienne et anti-missile de lâAlliance [16].
Par ailleurs, il faut Ă©galement prendre en compte la dissuasion nuclĂ©aire. Si la France se distingue Ă plus dâun titre [17] au sein de lâorganisation, elle est surtout une des puissances nuclĂ©aires de lâOrganisation. Comme le dĂ©clarait le gĂ©nĂ©ral Darricot, reprĂ©sentant militaire adjoint de la France Ă lâOTAN, en novembre 2017, « notre contribution Ă lâOTAN, câest dâabord notre dissuasion nuclĂ©aire â certes autonome â qui complique les risques pour un potentiel adversaire ». De lâautre cĂŽtĂ© du spectre, la Turquie est Ă©galement importante pour lâOrganisation, non seulement pour sa situation gĂ©ographique, beaucoup plus proche du Moyen-Orient, mais Ă©galement parce quâen tant que nation majoritairement composĂ©e de musulmans, elle constitue une « caution religieuse » pour lâOrganisation [18]. Dâautres nations, enfin, offrent par leur localisation des ports sur des mers autrement difficiles dâaccĂšs pour les marines des Etats-membres.
Si les dĂ©penses de dĂ©fense participent des capacitĂ©s militaires dâun Etat, on doit donc rechercher une augmentation des budgets de dĂ©fense mais elles ne reprĂ©sentent pas lâunique apport dâun Ă©tat Ă lâOrganisation. Cet apport peut Ă©galement ĂȘtre gĂ©ographique ou immatĂ©riel, et devrait ĂȘtre Ă©valuĂ© pour ce quâil est.
Premier impératif : définir de nouveaux critÚres
On lâa vu, lâobjectif actuel des 2% nâapparaĂźt ni pertinent pour Ă©valuer les capacitĂ©s militaires dâun Ă©tat-membre, ni efficace pour garantir que les signataires sâengageront rĂ©ellement Ă lâatteindre rĂ©ellement. Il faut donc dĂ©finir une nouvelle direction pour lâOTAN, notamment en Ă©tablissant de nouveaux critĂšres permettant dâĂ©valuer la contribution dâun membre, et en crĂ©ant la possibilitĂ© de sanctions pour les Etats qui ne respecteraient pas les engagements pris en termes de dĂ©penses de dĂ©fense.
LâĂ©tablissement de ces nouveaux critĂšres serait sans doute un projet long et fastidieux, compte tenu du processus dĂ©cisionnel de lâOTAN par consensus. Mais comme les partisans de lâOrganisation aiment Ă le rappeler, câest une alliance efficace, qui a su sâadapter [19] et qui nâa jamais connu lâĂ©chec au cours de ses soixante-dix annĂ©es dâexistence. On peut donc imaginer que cette rĂ©forme aboutirait. Le flou qui entoure actuellement la dĂ©finition des dĂ©penses de dĂ©fense, ainsi que les dĂ©bats sur ce qui contribue Ă la dĂ©fense de lâAlliance, devront ĂȘtre rĂ©solus si lâOTAN souhaite pouvoir continuer Ă progresser. En lâĂ©tat actuel des choses, il paraĂźt incohĂ©rent de dire Ă lâAllemagne que lâargent investi dans lâaide au dĂ©veloppement Ă lâĂ©tranger, principalement en Afrique [20], ne participe pas aux missions de lâOTAN, quand lâAlliance a adoptĂ© comme lâun de ses principaux mots dâordre « projecting stability ». Car que fait lâaide au dĂ©veloppement, si ce nâest participer Ă la stabilitĂ© dâun pays ou dâune rĂ©gion ?
Il faut donc que les Etats-membres mĂšnent une rĂ©flexion approfondie sur la contribution de chacun, en prenant en compte les Ă©lĂ©ments citĂ©s prĂ©cĂ©demment : dĂ©penses de dĂ©fense (selon des critĂšres plus prĂ©cis quâaujourdâhui), capacitĂ©s critiques quâelles sâengagent Ă conserver et Ă mettre Ă disposition de lâAlliance (radars islandais, dissuasion nuclĂ©aire), apports immatĂ©riels, situation gĂ©ographique avec mise Ă disposition dâinfrastructures portuaires, aĂ©roportuaires ou militaires. Une fois ces contributions Ă©valuĂ©es, il faut ensuite donner une ambition et, donc, un objectif qui vise Ă les augmenter ou les amĂ©liorer, avec un calendrier associĂ©. Ainsi, en conservant le principe du consensus, chaque Ă©tat-membre serait reconnu pour sa contribution et pour les efforts quâil aura Ă accomplir, lâensemble permettant de prouver son engagement au sein de lâOTAN et ainsi de renforcer la crĂ©dibilitĂ© globale de lâAlliance.
