Macron, an I : Quelle politique étrangère ?

Mis en ligne le 29 Mai 2018

Cet article propose diverses contributions d’une étude menée par l’IFRI. Ces contributions illustrent différentes facettes de la politique étrangère conduite par le Président Macron entre mai 2017 et avril 2018 : défense” (sous l’angle national), “anti-terrorisme”, “climat”, “numérique”, “Europe de la défense”. En filigrane des analyses developpées par les différents auteurs, deux forces profondes à l’oeuvre dont le constat influence, voire structure la politique étrangère française : la dégradation de l’environnement stratégique et l’affaiblissement du multilatéralisme.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de l’étude initiale sont : Thomas Gomart et Marc Hecker, « MACRON, AN I Quelle politique étrangère ? », IFRI.

Cette étude est téléchargeable dans son intégralité gratuitement sur le site de l’IFRI : 

https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/macron-i-politique-etrangere 

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Macron, an I : Quelle politique étrangère ?

Défense : l’ambition présidentielle face à la réalité 

par Corentin Brustlein

 

À l’instar de la plupart des candidats à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait affiché lors de la campagne électorale une ambition forte pour la défense française. À l’issue d’une période caractérisée par une surchauffe opérationnelle répondant à  une  multiplication  des  menaces, le diagnostic d’une nécessaire remontée en puissance budgétaire était alors partagé par la quasi-totalité des candidats.

Crise de confiance

Les premiers pas du président de la République ont été ponctués de gestes témoignant de sa volonté d’incarner rapidement son rôle de chef des Armées : il a ainsi choisi d’utiliser un véhicule militaire pour défiler le jour de son investiture, a rendu visite aux forces françaises déployées au Mali moins d’une semaine après le second tour de l’élection, et avait déjà visité les deux composantes de la dissuasion nucléaire, sur les bases de Brest et d’Istres, à peine plus de deux mois après l’élection.

Pourtant, le mandat présidentiel donne rapidement lieu à une crise avec le Chef d’état-major des armées (CEMA), le Général Pierre de Villiers. Confronté à une contrainte budgétaire inattendue, le gouvernement rend début juillet 2017 un arbitrage imposant à la Défense de prendre en charge le surcoût des opérations extérieures, grevant ainsi de 850 millions d’euros le budget d’équipement des forces pour l’année – reproduisant ainsi un réflexe que l’on espérait révolu. La première occasion pour le nouveau gouvernement de prouver la sincérité de son effort de défense aboutit donc au résultat inverse : désavoué publiquement par le président, le CEMA, qui avait manifesté sa colère lors d’une audition parlementaire ayant fuité dans la presse, démissionne le 19 juillet. Depuis cette crise, l’Élysée et le gouvernement s’efforcent de recréer un lien de confiance avec les armées.

Autonomie stratégique et renouveau européen

Missionné par Emmanuel Macron, le ministère des Armées a conduit au pas de charge pendant l’été une Revue stratégique de défense et de sécurité nationale dont la vocation était cadrée d’emblée par une triple volonté présidentielle : la mise en avant de la relance du projet européen, l’objectif budgétaire des 2 % du PIB consacrés à la défense à l’horizon 2025 et le maintien du modèle d’armée et des deux composantes de la dissuasion nucléaire.

Publiée en octobre 2017, la Revue stratégique fait le diagnostic d’un système international contesté (affaiblissement du multilatéralisme et de l’architecture de sécurité européenne) et conclut sans surprise à la pertinence réaffirmée de la double ambition française d’autonomie stratégique nationale et européenne – tentant ainsi de convertir en élan positif et collectif les électrochocs du Brexit, de l’élection de Donald Trump, de la crise migratoire ou de la résurgence stratégique russe.

Régénération du potentiel militaire

La véritable traduction de l’ambition présidentielle pour la Défense prend la forme du projet de Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, soumis au Parlement mi-février 2018. Celle-ci se caractérise par un effort budgétaire inédit depuis la fin de la guerre froide : 1,7 milliard d’euros d’augmentation par an les quatre premières années, puis 3 milliards d’euros entre 2023 et 2025,  afin  de  porter  le  budget  de  la  Défense  à  50 milliards d’euros et 2 % du PIB en 2025.

