Cet article propose une analyse critique de lâefficacitĂ© des sanctions internationales contre les programmes balistique et nuclĂ©aire nord-corĂ©ens. Lâauteur souligne le double enjeu dâune telle politique de sanctions renforcĂ©es pour la communautĂ© internationale : le cas Nord-corĂ©en et au-delĂ , lâavenir des rĂ©gimes mondiaux de non-prolifĂ©ration.
    Les opinions exprimĂ©es dans cet article nâengagent pas le CSFRS.
Les références originales de ce texte sont : Benjamin Hautecouverture  » Pourquoi il faut renforcer les sanctions contre Pyongyang?, Fondation pour la Recherche Stratégique, note °20/17, 6 décembre 2017.
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Pourquoi il faut renforcer les sanctions contre Pyongyang?
Le dernier essai balistique de la RĂ©publique populaire dĂ©mocratique de CorĂ©e (RPDC, CorĂ©e du Nord) rĂ©alisĂ© mardi 28 novembre 2017 depuis Sain Ni, dans le Pyongan du Sud au centre-ouest du pays, a relancĂ© le dĂ©bat sur lâefficacitĂ© des sanctions multilatĂ©rales contre les programmes balistique et nuclĂ©aire de Pyongyang. Câest lĂ©gitime : la veille encore, la diplomatie russe saluait la retenue du rĂ©gime depuis lâessai du 15 septembre dernier, alors que les Ătats-Unis commençaient Ă se satisfaire de la portĂ©e de leurs menaces. A nouveau perçu comme un camouflet, lâessai du 28 novembre pose la question des sanctions : Ă quoi peut-il dĂ©sormais servir de les renforcer ? Le faut-il?
Pour mĂ©moire, cette politique a Ă©tĂ© initiĂ©e par la rĂ©solution 1718 du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies (CSNU) le 14 octobre 2006. Lâinstrument, alors adoptĂ© Ă lâunanimitĂ© en rĂ©ponse au premier essai nuclĂ©aire du rĂ©gime, impose un embargo sur les armes, un gel des avoirs et une interdiction de voyager aux personnes impliquĂ©es dans le programme nuclĂ©aire. Par la suite, le rĂ©gime multilatĂ©ral de sanctions sâest rĂ©guliĂšrement Ă©toffĂ© en rĂ©action aux activitĂ©s nuclĂ©aire et balistique de Pyongyang : la rĂ©solution 1874 (6 dĂ©cembre 2009) Ă©tend lâembargo sur les armes et demande aux Ătats dâempĂȘcher la fourniture de services financiers susceptibles de contribuer aux activitĂ©s prolifĂ©rantes de Pyongyang, alors quâun panel dâexperts est mis en place pour assister le ComitĂ© de suivi des sanctions ; la rĂ©solution 2087 (22 janvier 2013) prĂ©cise le rĂ©gime ; la rĂ©solution 2094 (3 juillet 2013) innove par lâadjonction de sanctions financiĂšres ciblĂ©es, y compris le blocage des transferts en espĂšces, et ouvre une liste dâarticles de luxe dont lâimportation est prohibĂ©e. Suivent les rĂ©solutions 2270 (2 mars 2016) en rĂ©ponse Ă lâessai nuclĂ©aire du 6 janvier 2016, 2321 (30 novembre 2016), 2356 (2 juin 2017), 2371 (5 aoĂ»t 2017), et la derniĂšre en date, la rĂ©solution 2375 adoptĂ©e le 11 septembre 2017. Ce dernier texte poursuit de maniĂšre particuliĂšrement sĂ©vĂšre le renforcement du rĂ©gime : les exportations de textile en provenance du pays sont interdites, tout comme ses importations de gaz, alors que ses importations de produits pĂ©troliers raffinĂ©s sont limitĂ©es. La rĂ©solution 2375 interdit aussi lâaccueil de nouveaux travailleurs nord-corĂ©ens expatriĂ©s, les coentreprises, et renforce les dispositions relatives aux inspections des navires en haute mer, un levier utilisĂ© de maniĂšre collective depuis le lancement de lâInitiative de sĂ©curitĂ© contre la prolifĂ©ration (acronyme anglais PSI) par les Ătats-Unis en 2003.
Or, onze annĂ©es de sanctions multilatĂ©rales contre la RPDC ont vu les programmes nuclĂ©aire et balistique du pays progresser avec une constance et une rĂ©gularitĂ© telles que personne ne peut raisonnablement affirmer aujourdâhui que la politique multilatĂ©rale de sanctions a produit un effet significatif sur la nuclĂ©arisation du rĂ©gime, sinon pour lâaccĂ©lĂ©rer.