Second impératif : instaurer la possibilité de sanctions
Pour ce qui est de lâĂ©tablissement de sanctions, elles permettraient de revenir Ă une rĂ©alitĂ© intangible de toute organisation : pour fonctionner correctement, elles ont besoin de sanctions pour sâassurer que les membres en respectent les rĂšgles. Il en va de mĂȘme au niveau de chaque Ă©tat oĂč les pouvoirs lĂ©gislatifs et exĂ©cutifs ne suffisent pas : il faut un pouvoir judiciaire pour sanctionner les citoyens ne respectant pas la loi. Au niveau international, l’absence de sanctions, engendre un risque de dĂ©tĂ©rioration des relations entre les Etats. Ainsi lâONU et lâUnion EuropĂ©enne se sont dotĂ©es dâun cadre permettant des sanctions contre les Etats. Car « ĂȘtre indulgent avec un Ătat refusant de tenir ses engagements Ă©tablirait en effet un dangereux prĂ©cĂ©dent » [21]). Dans lâUnion EuropĂ©enne, câest lâarticle 7 du TraitĂ© sur l’Union EuropĂ©enne (TUE) qui permet, entre autres, de suspendre certains des droits dâun de ses membres. Et dans les situations de tensions, lâhistoire rĂ©cente et lâactualitĂ© montrent quâil sâagit dâun dernier recours parfois indispensable pour faire revenir certains Etats rĂ©calcitrants dans le rang. En juillet 2015, en rĂ©action au rĂ©sultat du rĂ©fĂ©rendum dâAlexis Tsipras (le dirigeant grec nouvellement Ă©lu), « Mario Draghi, [âŠ] actuel prĂ©sident de la BCE, appuyĂ© par Jean-Claude Juncker, prĂ©sident de la Commission europĂ©enne, et 17 gouvernements coalisĂ©s, menace la GrĂšce, isolĂ©e, dâune expulsion manu militari de la zone euro » [22]. Le 11 juillet 2016, le Parisien dĂ©crivait la situation ainsi : « Il y a un an, le Premier ministre grec Alexis Tsipras capitulait [âŠ]. Aujourdâhui AthĂšnes est rentrĂ©e dans le rang ». Il nây a que la menace dâexpulsion, la menace dâune sanction, qui a rĂ©ussi Ă faire plier le leader du parti Syriza en 2015. Quant Ă lâactualitĂ©, lâUnion EuropĂ©enne brandit aujourdâhui, « aprĂšs des mois de mises en garde » la menace de lâarticle 7 du TUE « contre le gouvernement polonais, restĂ© sourd aux demandes dâinflĂ©chir ses rĂ©formes judiciaires controversĂ©es [23]) ».
Mais si on les refuse, quelles seraient les alternatives aux sanctions ? On peut penser quâon nâobtiendrait que des rĂ©actions potentiellement dĂ©lĂ©tĂšres pour le fondement mĂȘme de lâOTAN. Ainsi, pendant la campagne prĂ©sidentielle de 2016, le prĂ©sident Trump avait menacĂ© lâEurope de devoir se dĂ©fendre elle-mĂȘme [24]) ; en dâautres termes, de rendre lâapplication de lâarticle 5 du TraitĂ© de Washington â la dĂ©fense collective â conditionnelle Ă lâatteinte dâun niveau de dĂ©penses de dĂ©fense satisfaisant. Ces menaces ont Ă©tĂ© reformulĂ©es par le SecrĂ©taire Ă la DĂ©fense, James Mattis, en 2017, qui annonçait que les Etats-Unis pourraient « modĂ©rer » leur engagement Ă dĂ©fendre lâEurope. Il y a eu, certes, des rĂ©ponses de certains pays, dont lâAllemagne, en rĂ©action Ă cette annonce, mais le simple fait de devoir profĂ©rer des menaces sur lâarticle 5, qui constitue le pilier de lâorganisation, nuit Ă la crĂ©dibilitĂ© de lâAlliance. Si lâEtat le plus puissant de lâAlliance instille un doute sur la qualitĂ© absolue de la dĂ©fense collective, câest toute lâarchitecture de la dissuasion et de la crĂ©dibilitĂ© de lâOTAN qui est remise en question.