Même un effort budgétaire d’une telle ampleur ne saurait effacer instantanément les séquelles de nombreuses années de sous-financement et de sur-utilisation des armées. De fait, ce que beaucoup espéraient être une « LPM de remontée en puissance », portant un niveau d’ambition supérieur, est en réalité une LPM de régénération du potentiel. Cette orientation est aussi bien visible dans le discours officiel présentant une LPM « à hauteur d’homme », que dans la priorité assignée à la satisfaction des besoins les plus urgents : accélération du renouvellement des équipements terrestres, revalorisation de la condition militaire, travaux d’infrastructures, réduction de la « bosse » de programmes d’équipement impayés… La loi prévoit en outre des investissements supplémentaires dans des domaines cruciaux pour l’autonomie stratégique de la France comme pour sa capacité à fédérer des partenaires pour opérer en coalition.

La fonction stratégique « connaissance et anticipation » fait ainsi l’objet d’un effort particulier (drones, satellites, effectifs).

En définitive, le choix de préserver un modèle d’armée équilibré, renouvelant aussi bien la dissuasion nucléaire que les capacités d’action extérieure, a fait fondre l’essentiel de la marge de manœuvre budgétaire que semblait offrir la montée vers les 2 %. Même ce choix prudent restera, au final, exposé au risque de remise en cause par le gouvernement d’une trajectoire budgétaire extrêmement ambitieuse – et ce d’autant que, comme la précédente LPM, celle-ci prévoit l’essentiel de l’effort au-delà des élections de 2022. Le leadership présidentiel sera crucial pour la mise en œuvre de cette ambition. Reste à savoir si la détermination d’Emmanuel Macron à aller vers les 2 % du PIB sera au final affectée par sa volonté d’honorer une autre promesse de campagne : la mise en place d’un service national universel, dont les caractéristiques restent à définir, mais dont les coûts – directs ou indirects – pourraient être difficiles à encaisser pour la défense.

 

 

Emmanuel Macron ou l’antiterrorisme en marche

par Marc Hecker

 

Le discours de victoire d’Emmanuel Macron, prononcé devant la pyramide du Louvre le 7 mai 2017, a été perçu par nombre de commentateurs comme un symbole monarchique. Les spécialistes de la lutte contre le terrorisme, quant à eux, y ont vu un symbole de résilience. Trois mois plus tôt, un terroriste avait attaqué une patrouille de l’opération Sentinelle sous cette même pyramide. La campagne électorale avait été marquée par un autre attentat : l’assassinat d’un policier sur les Champs-Élysées trois jours avant le premier tour du scrutin. Ce contexte tendu n’a pas dissuadé une foule dense de venir célébrer le succès du candidat d’En Marche.

La création du Centre national de contre-terrorisme

En matière de lutte contre le terrorisme, cinq aspects marquants de la première année au pouvoir d’Emmanuel Macron peuvent être mis en avant. Tout d’abord, le nouveau président de la République a procédé à une réorganisation institutionnelle en créant le Centre national du contre- terrorisme (CNCT), placé sous l’autorité du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Cette nouvelle structure – rattachée directement à l’Élysée – traduit une forme de présidentialisation de l’antiterrorisme.

La sortie de l’état d’urgence

Ensuite, Emmanuel Macron a voulu sortir au plus vite de l’état d’urgence, proclamé après les attentats du 13 novembre 2015. Pour ce faire, une nouvelle loi a été votée le 30 octobre 2017. En pratique, on retrouve dans cette loi plusieurs piliers de l’état d’urgence, assortis de garanties démocratiques qui n’ont pas pleinement rassuré les défenseurs des libertés individuelles. Par exemple, les perquisitions administratives sont remplacées par des « visites » qui – contrairement à la période d’état d’urgence – doivent être autorisées par un juge des libertés. Autre illustration, les assignations à résidence laissent place à des « mesures individuelles de contrôle et de surveillance ». Les personnes qui se voient infliger de telles mesures ont l’obligation de demeurer dans une zone géographique qui ne peut être inférieure au territoire d’une commune et doivent se présenter régulièrement aux services de police ou de gendarmerie.

Le maintien d’un niveau d’engagement militaire élevé

Le troisième point saillant est le maintien d’un niveau d’engagement militaire élevé dans la lutte contre le djihadisme. Toutes les opérations majeures lancées par François Hollande ont été maintenues – que ce soit Chammal en zone syro-irakienne, Barkhane au Sahel ou Sentinelle sur le territoire national. La France a ainsi contribué à l’effondrement territorial de Daech qui a perdu successivement sa « capitale » irakienne (Mossoul) et son principal fief syrien (Raqqa).