La question de lâefficacitĂ© opĂ©ratoire des sanctions multilatĂ©rales contre les Ătats dits « prolifĂ©rants » est controversĂ©e. Une autre question pendante est : les sanctions sontelles contre-productives, en cela que leur renforcement provoquerait une accĂ©lĂ©ration des programmes dans les pays visĂ©s ? A ce titre, le cas sud-africain au cours des annĂ©es 1980 et le cas iranien au cours des annĂ©es 2000 continuent dâĂȘtre dĂ©battus, le premier illustrant plutĂŽt lâidĂ©e de contre-productivitĂ©, le second illustrant plutĂŽt lâidĂ©e dâefficacitĂ©, avec beaucoup de nuances Ă apporter Ă chaque fois. En somme, lâanalyse ne peut pas conclure de maniĂšre satisfaisante et systĂ©matique dans le sens de lâefficacitĂ© ou de lâinefficacitĂ© en termes strictement opĂ©ratoires.
Dans le cas nord-corĂ©en, plusieurs raisons expliquent lâinefficacitĂ© de lâinstrument Ă ce jour : la marginalisation du pays dans les flux mondiaux de biens et services, lâhabitude dâune relative autarcie Ă©conomique, la retenue du partenaire commercial chinois de 2006 Ă 2016, la rĂ©organisation de la stratĂ©gie de dĂ©veloppement nord-corĂ©enne Ă partir de 2013 dans le cadre de la relance du« Byungjin », politique historique de dĂ©veloppement parallĂšle de lâĂ©conomie et des capacitĂ©s de dĂ©fense initiĂ©e en 1962 par Kim Il-sung et adaptĂ©e par son petit-fils aux armes nuclĂ©aires, les processus dâĂ©vasion mis en place par le rĂ©gime et tolĂ©rĂ©s par un certain nombre de pays quâalimente une corruption instituĂ©e.
En tout Ă©tat de cause, les progrĂšs visibles et supposĂ©s des programmes nuclĂ©aire et balistique nord-corĂ©ens ces derniĂšres annĂ©es doivent conduire dĂ©sormais vers des considĂ©rations de nature stratĂ©gique le dĂ©bat sur le contentieux ouvert avec la CorĂ©e du Nord depuis le milieu des annĂ©es 1990 (câest en juin 1994 que Pyongyang cessa de coopĂ©rer avec les inspecteurs de lâAgence internationale de lâĂ©nergie atomique – AIEA, initiant la premiĂšre « crise » nuclĂ©aire nord-corĂ©enne).
Lâon peut en effet postuler que lâessai nuclĂ©aire le plus puissant rĂ©alisĂ© par le rĂ©gime nord-corĂ©en Ă ce jour le 3 septembre 2017 (environ 250 kilotonnes Ă©quivalent TNT) indique une capacitĂ© Ă produire sans doute plusieurs tĂȘtes nuclĂ©aires de plus de 100 kilotonnes au vu de leurs rĂ©serves supposĂ©es de matiĂšre fissile (plutonium retraitĂ© et uranium hautement enrichi) produites et accumulĂ©es depuis plus de quinze ans.
Si lâon couple cette capacitĂ© Ă la maĂźtrise de la technologie des missiles balistiques de courte et moyenne portĂ©es, et que lâon suppose avec nombre dâanalystes amĂ©ricains une capacitĂ© Ă assembler tĂȘtes et vecteurs, la CorĂ©e du Sud ainsi quâune grande partie du Japon peuvent ĂȘtre dits vulnĂ©rables Ă une attaque nuclĂ©aire nord-corĂ©enne sensiblement plus puissante que celles qui dĂ©truisirent Hiroshima et Nagasaki en leur temps.
Si lâon considĂšre sĂ©rieusement une telle hypothĂšse, la question de la crise nuclĂ©aire et balistique avec la RPDC nâest plus tant celle des freins que la communautĂ© internationale peut apporter Ă la conduite des programmes prolifĂ©rants de Pyongyang que celle de lâadaptation des outils de sĂ©curitĂ© et de dĂ©fense des Ătats qui se considĂšrent en danger Ă lâarsenal en cours de constitution par une puissance rĂ©gionale hostile. A nouveau : y-a-til encore une place pour des sanctions multilatĂ©rales renforcĂ©es ? La rĂ©ponse est oui.