En outre, en lâabsence de sanctions, il est possible que la dĂ©cision dâaugmentation du budget de la dĂ©fense de la chanceliĂšre allemande ne soit quâune annonce politique a minima â un os Ă ronger â destinĂ©e Ă dĂ©vier les gesticulations politiques du prĂ©sident amĂ©ricain. Mais comment peut-on garantir que la tendance positive actuelle se maintienne sur le long terme, sans sanction qui pourrait dissuader nos dirigeants politiques de revenir sur leurs engagements ? Car les budgets de DĂ©fense ont souvent Ă©tĂ©, et restent encore aujourdâhui, la variable dâajustement des exercices budgĂ©taires des dĂ©mocraties occidentales. La logique Ă long terme des programmes dâarmement fait quâil est plus simple de diminuer les investissements et retarder les livraisons de matĂ©riels majeurs, plutĂŽt que de couper dans les budgets de fonctionnement dâautres ministĂšres, beaucoup moins flexibles. La France nâest pas exempte de ce type de dĂ©cision, comme les Ă©vĂ©nements de lâĂ©tĂ© 2017 lâont prouvĂ©. MalgrĂ© les engagements de campagne du prĂ©sident nouvellement Ă©lu, Emmanuel Macron, et le renouvellement de la cible de 2% du PIB en budget de dĂ©fense dâici 2024, il avait en effet Ă©tĂ© question dâune rĂ©duction de 850 millions dâEuros pour lâexercice 2018. A nouveau, sans sanction possible contre les Etats-membres, lâOTAN prend le risque de voir certains gouvernements cĂ©der Ă des problĂ©matiques domestiques, au dĂ©triment de leur contribution Ă lâAlliance.
Quelles sanctions ?
Maintenant que sont Ă©tablies les bases dâune rĂ©flexion pour dĂ©finir de nouveaux critĂšres dâĂ©valuation des contributions des Etats et que le besoin de sanctions paraĂźt pertinent, il faut Ă©tudier la question des Ă©ventuelles sanctions. Si la sanction ultime, comme vu prĂ©cĂ©demment, est lâexpulsion, il est possible de trouver des mesures intermĂ©diaires avant ce qui ne serait quâun dernier recours. Tout dâabord, on pourrait imaginer que les postes Ă responsabilitĂ©s les plus importants au sein de la structure de commandement ne pourraient ĂȘtre attribuĂ©s quâaux membres respectant leurs engagements envers lâOrganisation. Si la France, par dĂ©cision du prĂ©sident Sarkozy, a dĂ©cidĂ© de revenir dans la structure de commandement intĂ©grĂ© de lâOTAN en 2009, câest parce quâelle comptait peser davantage dans les dĂ©cisions et influer sur les dĂ©cisions qui y sont prises.
Si lâon continue sur la mĂȘme lignĂ©e, on pourrait Ă©galement restreindre lâĂ©tablissement de structures otaniennes Ă ces mĂȘmes pays contributeurs â pas de NATO Joint Analysis and Lessons Learned Centre pour le Portugal dans ces conditions ! Voire, aprĂšs plusieurs rappels Ă lâordre, envisager un dĂ©mĂ©nagement de ces structures dâun Etat rĂ©calcitrant Ă un Etat plus engagĂ©. Si lâidĂ©e peut paraĂźtre absurde, il y a au moins un prĂ©cĂ©dent cĂ©lĂšbre : le quartier gĂ©nĂ©ral de lâOTAN a Ă©tĂ© dĂ©mĂ©nagĂ© de la France Ă la Belgique. Il sâagissait certes plus dâune « expulsion » par la France que dâun « retrait » par lâOTAN, mais cela reste possible, Ă court ou moyen terme. On pourrait mĂȘme envisager dâaller jusquâĂ exclure la nation de lâensemble du processus dĂ©cisionnel. En revanche, comme abordĂ© prĂ©cĂ©demment, il ne paraĂźt pas pertinent dâenvisager une « simple » exclusion du droit Ă lâarticle 5 : il sâagit en effet du fondement de lâOTAN, et exclure un pays de cette dĂ©fense collective revient dans le fond Ă lâexclure de lâAlliance. Cette sanction, lâexclusion totale de lâAlliance, serait donc le dernier recours, la peine ultime.