Le sort incertain des Français djihadistes

Le quatrième point est lié au recul de Daech et a trait au sort des djihadistes français engagés au sein de cette organisation. Le gouvernement s’est montré ferme à leur égard. À plusieurs reprises, des responsables politiques – à commencer par le ministre des Armées, Florence Parly – ont laissé entendre que la meilleure solution serait que les djihadistes meurent au combat. Quand il s’est avéré que plusieurs dizaines de ressortissants français étaient retenus prisonniers par les Kurdes en Irak et en Syrie, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a affirmé que leur rapatriement était exclu, à l’exception des enfants. Le ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a précisé que la France

« interviendrait » si des Français étaient condamnés à mort.

Le nouveau plan national de prévention de la radicalisation

Enfin, le dernier point marquant est l’adoption d’un plan national de prévention de la radicalisation, dévoilé par le Premier ministre Édouard Philippe à la fin du mois de février 2018. Ce plan fait suite à ceux présentés par Bernard Cazeneuve en 2014 et Manuel Valls en 2016. Il comporte cinq axes : prémunir les esprits face à la radicalisation ; compléter le maillage détection/prévention ; comprendre et anticiper l’évolution de la radicalisation ; professionnaliser les acteurs locaux et évaluer les pratiques ; adapter le désengagement. Le mot « désengagement » est employé en lieu et place de celui de « déradicalisation », plus guère utilisé par les spécialistes. Il traduit un objectif plus réaliste : inciter les individus radicalisés à renoncer à la violence plutôt que de chercher à modifier en profondeur leur vision du monde.

À la différence des précédents, ce plan est moins axé sur la lutte contre le terrorisme et davantage destiné à permettre à la société de développer les « anticorps » qui lui permettront de résister aux idéologies extrêmes. Alors que le terme « renseignement » était omniprésent dans le plan de 2016, il n’est mentionné qu’une seule fois dans les annexes du plan de 2018. L’accent est davantage mis sur l’éducation et sur le rôle préventif des acteurs locaux. Pour les personnes radicalisées sous main de justice, des « centres de prise en charge individualisée » seront ouverts. Dans les prisons, les détenus condamnés pour terrorisme ou identifiés comme radicaux seront séparés du reste de la population carcérale afin d’éviter les effets de contamination.

En définitive, Emmanuel Macron s’est montré actif sur le front de l’antiterrorisme au cours de la première année de son mandat, et a agi globalement dans la continuité de son prédécesseur. Depuis l’élection présidentielle, le territoire français a subi deux attentats létaux, en octobre 2017 à Marseille et en mars 2018 dans l’Aude. En outre, plusieurs attaques ont été déjouées et les intérêts français à l’étranger ont été visés. Inutile d’être grand clerc pour savoir que d’autres tentatives surviendront dans les prochaines années.

 

 

« Make Our Planet Great Again » : quel leadership sur le climat ?

par Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Carole Mathieu

 

L’urgence climatique est réelle, le monde a connu des records de températures ces dernières années et un nouvel accroissement des émissions de gaz à effet de serre en 2017. Le président Macron en a pris toute la mesure en sermonnant ses hôtes réunis lors du One Planet Summit organisé à Paris en décembre 2017 : la bataille du changement climatique est en train d’être perdue, il faut aller plus vite et intégrer la contrainte climatique dans toutes les prises de décision. Emmanuel Macron est aussi habité d’une profonde conviction : le dérèglement climatique met en péril la stabilité du monde. Il fait des ravages croissants en Afrique, où il viendra renforcer le terreau des maux qui frappent le continent – migrations forcées, conflits sur les terres et ressources, terrorisme – et de plus en plus en Europe, tandis que l’enjeu de l’adaptation au changement climatique peut être un formidable levier de croissance durable.

Endossant un rôle de gardien de l’Accord de Paris négocié sous présidence française, Macron n’a pas ménagé ses efforts pour éviter le retrait américain tant redouté en cherchant à établir une relation personnelle avec le président Trump. Si les États-Unis ont joué un rôle clé avec la Chine pour rendre l’accord possible, Macron a su limiter les dégâts politiques causés par le désengagement américain en détournant le slogan du candidat Trump et en soutenant, lors du G20 de Hambourg, le caractère irréversible et non négociable du texte adopté à Paris. L’objectif d’éviter un délitement de l’accord semble atteint et le One Planet Summit a permis de maintenir cet enjeu au cœur de l’agenda global, d’affirmer encore le rôle essentiel des acteurs non étatiques et de mobiliser les grands acteurs économiques français et les villes autour d’engagements ambitieux.