MalgrĂ© les bonnes raisons quâil y a de questionner lâefficacitĂ© des sanctions, le renforcement de cette politique multilatĂ©rale est pourtant une nĂ©cessitĂ© qui ne devrait autoriser aucune hĂ©sitation politique. Pourquoi cela ?
Lâoutil des sanctions est rĂ©actif et adaptatif par nature : on le destine Ă rĂ©pondre Ă un surcroĂźt dâagressivitĂ© par un surcroĂźt de coercition. Ainsi, il nâest ni anormal ni dĂ©cevant que le rĂ©gime multilatĂ©ral de sanctions contre Pyongyang fut modeste en 2006 avant de prendre de lâampleur Ă mesure que progressaient les programmes dâarmes de destruction massive du rĂ©gime. En rĂ©alitĂ©, câest Ă partir des renforcements de 2016 (rĂ©solutions CSNU 2270, 2321, 2356, 2371, et 2375) que lâĂ©chafaudage onusien a acquis une vraie pertinence Ă©conomique. Ses premiers effets rĂ©els se feront sentir sans doute Ă partir de 2018.
Par ailleurs, les sanctions constituent le seul terrain dâentente de la communautĂ© internationale dans cette affaire depuis la fin du cycle des Pourparlers Ă Six en 2009. Cet acquis est prĂ©cieux : il peut ĂȘtre affirmĂ©Â aujourdâhui que la quasi-totalitĂ© des Etats du monde sâopposent Ă ce que la CorĂ©e du Nord ne devienne un Ătat nuclĂ©aire. Dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es, lâoutil des sanctions est utile comme instrument de mesure : les dĂ©cisions successives de renforcement sont des marqueurs de lâapproche commune. Elles indiquent lâĂ©volution des positions nationales, leur constance ou leur inconstance. A ce titre, elles permettent aux acteurs principaux de la crise dâĂ©valuer leur place dans un rapport de forces en mouvement.
Ensuite, tous les leviers nâont pas encore Ă©tĂ© actionnĂ©s et la lutte contre lâĂ©vasion peut ĂȘtre amplifiĂ©e, notamment de la part de la Chine et de nombre de pays africains. LâUnion europĂ©enne a un rĂŽle Ă©vident Ă jouer sur ce front. Or, les programmes nuclĂ©aire et balistique nord-corĂ©ens sont loin dâĂȘtre assez aboutis pour que le pays puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une puissance nuclĂ©aire au plein sens du terme, câest-Ă -dire dotĂ© dâune capacitĂ© de seconde frappe.  Une marge de manĆuvre demeure donc pour ralentir le rythme de progression tout en trouvant une issue qui permette dâinverser ou au moins de geler la dynamique en cours.
Il faut ajouter que dans la perspective aujourdâhui hypothĂ©tique dâune reprise de nĂ©gociations multilatĂ©rales, quels quâen soient la temporalitĂ©, lâordre du jour, le format, des sanctions renforcĂ©es constitueront lâun des outils Ă disposition des nĂ©gociateurs pour leur permettre dâaborder lâexercice munis dâarguments tangibles dans le cadre du rapport de force qui en sera le substrat. Enfin, une fonction essentielle des sanctions contre les programmes dâarmes de destruction massive de Pyongyang est le maintien de lâautoritĂ© des rĂ©gimes mondiaux de non-prolifĂ©ration à lâavenir.
Dans cette perspective, le renforcement continu des sanctions fournit une indication du coĂ»t diplomatique, politique, Ă©conomique, social que reprĂ©sente la transgression de la norme de non prolifĂ©ration mondiale. Ce coĂ»t doit ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement perçu comme prohibitif pour ĂȘtre dissuasif. A bien des Ă©gards, le cas nord-corĂ©en est singulier et nullement exemplaire. Il importe quâil le demeure.
Pour toutes ces raisons, le renforcement des sanctions contre les programmes nuclĂ©aire et balistique de Pyongyang est nĂ©cessaire. Il doit ĂȘtre encouragĂ© comme rĂšgle non Ă©crite de lâaction politique multilatĂ©rale. Preuve la plus observĂ©e de la dĂ©termination de la communautĂ© internationale Ă contraindre la dictature nord-corĂ©enne Ă la retenue, cette rĂšgle ne saurait ĂȘtre remise en cause, y compris par un sentiment de dĂ©faitisme que peuvent lĂ©gitimement expliquer les succĂšs rĂ©cents de la RPDC.
Par : Benjamin HAUTECOUVERTURE
Source : Fondation pour la recherche stratégique
Mots-clefs : Chine, communauté internationale, Corée du nord, essai balistique, Sanctions