Les arguments avancĂ©s contre cette mise en place de sanctions, allant jusquâĂ lâexpulsion, sont essentiellement les risques encourus, tant par lâAlliance que par le pays exclu. Pourtant, il suffit de quelques exemples pour se rendre compte que cette dĂ©cision, si elle venait Ă ĂȘtre prise, nâaurait en aucun cas les consĂ©quences catastrophiques prĂ©dites par ses dĂ©tracteurs. A lâĂ©chelle de lâEtat, pour commencer, une expulsion ne signifierait pas pour autant une destruction assurĂ©e. Certains pays europĂ©ens, tels lâAutriche ou la Finlande, vivent en dehors de lâOTAN sans pour autant avoir cĂ©dĂ© Ă lâinfluence russe, et sans se sentir menacĂ©s Ă un point tel quâune adhĂ©sion Ă lâOTAN soit la seule solution pour leur sĂ©curitĂ©. En outre, les autres organisations internationales, ONU et Union EuropĂ©enne notamment, et quelle que soit lâefficacitĂ© quâon leur reconnaĂźt, fournissent Ă©galement un cadre de protection pour les Etats. Il y a ensuite les accords de dĂ©fense bilatĂ©raux entre Etats qui contribuent Ă cette sĂ©curitĂ© europĂ©enne, ou la simple volontĂ© politique dâun Etat en particulier. Lors de son discours sur la dissuasion nuclĂ©aire Ă Istres en fĂ©vrier 2015, le prĂ©sident français François Hollande avait rappelĂ© Ă ce titre quâil Ă©tait difficile dâenvisager une situation oĂč lâEurope serait menacĂ©e, sans que cela ne menace les intĂ©rĂȘts vitaux de la France [25]. Enfin, on peut imaginer quâun Etat exclu, qui se sentirait rĂ©ellement menacĂ©, serait alors prĂȘt Ă reprendre des engagements en vue dâĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ© au sein de lâOrganisation, et prĂȘt donc Ă consentir les efforts nĂ©cessaires.
ParallĂšlement, lâexpulsion dâun Etat, circonstance qui devrait rester exceptionnelle si les Etats se sentent effectivement engagĂ©s dans la dĂ©fense collective, ne causerait pas non plus lâeffondrement de lâAlliance pour autant. Seule la perte des Etats-Unis pourrait ĂȘtre aussi dramatique, mais comme on lâa vu, lâĂ©conomie amĂ©ricaine repose trop sur lâindustrie de dĂ©fense pour quâon puisse raisonnablement craindre que les Etats-Unis ne respecteront pas les engagements pris en termes de dĂ©penses de dĂ©fense. Lâexpulsion dâun membre serait en revanche un moyen de resserrer les rangs et de saisir de nouvelles opportunitĂ©s permises par ce regain de cohĂ©sion interne. Ainsi, avec lâannonce du Brexit pour lâUnion EuropĂ©enne, on a assistĂ© Ă un front quasi-uni contre la Grande-Bretagne â fait rare pour lâUE â et la signature dâun nouvel accord pour lâEurope de la DĂ©fense visant Ă la mise en place de la PESCO [26]. Il sâagirait Ă©galement dâun rappel Ă lâordre pour les gouvernements des Etats-membres des engagements politiques pris au nom de lâOTAN, et participerait Ă les dissuader de sâen affranchir â sauf Ă vouloir quitter lâOrganisation.
Conclusion
Face aux dĂ©fis externes et internes de lâĂšre post-soviĂ©tique, il est donc nĂ©cessaire pour lâOTAN de se rĂ©former en profondeur, bien au-delĂ des simples adaptations, progressives et consensuelles, que lâOrganisation a connues jusquâĂ aujourdâhui. Au-delĂ de lâoptimisme politique â politicien ? â de son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, il paraĂźt peu probable que les Etats-membres respectent leur engagement des 2% Ă lâhorizon 2024. Il faut donc rĂ©flĂ©chir Ă de nouveaux critĂšres permettant de mesurer lâengagement politique des Etats de lâAlliance, et instaurer des mesures coercitives visant Ă dissuader les gouvernements de se soustraire aux engagements pris. Car si Condoleeza Rice se rĂ©jouissait de la cohĂ©sion de lâOTAN post-septembre 2001 par la formule « It is really good to have friends », on ne peut oublier la maxime, souvent attribuĂ©e Ă plusieurs personnalitĂ©s anglaises, mais que Charles de Gaulle aurait notamment rappelĂ©e Ă ClĂ©mentine Churchill : « Une nation nâa pas dâamis, elle nâa que des intĂ©rĂȘts »
References
Par :
Source : Ecole de Guerre
Mots-clefs : budget, OTAN, Russie, Sanctions