Un travail titanesque reste à faire pour s’assurer que les États ne se contentent pas d’afficher leur unité mais revoient effectivement à la hausse leurs engagements pour la COP24 qui se tiendra fin 2018 sous présidence polonaise. Le maintien de la confiance des pays vulnérables exige aussi que les enjeux de l’adaptation ne soient pas négligés. Cela appelle une mobilisation diplomatique de tous les instants, une stratégie d’influence, et une coopération étroite avec l’Inde et la Chine pour que leurs priorités ne visent pas uniquement la dépollution des villes mais s’inscrivent dans un schéma cohérent de réduction des émissions, sur le plan domestique comme dans leurs stratégies et engagements en Afrique ou le long des pays concernés par l’initiative Belt & Road. Donner suite à l’Accord de Paris implique aussi de prendre pleinement la mesure de la bataille industrielle sur les technologies bas-carbone que mène la Chine et face à laquelle l’Union européenne (UE) et la France n’ont pas encore de stratégie.

À l’échelle française, le président Macron n’a pas encore donné d’impulsion claire pour ériger notre pays en modèle unanime de transition bas-carbone. Il s’est d’emblée doté d’une caution environnementale forte en nommant Nicolas Hulot ministre de la Transition écologique. Ce dernier poursuit la mise en œuvre de la loi de transition énergétique de 2015. Le défi réside dans le fait que la France est avantagée par le rôle du nucléaire qui lui procure un bouquet électrique parmi les moins intensifs en carbone, et qu’il faut redoubler d’efforts dans le développement d’autres secteurs et technologies, côté offre et demande, tout en ajustant la part du nucléaire et en veillant à ce que cet outil de production demeure un atout de long terme. Renonçant à la date cible de 2025, le gouvernement défend une approche pragmatique pour ramener la part du nucléaire à 50 % de la production électrique dans les meilleurs délais, sans ignorer les contraintes économiques, techniques et climatiques. Les énergies renouvelables sont davantage promues, tout comme l’efficacité énergétique, tandis que la fin du charbon et des ventes de véhicules diesel est confirmée. À chaque fois, le gouvernement cherche à mettre en œuvre des mesures concrètes et pratiques pour faciliter ces développements : schémas de reconversion de l’emploi impliquant les collectivités concernées par les fermetures de centrales au charbon ou encore, simplifications administratives pour accélérer la réalisation des projets renouvelables. Si beaucoup d’efforts ont été dévolus à l’interdiction à long terme de la prospection pour les hydrocarbures, cet enjeu apparaît marginal face aux vraies priorités qui sont finalement évoquées dans le cadre de la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie prévue pour fin 2018 : la stratégie de mobilité propre, la gestion des pics de demande électrique, l’insertion des énergies intermittentes, les pratiques d’autoconsommation et d’effacement, l’investissement dans les réseaux et les interconnexions, dans le stockage ou encore dans les gaz renouvelables.

La crédibilité environnementale du président Macron se jouera enfin sur sa capacité à fédérer les États européens autour d’objectifs ambitieux en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables pour 2030 et surtout, à convaincre l’Allemagne et certains autres États de mettre en place rapidement un prix plancher du carbone pour le secteur de l’électricité qui permette d’accélérer la sortie du charbon. Or, la réforme du marché carbone demeure insuffisante et le nouveau Paquet énergie propre soulève autant de questions qu’il entend apporter de solutions, en particulier concernant l’organisation du marché électrique européen. Si dix années ont été perdues entre Kyoto et l’Accord de Paris, la France, l’Allemagne et l’UE ne peuvent pas se permettre d’en perdre plus.

 

 

Numérique : entre protection et velléités de leadership

par Julien Nocetti

 

Il est peu de dire que l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée s’est produite dans un climat de tension alimenté par les outils numériques. La campagne présidentielle puis le scrutin ont entraîné une vaste prise de conscience sur le phénomène des fake news, dans la foulée de l’élection américaine où la problématique s’est muée en affaire d’État.

Lutter contre les fausses informations

En France, le candidat Macron a été personnellement ciblé par des manœuvres informationnelles visant à déstabiliser sa campagne. Une fois au pouvoir, le nouveau président a répliqué de deux manières : d’une part, en tançant vertement les médias d’État russes RT et Spoutnik lors de la réception de Vladimir Poutine à Versailles le 30 mai 2017. D’autre part, en lançant  un  vaste  effort  de  réflexion  sur  les  moyens  de  contrer  les  fake news, en particulier par la voie législative.

La Loi de fiabilité et de confiance de l’information comportera trois volets : la possibilité pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de suspendre ou révoquer la convention d’un média jugé sous l’influence d’un État étranger, l’obligation d’une plus grande transparence de la part des réseaux sociaux quant aux contenus sponsorisés et, enfin, la mise en place d’une procédure de référé pour pouvoir faire cesser rapidement la circulation d’une fake news. La réponse française semble toutefois moins sévère qu’en Allemagne, où les grandes plates-formes encourent une forte amende si elles ne suppriment pas dans les 24 heures un contenu illégal.

S’adapter à la cyber-menace

Le contexte de l’élection d’Emmanuel Macron a également été marqué par une cyber-menace d’une ampleur nouvelle. En l’espace de deux mois – mai et juin 2017 –, deux attaques informatiques d’une intensité inédite ont ravivé  le  spectre  d’une  cyber-conflictualité   aux   contours   mouvants.  Le logiciel malveillant WannaCry, d’abord, a servi au plus grand « piratage à rançon » de l’histoire d’internet. NotPetya, ensuite, en ciblant massivement l’Ukraine, a visé la déstabilisation et la fragilisation de cet État.

Face aux cyberattaques croissantes en nombre et en sophistication, la France s’est lancée dans un effort de rattrapage capacitaire qui concerne son outil de sécurité, de défense et de renseignement. Un budget dédié à la lutte informatique défensive et offensive sera inscrit  dans  la  prochaine Loi de programmation militaire (2019-2025), comprenant en particulier le recrutement de 1 000 « cyber-combattants » en plus des 3 000 déjà en poste. La création d’un commandement de cyberdéfense (ComCyber) a parachevé en 2017 l’architecture institutionnelle de cybersécurité. À la différence des Américains et des Britanniques, le « modèle » français distingue la lutte informatique active et le renseignement, de la cyber- protection (détection des cyberattaques, etc.).

L’année écoulée a également permis d’ancrer des principes doctrinaux. La Stratégie internationale de la France pour le numérique (décembre 2017) et surtout la Revue stratégique de cyberdéfense (février 2018), ont placé l’accent sur la capacité d’attribution des cyberattaques. L’exercice, sensible, ne repose pas sur la seule analyse des traces techniques mais aussi sur un travail de renseignement humain. La France, comme bien d’autres États, est réticente à établir ouvertement un diagnostic qui révélerait pour partie ses capacités de cyberdéfense. Paris s’oriente ainsi vers une dissuasion plutôt qu’une attribution publique, par contraste avec les États- Unis, prompts à dénoncer les attaques russes et nord-coréennes.

Confirmer l’ancrage européen

L’Europe pâtit d’un double effet ciseau en matière numérique : l’hégémonie américaine et, dans une moindre mesure, chinoise, affaiblit le continent  qui peine à s’affirmer comme une puissance industrielle de premier plan. Les États-Unis totalisent 42 % de la capitalisation de la tech mondiale ; l’Europe 3 %. Conscient des enjeux, l’exécutif français a orienté ses premiers efforts sur l’imposition des grandes plates-formes, dans le double cadre national et européen. Des réflexions plus larges ont été entamées sur la confiance dans les algorithmes afin de s’assurer que la technologie ne mine pas la démocratie.

Dans le même temps, la France n’a pas dissimulé une ambition de leadership numérique en Europe. La présentation d’une stratégie française en matière d’intelligence artificielle ambitieuse sur le plan industriel entre dans ce cadre. Si cette stratégie met l’accent sur le financement des écosystèmes les plus innovants et l’attraction des talents, elle ne néglige pas son environnement européen et mondial. La France devra chercher à influencer la stratégie européenne que la Commission publiera dans le courant de l’année. De ce point de vue, une attention particulière devra être portée à l’articulation d’une stratégie industrielle en matière de données avec le cadre régulatoire du Règlement général de protection des données (RGPD), qui s’appliquera à partir de mai 2018 à travers l’Europe.

 

 

Macron, l’Allemagne et la relance de l’Europe de la défense

par Barbara Kunz

 

À Berlin, l’élection d’Emmanuel Macron a été accueillie avec beaucoup de soulagement. L’Allemagne espérait que le prochain chef d’État français serait à la fois pro-européen et prêt à lancer des réformes économiques structurelles dans son pays. Le nouvel hôte de l’Élysée remplissait ces deux critères. Ce qui ne figurait pas forcément sur la liste des critères de Berlin était la volonté du nouveau président de relancer l’Europe de la défense. La coopération de défense – à la fois bilatérale et dans le cadre de l’Union européenne (UE) – se retrouve aujourd’hui au cœur de l’agenda franco- allemand.

Le moteur franco-allemand de nouveau en marche

Depuis le référendum sur le Brexit, Paris et Berlin ont poussé pour des avancées dans le domaine de la défense. La plupart des mesures prises dans le contexte de la « Stratégie globale » – et plus récemment le lancement de la Coopération structurée permanente (PESCO) – n’auraient sans doute pas été possibles sans leadership franco-allemand. Paris et Berlin se montrent également ambitieux au niveau bilatéral, comme en témoigne la déclaration commune à l’issue du Conseil des ministres franco- allemand du 13 juillet 2017. La France et l’Allemagne y proposent entre autres la création de l’Alliance pour le Sahel, soulignent leur soutien pour  la PESCO et annoncent leur coopération dans le domaine industriel, avec notamment le développement  d’un  « système  de  combat  aérien européen ».

Défense et intégration européenne

Toutefois, les objectifs français et allemands – indépendamment des partis politiques au pouvoir à Berlin – ne coïncident pas forcément. La situation peut être résumée en une formule quelque peu simpliste : pour les Français, l’Europe de la défense relève de la politique de défense, alors que pour les Allemands, elle relève de l’intégration européenne. Voilà ce qui explique par exemple les désaccords franco-allemands concernant la PESCO. Alors que Paris souhaitait une coopération ambitieuse et à effectifs réduits afin d’assurer un maximum d’efficacité, Berlin a œuvré pour une PESCO « inclusive » avec un maximum de participants. La PESCO finalement annoncée en décembre 2017 ressemble beaucoup plus aux préférences allemandes qu’aux idées françaises. Ces dernières se retrouvent dans un projet hors UE,  l’« initiative  européenne d’intervention » proposée par Emmanuel Macron dans son discours à la Sorbonne en septembre 2017. Les contours de cette proposition étant flous, Berlin attend d’en connaître les détails avant de se prononcer sur son intérêt.

Comme l’illustre l’exemple de la PESCO, les divergences franco- allemandes se situent toujours à deux niveaux. Le premier concerne l’opportunité et les moyens d’une éventuelle intervention militaire. Côté allemand, le scepticisme face aux solutions militaires persiste. Ainsi, l’accord de coalition de 2018 laisse même supposer que Berlin insistera davantage sur la dimension civile durant les quatre prochaines années, annonçant notamment sa volonté de créer une « PESCO civile ». Le deuxième niveau concerne la question du cadre. Les Allemands – en dépit du discours sur l’Union européenne de la défense – n’ont en réalité que peu d’appétence pour une « vraie » Europe de la défense, qui pourrait avoir vocation à remplacer l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Alors que Paris mise sur le pragmatisme et le « whatever works » afin d’atteindre ses objectifs quel que soit le cadre institutionnel, la préférence allemande pour l’OTAN reste intacte. Elle pourrait même s’amplifier au vu du recentrage de la politique de défense allemande sur la défense territoriale à l’horizon 2032.

Des défis stratégiques en perspective

En d’autres termes, les différences en matière de culture stratégique entre la France et l’Allemagne persistent, voire tendent à s’accroître. À Berlin, on a mis du temps à comprendre que Macron, bien que pro-européen, n’est pas un président « post-moderne » à l’allemande, mais que son discours s’inscrit dans la continuité de la tradition gaullo-mittérandienne. Et à  Paris, il ne semble pas toujours évident d’apprécier l’évolution de la culture stratégique allemande : évolution ne signifie pas convergence automatique avec les visions françaises. À cela s’ajoute l’incompréhension mutuelle et traditionnelle concernant le fonctionnement des deux systèmes politiques.

Afin de relancer l’Europe de la défense, Français et Allemands ont donc de nombreux obstacles à surmonter. Pour ce faire, il est tout d’abord crucial d’engager un véritable dialogue stratégique sur le rôle et la place de l’Europe dans le monde de demain. Aucun projet capacitaire et aucune coopération opérationnelle ne pourront remplacer des réponses communes aux questions fondamentales qui se posent non seulement à Paris et à Berlin, mais à l’ensemble de l’Union européenne.

 


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